1906 Les inventaires à TOURC’H

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Les inventaires des biens des églises n’étaient pas prévus dans le projet de la loi de Séparation. Ils furent réclamés par des députés de droite ( voir compte-rendu de la séance du 7 mars 1906 à l’Assemblée ).

Simple recensement des propriétés du domaine public, ils furent interprêtés par le clergé et les fidèles comme une nouvelle nationalisation des biens ecclésiastiques ( qui rappelait fort celle décidée sous la Révolution par le décret du 02 novembre 1789 ).

Les représentants de l’Etat durent parfois être protégés par les gendarmes et l’armée, appelée en renfort.

Ce fut le cas à Tourc’h.

C’était un mardi, le 13 du mois de mars 1906. Les paroissiens étaient mobilisés depuis quelques jours, décidés à faire opposition à ce recensement, dans leur église St Cornély. Le forgeron avait ajouté des verrous aux portes, des guetteurs veillaient, du haut du clocher...

Quand ils aperçurent les "recenseurs" accompagnés des gendarmes, ils firent sonner le tocsin pour avertir la population. L’église fut rapidement ceinturée par les paroissiens, coude contre coude, main dans la main ; aucun étranger ne pourrait franchir ce rempart.

Lorsque les gendarmes s’en approchèrent pour dégager l’entrée et permettre aux serruriers requis de crocheter la porte, il s’ensuivit une bousculade et des bagarres, aussitôt suivies de deux arrestations : le frère du maire et un aubergiste.

Un peu plus tard, la foule s’étant avancée , menaçante , vers les fonctionnaires, et les ayant assaillis , les gendarmes reçurent l’ordre de dégager la place. Ils n’y parvinrent pas. Le commissaire spécial de Quimper dût mesurer toute son impuissance. Le Capitaine dL., qui était présent, à la tête de sa compagnie du 118° d’infanterie, fut sollicité pour prêter main forte aux gendarmes.

Le capitaine exigea une réquisition écrite. Le commissaire de police présent la rédigea aussitôt, lui demandant de faire dégager les abords de l’église par ses soldats. Il refusa.

Au bout d’un moment, les soldats quittèrent les lieux, suivis jusqu’au bas du bourg par les militants catholiques qui criaient : " Vive le Capitaine dL.", " Hardi contre la clique sans patrie et sans Dieu !", et chantaient des cantiques : " Nous voulons Dieu..."

Les recenseurs s’adressèrent alors au Maire, lui enjoignant de faire libérer l’église. Celui-ci lui répondit : " Ce matin, je suis venu ici en tant que maire, pour calmer les esprits, mais cet après midi, je suis un simple citoyen parmi ceux de ma commune".

L’inventaire des biens de l’église St Cornély ne put avoir lieu ce mardi là. Il sera effectué une semaine plus tard, le mercredi. Il aura encore fallu la présence d’une compagnie de militaires. Cette fois, ils ont réussi à cerner l’église avant les paroissiens.

Avisé du fait que le capitaine avait refusé d’obéir aux ordres du commissaire de police, l’autorité militaire fit rentrer cet officier à Quimper, où il a pris les arrêts de rigueur.

Les deux hommes arrêtés se retrouvèrent à la prison de Quimper où ils reçurent beaucoup de visites de personnalités de Quimper et des environs, dont celle d’un avocat de Concarneau qui se proposa de les défendre gratuitement. Le tribunal correctionnel de Quimper les condamnera, le premier à 15 jours de prison avec sursis ; le forgeron, à un mois de la même peine avec sursis, 200 francs d’amende et les dépens. celui-ci fera appel. la Cour de Rennes lui retirera l’amende, mais l’enverra en prison pour 10 jours.

Quant au capitaine, le général P. ayant signé l’ordre d’informer, une enquête a été ouverte à son sujet .

Le 6 avril, il comparaissait devant le conseil de guerre du 11ème corps. Pour sa défense, il a expliqué que son refus n’avait pas été catégorique, et il a fait valoir qu’en raison de la surexcitation très grande de la population, son intervention, à ce moment, au lieu de ramener le calme, aurait eu des conséquences diamétralement opposées... JPEG

Sources :

- La Semaine Religieuse de Quimper et de Léon
- Le Finistère
- Témoignage

Sage décision ou position partisane ?

Le capitaine dL. a-t-il été condamné ?

Méritait-il que la rue principale du village porte désormais son nom ?

Les recherches aux archives départementales de Loire Atlantique sont restées sans résultat ( les collections de presse des Archives départementales sont très lacunaires pour le début du XXe siècle). A Pau, à Vincennes ?

Ce sont finalement les archives municipales de Nantes qui ont retrouvé, dans Le phare de la Loire, quotidien de l’époque, le compte rendu du conseil de guerre.

En voici un résumé :

Le phare de la Loire 6 avril 1906 (extraits de la page 3)

Au conseil de guerre

L’affaire du capitaine de L. (Marie Charles Etienne)

… Le capitaine dL. est accusé de refus d’obéir à une réquisition civile légalement formulée…

C’était le 13 mars dernier, à la première tentative d’inventaire de l’église de Tourc’h, dans le Finistère. Sur réquisition du préfet, adressée au général de brigade de Quimper et transmise par celui-ci au colonel commandant le 118ème de ligne, la compagnie du capitaine dL. avait été désignée pour aller maintenir l’ordre dans cette commune.

Les instructions portaient que, s’il y avait résistance, l’inventaire n’aurait pas lieu…

En dehors de la troupe, 25 gendarmes sous le commandement du lieutenant S., s’étaient rendus à Tourc’h, ainsi que monsieur Rouquier, commissaire spécial.

Les faits

A un moment donné, tous les manifestants, qui avaient été dispersés par les soldats, se réfugièrent dans le cimetière ( la petite église de Tourc’h est située au milieu du cimetière). Les gendarmes essayèrent de les faire sortir, mais vainement. Chassés d’un côté, ils revenaient par un autre. C’est alors que le lieutenant Sapin demanda le concours des soldats à leur capitaine. Celui-ci exigea une réquisition écrite du commissaire de police. Il alla vers lui et lui tendit une feuille pour qu’il la rédige. Quand il fut saisi de la réquisition, il refusa aussitôt de l’exécuter.

Les explications du capitaine

… Quand il partit de Quimper, avec sa compagnie, il trouva à la gare le général de brigade qui lui donna des instructions verbales, complétant et précisant les ordres du colonel … La troupe devait protéger l’agent de l’enregistrement , mais n’aurait pas à l’aider par la force à pénétrer dans l’église, puisque, si les portes étaient fermées, et si le curé s’opposait à l’inventaire, celui-ci n’aurait pas lieu (déclarations confirmées par le Préfet, présent à la gare).

D’autre part, au cours des bousculades qui eurent lieu dans le cimetière, le capitaine crut apercevoir le vieux curé de Tourc’h bousculé par les gendarmes ( Le curé a déclaré à l’enquête n’avoir été bousculé, ni rudoyé, ni frappé par personne). Cette circonstance aurait, dit-il, influé sur sa décision.

De plus, … sa résolution à ne pas intervenir s’est encore raffermie quand il a constaté que le commissaire spécial ne s’était pas conformé lui-même à la loi du 7 juin 1848, en faisant disperser l’attroupement sans sommations préalables… (le commissaire spécial a fait observer à l’enquête que çà n’aurait fait qu’envenimer les choses et que la police disperse couramment les foules sans sommations préalables).

Il affirme en outre que faire intervenir ses hommes ne lui sembla pas nécessaire, et les faits le prouvent puisque dix minutes après son refus, le cimetière était déblayé par les gendarmes. ( A cela l’accusation répond que l’officier n’avait pas à juger de l’opportunité de la réquisition ; son devoir était de l’exécuter d’abord, quitte à en référer ensuite à ses supérieurs)…

Le capitaine se reconnaît coupable légalement, et donne comme raison majeure de son refus ses sentiments catholiques qui lui défendaient de malmener d’autres catholiques défendant leur église…..


Le phare de la Loire 7 avril 1906 (extraits de la page 3)

C’est ce matin, à 8 heures que le capitaine de Larminat, du 118 ème de ligne passait devant le conseil de guerre du 11ème corps … A la porte du conseil de guerre, un piquet de soldats du 65ème… Des précautions ont été prises en vue d’empêcher l’invasion de la salle par les curieux et les amis.

« Le maire de Tourc’h a la tenue pittoresque des Bretons, le chapeau à larges bords, avec des rubans. »

La séance :

… … Le capitaine dL. est « un homme grand et maigre, avec une forte moustache. Il porte binocle. Sur sa poitrine, le ruban rouge de la légion d’honneur »… « Aux questions du président, il répond d’une voix légèrement tremblante. »

Rapport du capitaine Plantier (quelques extraits)

… il s’agissait pour la compagnie du 118 ème « d’assurer le maintien de l’ordre et la sécurité personnelle de l’exécuteur de la loi »…

La compagnie arriva à Rosporden par le train, d’où elle se rendit par étapes au village de Tourc’h situé à 8 km. Aux troupes d’infanterie s’étaient joints le commissaire spécial de police Rouquier, 15 gendarmes à cheval et 10 à pied, sous la conduite du lieutenant Sapin.

Vers 10 heures du matin, les rues et chemins avoisinant le cimetière sont déblayées, mais les manifestants se rassemblent à l’intérieur du cimetière où se trouve enclavée l’église. L’infanterie barre toutes les routes et isole le lieu où doit être tenté l’inventaire.

« Les gendarmes à pied ne pouvant arriver malgré la vigueur et l’énergie dont ils faisaient preuve, à assurer l’évacuation du Champ de Repos, le lieutenant Sapin fit mettre pied à terre à cinq gendarmes à cheval et ses 15 hommes tentèrent, avec une énergie nouvelle, d’assurer l’exécution de leur consigne » …

L’erreur du capitaine : « des bousculades se produisirent, c’était inévitable, car expulsés d’un côté, les manifestants revenaient de l’autre … sous une violente poussée la porte principale du cimetière fut brisée… ». Sollicité pour une aide, l’inculpé exigea une réquisition écrite du commissaire spécial de police estimant, à tort, que ce qui lui était demandé outrepassait le but de la réquisition et les instructions verbales qui lui avaient été données au départ. Même si les sommations étaient effectuées par le commissaire, il « refuserait de faire marcher sa troupe, ajoutant : - qu’il était d’ailleurs venu avec cette résolution -.

« Dix minutes après, la gendarmerie avait, à elle seule, déblayé le cimetière, et à partir de ce moment, aucun incident ne se produisit. »

Les explications de l’inculpé :

Le capitaine reconnaît dans leur intégralité les faits qui lui étaient reprochés.
Interrogé sur les motifs de sa conduite, il répond qu’il avait eu honte de protéger une opération qui lui a paru illégale, inutilement violente et odieuse pour sa conscience de chrétien, qu’il refusait en tous cas de faire collaborer sa troupe. « Dans ma conscience de chrétien, je n’ai pas voulu donner à des soldats, chrétiens également, parmi lesquels se trouvaient des élèves ecclésiastiques et des hommes du pays, l’ordre de marcher contre des femmes qui chantaient des cantiques sous les murs d’une église. » « J’estime en outre que cet ordre était contraire également à la dignité et au prestige de ma troupe. J’ai d’autant moins hésité à agir ainsi que la loi venait d’être violée sous mes yeux par l’autorité chargée de la faire exécuter ( ni tambour et ni sommations) » …

Enfin, l’intervention de la troupe était inutile, d’abord parce qu’on pouvait constater que le portes étaient fermées, sans faire évacuer le cimetière par la force, ensuite parce que les seuls gendarmes sont venus à bout, en quelques minutes, de la situation.

Suit une explication de ce qui aurait dû se passer en fonction des divers règlements, des troupes et des gradés en présence …

La question des sommations non effectuées (voir loi du 7 juin 1848 et instructions de juin 1903 art. 14) :

… Le commissaire spécial : « Il faut tenir compte que, dans les circonstances vécues à Tourc’h, au milieu de populations rurales, surexcitées et impressionnables, la stricte application de la loi eût provoqué des incidents et des accidents qu’il était du devoir de l’autorité civile de chercher à éviter… ». Le capitaine le reconnaît.

Suit une présentation des états de service du capitaine dL. …

L’interrogatoire :

En réponse à l’accusation formulée par le président du conseil de guerre :
« J’ai déclaré que j’avais vu le curé bousculé. Ce fait est faux, il n’y aucun doute ; je me suis trompé. C’est moi qui ai demandé lors de l’instruction de faire la lumière sur ce point. Ce fait n’a qu’une importance secondaire, il est vrai, mais néanmoins, je tiens à dire que je m’étais promis de ne pas avoir recours à mes hommes pour faire une chose contraire à ma foi… »

Les témoins :

Le lieutenant S. expose ce qui avait fait office de sommations et comment (et pourquoi ) il s’est adressé au capitaine pour lui demander des hommes.

Le commissaire R., chargé de diriger les opérations d’inventaire, évoque d’autres manifestations récentes et la nécessité du service d’ordre. Le capitaine est venu le trouver pour savoir s’il lui signerait une réquisition, ce qui fut fait. Lorsqu’il l’eût en main, la capitaine déclara qu’il refusait d’y obéir. Procès verbal fut dressé de l’incident. Quant aux sommations, selon lui, elles se font sur la voie publique et n’avaient pas lieu d’être dans un endroit clos (le cimetière).

Le lieutenant A., du 118ème, qui était sous les ordres du capitaine, fait savoir que « personne ne pouvait entendre le refus d’obéir du capitaine. »
Le maire de Tourc’h, M. Le R., confirme que le curé n’a pas été bousculé : il était à ses côtés.

Le commissaire spécial indique qu’il s’agissait de parvenir à la porte de l’église afin de « constater simplement que la porte était fermée. »

Le réquisitoire :

Le lieutenant-colonel L., commissaire du gouvernement, retrace les faits, parle de « la malheureuse idée » du capitaine d’aller trouver le commissaire pour l’inviter à lui donner une réquisition et de son refus d’obéir, prémédité, et d’une gravité indiscutable. Il demande de « punir comme il convient ce refus du capitaine d’obtempérer à une réquisition civile. »

La plaidoirie :

Maître D. revient sur la brillante carrière du capitaine, « irréprochable au point de vue de la discipline et du travail » ; il était à la veille de passer chef de bataillon. Il évoque sa famille, toute croyante, toute religieuse (comprenant des prêtres et des sœurs) et un capitaine pris entre son devoir de chrétien et d’officier. Il rappelle qu’il s’agissait d’une stricte mission de maintien de l’ordre et reporte la responsabilité sur le commissaire, seul habilité à demander une réquisition, car seul juge de la situation. Réquisition qu’il estime illégale pour différents motifs qu’il expose.

L’avocat, s’adressant « à la conscience et à la raison des juges » demande l’acquittement du capitaine.

Le commissaire du gouvernement ajoute que le capitaine ne serait pas là s’il n’était pas allé chercher la réquisition.

Les débats sont clos à 11 heures.

Le jugement :

« Le conseil, après une délibération de vingt minutes, rapporte un verdict par lequel le capitaine de Larminat, à la minorité de faveur * ( 3 voix contre 4) n’est pas coupable d’avoir dérobé à une réquisition civile. Il est donc acquitté.

* sauf erreur, dans les conseils de guerre, il faut cinq voix pour la condamnation de l’accusé.

Impressions d’ambiance :

Moins de monde qu’à d’autres procès similaires ; une assistance assez grande cependant avec beaucoup de dames et d’officiers.

Pas d’incident de séance.

Il ressort pour tout le monde l’impression très nette que le capitaine dL. eût pu facilement éviter l’incident en attendant la réquisition qu’il avait demandée et qui, vraisemblablement , ne serait pas venue.

Pour le commissaire du gouvernement, le capitaine, par cette demande de réquisition, « voulait une manifestation, il l’avait préparée et il est allé au-devant ». L’avocat parlait de simplement « faire un geste ».

Source : Le phare de la Loire 6 et 7 avril 1906 (extraits des pages 3)

A noter :
- 3 cas similaires se sont produits à St Servan, en Ille et Vilaine, le vendredi 23 février : le commandant H., le capitaine C. de L. et le capitaine Sp. Ils ont tous trois été mis aussitôt aux arrêts de rigueur et relevés de leur commandement, puis placés en arrêts de forteresse. Le conseil de guerre les concernant eut lieu le lundi 19 mars 1906. Déclarés coupables (refus d’obéissance), le commandant fut condamné à un mois de prison avec sursis et les deux capitaines à un jour de prison avec sursis. Les 3 furent affectés à des garnisons différentes.

- à Paramé, le 22 février. Le commandant D. refusait de déférer à la sommation du commissaire G.. Le 27 février, le conseil des ministres retirait son emploi au commandant.

source : A.D. Le Finistère 21 mars 1906

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