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La Constitution : de l'élaboration à ses dernières interprétations - Laïcité Aujourd'hui

La Constitution : de l’élaboration à ses dernières interprétations

, par  hdeb , popularité : 18%

En 1777, après avoir écrit la Déclaration d’Indépendance, Thomas Jefferson a rédigé un projet de loi sur la liberté religieuse en Virginie. Il estime que c’est la meilleure garantie que l’intolérance religieuse et les effusions de sang que connaissent de nombreux pays européens ne soient pas exportées aux États-Unis.

Mais à cause de l’opposition de la « vieille garde » anglicane, ce texte n’est pas adopté par l’Assemblée de Virginie lorsqu’il est présenté en 1779. L’Assemblée préfère instituer le « christianisme » comme religion d’état et garantir que toutes les confessions jouiront de l’égalité de privilèges.

Cependant le projet de loi de Jefferson recueille progressivement le soutien de baptistes, presbytériens, libres penseurs, juifs, et même d’anglicans, qui en avaient assez des conflits religieux. C’est un formidable discours de James Madison en 1785 qui entraîne le vote de la loi de Jefferson en janvier 1786 : « c’était la première fois dans l’histoire de la civilisation occidentale qu’une loi était promulguée pour protéger la liberté religieuse ».

Les fondements de la laïcité aux USA

La période est celle du « siècle des Lumières ». Malgré les difficultés du temps, la distance, la censure, les idées voyagent, les lettres et les livres circulent. C’est dans ce contexte « moderne » comme on dirait aujourd’hui que se construit le nouvel état.

Le discours fondateur

Ecrit en 1785, le mémoire de James Madison contre l’intolérance religieuse est, et reste encore, un puissant plaidoyer contre les religions établies. Il démontre que les religions établies sont néfastes pour elles mêmes, dangereuses pour l’Etat et il définit la liberté religieuse.

- Le statut de religion établie est néfaste aux religions

Madison s’interroge : « Quels sont les résultats de 15 siècles de christianisme en tant que religion légale ? Partout, arrogance et indolence du clergé, ignorance et servilité du laïcat, avec au sein des deux : superstitions, fanatismes et persécutions. »

Cette politique est défavorable à la diffusion du christianisme. Elle décourage ceux qui ne connaisse pas cette religion de venir s’installer ici et donc de la connaître, tout comme elle encourage les autres nations qui en ignorent les lumières à exclure ceux qui pourraient la leur transmettre.

Le magistrat civil compétent deviendrait le juge de la vérité religieuse. Pourtant on toujours vu que c’était impossible. Il pourrait aussi être tenté d’employer la religion comme moteur de la fonction politique, mais ce ne serait alors que par une perversion impie des moyens du salut.

Enfin, l’autorité qui pourrait contraindre un citoyen à contribuer à une église pourrait aussi bien le contraindre à le faire demain pour une autre.

- Les religions établies sont dangereuses pour l’Etat

Le droit au libre exercice de sa religion selon les préceptes de sa conscience est détenu au même titre que ses autres droits. Si le pouvoir législatif s’attaque à ce droit sacré, il pourra aussi bien balayer tous les autres droits fondamentaux : contrôler la liberté de la presse, abolir le procès devant un jury, engloutir les pouvoirs exécutif et judiciaire, voire spolier les citoyens de leur droit de vote et pourquoi pas s’ériger en une assemblée indépendante du peuple et héréditaire.

Un gouvernement a-t-il besoin du soutien de la religion ? « Les ecclésiastiques ont parfois installé une tyrannie spirituelle sur les ruines de l’autorité civile, souvent ils ont défendu les trônes de tyrans politiques, mais jamais ils n’ont été les gardiens des libertés du peuple. Lorsque les dirigeants voulaient renverser une liberté publique, ils trouvaient de bons auxiliaires dans le clergé. Notre gouvernement sera d’autant mieux soutenu s’il protège chaque citoyen dans l’exercice de sa religion au même titre qu’il protège sa personne et ses biens, et qu’il ne restreigne pas les droits d’une secte par rapport aux autres ni ne tolère qu’une secte restreigne ceux d’une autre. »

« Dans le vieux monde les tentatives du bras séculier pour éteindre les discordes religieuses en proscrivant toutes les différences d’opinions religieuses furent vaines et ont répandu des torrents de sang. Tandis que tout assouplissement de ces politiques restrictives et rigoureuses, partout où cela a été essayé, on l’a constaté, apaisait la maladie. L’Amérique a démontré que l’égalité et la liberté complète, si elles ne l’éradiquent pas totalement, détruisent suffisamment son influence maligne sur la santé et la prospérité de l’Etat. »

La question de la population est vitale pour les nouveaux états. Ils offrent asile et citoyenneté « aux persécutés et opprimés de toute nation et religion ».

Mais au lieu d’offrir un asile aux persécutés, ils donneraient un signal de persécution en dégradant du rang des citoyens égaux tous ceux dont les opinions religieuses ne se plient pas à celles de l’autorité législative. C’est la première étape sur la voie de l’intolérance dont l’Inquisition est la dernière. « La malheureuse victime de ces fléaux cruels en ces pays lointains, verra ce projet de loi comme un phare sur nos côtes qui la mettra en garde pour qu’elle cherche un autre refuge, là où la liberté et la philanthropie auront l’espace qu’elles méritent, et pourront lui offrir une solution plus sûre à ses tourments ».

On aura aussi tendance à bannir des citoyens. Or les attraits d’autres régions en amoindrissent chaque jour le nombre. Rajouter un nouveau motif à l’émigration par la révocation de la liberté dont ils jouissent aujourd’hui, serait une folie.

- La liberté religieuse

Au fil du texte, James Madison soutient 3 types de raisonnements en faveur de la liberté de conscience et de la liberté religieuse.

* Pour le philosophe : l’homme est un être de raison. La liberté de conscience s’en déduit par opposition aux dogmes. Tous les hommes étant par nature également libres et indépendants, ont à égalité de titre le libre exercice de la religion que leur dicte leur conscience. Les opinions des hommes qui dépendent seulement des preuves soumises à leur raison ne peuvent pas suivre les ordres des autres hommes.

* Pour le religieux : Dieu ayant créé l’homme doué de raison, c’est un crime contre lui de ne pas la respecter. Il est du devoir de chaque homme de rendre au Créateur tel ou tel hommage qu’il croit acceptable pour Lui. Quelle que soit sa religion, chacun pense qu’elle est d’origine divine. Violer la liberté religieuse est donc une offense à Dieu.

* Pour le politique : la liberté de conscience est un droit inaliénable. Au nom de l’égalité entre les hommes, on ne peut favoriser une religion par rapport à une autre. La religion doit être laissée à la conviction et la conscience de chaque citoyen.

Il s’en déduit que la société civile ne peut pas limiter la liberté religieuse et qu’elle ne doit rien connaître de la religion.

Le pouvoir législatif, l’assemblée des représentants du peuple, a donc encore moins de raison de s’en préoccuper. Le gouvernement d’un pays libre se doit de respecter la séparation des pouvoirs, sinon ses dirigeants sont des Tyrans et les peuples qui se soumettent à des « lois faites ni par eux-mêmes, ni par une autorité qui en dérive, sont des esclaves ».

La constitution américaine

C’est dans cet élan qu’après la promulgation de la Constitution en 1787, la Déclaration des Droits (Bill of Rights) ratifiée en 1789 instaure la liberté religieuse dans le premier amendement [1].


le Congrès ne fera aucune loi qui touche l’établissement ou interdise le libre exercice d’une religion, ni qui restreigne la liberté de parole ou de la presse, ou le droit qu’a le peuple de s’assembler paisiblement et d’adresser des pétitions au gouvernement pour le redressement de ses griefs.


Les Etats prirent des positions très différentes concernant leur relation avec la religion. Certains, comme l’Etat de Virginie, approuvèrent une séparation très stricte similaire à celle de la Constitution fédérale. D’autres décidèrent de maintenir des systèmes de religions établies exclusifs ou pluralistes, plus ou moins rigides. Les systèmes de religions établies étaient souvent plus implicites qu’explicites dans la mesure où le concept avait mauvaise presse, rappelant trop l’époque coloniale.

Dans la pratique, les systèmes d’établissement se décomposèrent rapidement, les religions non établies ayant tendance à gagner beaucoup plus d’adhérents que les vieilles religions établies (Presbytériens, Episcopaliens, Congressionalistes). Les membres de leur clergé n’étant pas subventionnés étaient plus agressifs et entreprenants. L’économie de marché des cultes qui est à la base de la vitalité religieuse américaine, balaya ainsi les derniers monopoles ou oligopoles religieux.

Après la Guerre Civile, le Congrès adopte trois amendements constitutionnels principalement destinés à garantir les droits civils et politiques des Afro-Américains et des anciens esclaves. L’un d’eux, le très important 14ème Amendement stipule donc :


Toute personne née ou naturalisée aux États-Unis, et soumise à leur juridiction, est citoyen des États-Unis et de l’État dans lequel elle réside. Aucun État ne fera ou n’appliquera de lois qui restreindraient les privilèges ou les immunités des citoyens des États-Unis ; ne privera une personne de sa vie, de sa liberté ou de ses biens sans procédure légale régulière ; ni ne refusera une égale protection des lois à quiconque relève de sa juridiction ...


A partir de 1894, cette clause est utilisée progressivement afin d’étendre aux actions des Etats fédérés les protections du 1er amendement.

Les grands évènements historiques sont l’occasion de profonds changements. En plein siècle des « Lumières », la révolution américaine met un terme à la position dominante de l’église anglicane en tant qu’église établie. Elle est l’occasion de mettre en œuvre ces principes, la séparation de l’église et de l’état, et la liberté religieuse. Mais leur mise en place fut d’autant plus longue que l’état ne contrôlait rien sur les terres en cours de conquête alors que s’y réfugiaient les plus hostiles à sa politique. La guerre de sécession (1861-1865) fut si sanglante, 600 000 soldats tués et un nombre indéterminés de civils – plusieurs centaines de milliers - soit plus que dans aucune autre guerre où ils furent impliqués, qu’elle continue d’influencer les Etats-Unis aujourd’hui. Elle marque un tournant dans la position de la Cour Suprême qui prend son indépendance vis-à-vis du politique et s’affirme dans la protection des droits fondamentaux des citoyens [2].

En effet, c’est au pouvoir judiciaire, et à la Cour Suprême en particulier, que revient l’interprétation de la Constitution et le contrôle de l’action des pouvoirs législatifs et exécutifs. Du fait du fédéralisme, chacun des états fédérés est pourvu de sa Constitution propre et de son propre système judiciaire que double le système fédéral. Un conflit judiciaire peut donc suivre une voie locale jusqu’à la Cour Suprême de l’Etat, se prolonger éventuellement jusqu’à la Cour Suprême des Etats-Unis, ou emprunter une voie fédérale depuis une cour fédérale locale jusqu’à la Cour Suprême des Etats Unis. Cependant, celle-ci n’accepte de se saisir que des affaires qui peuvent lui servir à confirmer pour renforcer, préciser une disposition ou infirmer une jurisprudence antérieure. Il s’agit donc pour les plaignants d’adopter dès le départ la bonne stratégie judiciaire.

Le 1er amendement interdit au pouvoir fédéral de légiférer sur des questions touchant à la religion. Cette interprétation a conduit à la doctrine du «  mur de séparation entre l’état et la religion  », selon l’expression de Jefferson lui-même [3]. Cette doctrine se renforce à partir de 1940 avec les nominations de nouveaux juges à la Cour suprême par F. D. Roosevelt dont l’approche est plus moderniste et progressiste et qui permettront la mise en œuvre du New Deal (1933), dans un contexte de rivalité protestants contre catholiques et de lutte pour les droits civiques.

Il faudra attendre 1984, pour que les USA jugent des relations diplomatiques avec le Vatican compatibles avec le 1er Amendement.

Mais depuis on assiste à un raidissement autour d’un concept de racines chrétiennes de la nation et de neutralité de l’état qui perdurent jusqu’à aujourd’hui.

En effet cette doctrine du «  mur de séparation entre l’état et la religion  » est contestée par une lecture « fondamentaliste » de la Constitution qui présupposerait une nation chrétienne. Le 1er amendement interdirait seulement aux autorités fédérales de favoriser une ou plusieurs religions. De plus, contrairement à la neutralité absolue affichée de la période précédente, elle ne les empêcherait pas de légiférer sur des questions religieuses dans la mesure où toutes les églises sont traitées de la même façon.

Cette position prend son plein effet à la fin des années 80 après la période R. Reagan. En 2005, le juge Rehnquist déclarait encore que : «  les institutions américaines présupposaient l’existence d’un Etre Suprême et que Dieu jouait un rôle important dans l’héritage américain . »

La Cour suprême va-t-elle poursuivre longtemps dans cette voie après le décès de son Chief Justice (Président) de 1986 à 2005 ?

Cet article fait partie d’un ensemble intitulé Laïcité aux USA.

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Pour lire la suite (...)

[1Les questions religieuses apparaissent dans le 1er amendement sans raison particulière. À l’origine, en effet, cet amendement était le troisième, mais les deux premiers ne furent pas ratifiés par les Etats. Il apparaît clairement que l’objectif du 1er amendement était, pour les membres du premier Congrès, de protéger la religion de l’ingérence de l’Etat fédéral. Cet amendement ne concerne que l’Etat fédéral et non chacun des Etats fédérés. Cela est confirmé par le fait que le Congrès a rejeté, après l’avoir soumis à un vote, un amendement interdisant aux Etats de restreindre la liberté religieuse. Comme le fait remarquer le constitutionnaliste américain Leonard Levy, la Constitution américaine n’empêchait pas les Etats de recréer l’Inquisition ou d’ériger et maintenir des religions établies.

[2Il ne faut pas interpréter plus avant ce concept de « droits » à ce niveau de discussion. En 1905, la Cour a jugé qu’une loi sur la durée du travail des ouvriers enfreignait la liberté de contrat (de même pour des lois sur le salaire minimum).

[3Thomas Jefferson en réponse à la Danbury Baptist Association (1802) : “Believing with you that religion is a matter which lies solely between man & his god, that he owes account to none other for his faith or his worship, that the legitimate powers of government reach actions only, and not opinions, I contemplate with sovereign reverence that act of the whole American people which declared that their legislature should make no law respecting an establishment of religion, or prohibiting the free exercise thereof, thus building a wall of separation between church and state. Adhering to this expression of the supreme will of the nation in behalf of the rights of conscience, I shall see with sincere satisfaction the progress of those sentiments which tend to restore to man all his natural rights, convinced he has no natural right in opposition to his social duties”.

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