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A la conquête de financements : du libre choix aux « vouchers » - Laïcité Aujourd'hui

A la conquête de financements : du libre choix aux « vouchers »

, par  hdeb , popularité : 12%

Depuis longtemps, on l’a vu, l’école catholique, a demandé des financements de l’Etat soulignant que la majorité des écoles publiques étaient à dominante protestante. Pour les protestants, majoritaires, les écoles confessionnelles étaient un obstacle à l’assimilation.

En 1925, la Cour Suprême avait eu à juger d’une loi de l’Oregon qui rendait obligatoire l’inscription des enfants de 8 à 16 ans à l’école publique, sauf cas très particuliers. La Cour a reconnu [1] le droit à la diversité dans les choix éducatifs des parents et cherché des accommodements afin de ne pas léser les enfants scolarisés. Elle introduit la doctrine du « bénéfice de l’enfant  » qui stipule que « toute aide financière qui profite directement à l’enfant et non à l’institution religieuse ne viole pas le 1er Amendement ». Elle appuie sa décision sur la liberté (ici des parents de pouvoir choisir leur école et des écoles privées d’exercer leur activité lucrative) qui est garantie par le 14ème Amendement et pendant le demi siècle qui suivra, elle poursuivra dans cette voie au sujet du droit au mariage, à la protection de la vie privée, à avoir des enfants ... et à avorter.

En 1947, une loi du New Jersey autorise le remboursement sur fonds publics des frais de transports des élèves vers leur école, y compris les écoles privées qui sont à 96% des écoles paroissiales catholiques. La Cour suprême a jugé que [2] le 1er Amendement avait pour but, selon la volonté de Jefferson, d’ériger un « mur de séparation entre l’église et l’Etat » et donc que l’argent public ne devait pas pouvoir subventionner directement les activités religieuses. Cette position aura de grandes conséquences pendant plus de 30 ans. Mais pour l’heure, la Cour réaffirme sa doctrine du « bénéfice de l’enfant  » et la loi contestée est déclarée conforme à la Constitution.

En 1965, le président L.B. Johnson [3]qui, en tant qu’ancien enseignant, avait mesuré l’impact de la pauvreté sur ses étudiants, promulgue le Elementary and Secondary Education Act. L’église catholique a obtenu que, les écoles publiques recevant des fonds pour des programmes spéciaux comme l’aide aux handicapés ou l’achat de matériels techniques, les écoles privées puissent obtenir des crédits publics équivalents pour leurs élèves sur une « base laïque, neutre et non idéologique » [4].

Cependant en 1971, l’Etat de Pennsylvanie promulguait le « Nonpublic Elementary and Secondary Education Act » qui permettait de rembourser les dépenses des écoles primaires et secondaires non publiques, essentiellement catholiques, en salaires, livres et matériels scolaires et le Rhodes Island avait décidé de majorer de 15%, sur fonds publics, les salaires des enseignants des écoles non publiques, également essentiellement catholiques. En constatant que 25% seulement des élèves fréquentaient les écoles non publiques, que parmi eux 95% étaient catholiques, et que ces décisions profiteraient à 250 enseignants catholiques, la Cour Suprême jugeait [5] que l’Etat avait des liens excessifs avec la religion catholique puisque l’enseignement faisait partie intégrante de la mission religieuse de cette église. De ce fait ces dispositions violaient le 1er Amendement.

Cette période voit la naissance de milliers d’écoles chrétiennes dans le sud des Etats-Unis et ils se mettent aussi à réclamer des financements publics. Le candidat Reagan promet d’instituer un système de « vouchers » (bons d’échange) financés sur fonds publics que les parents pourraient utiliser dans les écoles de leur choix. Comme d’autres, il sait que cette mesure ne passera pas au Congrès et il faudra attendre le milieu des années 90 pour que l’opinion publique soit plus favorable à cette mesure.

En 1995, l’université de Virginie a instauré un système de frais pour activité qui sont payés par les étudiants chaque semestre. Ces fonds sont redistribués sur présentation des factures payées par des groupes d’étudiants déclarés au titre « de l’actualité étudiante, d’information, d’opinion, de divertissement ou de communications académiques des groupes de médias ». Les autres activités étudiantes qu’elles soient philanthropiques, politiques ou religieuses ne peuvent avoir accès à ces fonds. Un étudiant avait fondé la revue « Wade Awake » a but d’expression philosophique et religieuse" pour « faciliter la discussion et une ambiance favorable a la sensibilité chrétienne et la tolérance vis-à-vis de ces points de vue » et de « tendre à unifier les chrétiens issus de milieux multiculturels ». Dans le premier numéro de « Wake Awake » figurait des articles sur le racisme, la crise de la grossesse, l’homosexualité, la prière, CS Lewis, des troubles de l’alimentation, et des entretiens avec les membres du corps professoral. L’université a refusé de régler la facture de l’imprimeur qui se montait à 6000$ au motif qu’il s’agissait d’une publication religieuse. L’université soutenait que si elle contribuait au financement public d’une publication religieuse elle violerait le 1er Amendement. La Cour Suprême a souligné [6] que l’Etat doit être neutre dans ses expressions et dans sa manière de gérer l’espace public pour que toutes les opinions puissent s’exprimer y compris religieuses. En l’espèce ce n’est pas l’Etat qui s’exprime puisqu’il (en fait l’université) ne fait que payer les factures des imprimeurs de tous les groupes d’étudiants d’expression et d’opinions diverses (y compris anti-religieuses) avec l’argent déboursé par les étudiants eux-mêmes, sans qu’il passe par les caisses de l’Etat. Il n’y a donc pas violation du 1er Amendement.

La détérioration du système scolaire dans les quartiers défavorisés rend les parents de plus en plus réceptifs au discours des groupes conservateurs, la nouvelle droite chrétienne et l’Eglise catholique contre l’école publique. Le système des «  vouchers » est un bon moyen pour les hommes politiques d’échapper aux lourds investissements nécessaires pour offrir un enseignement public de qualité. Les « vouchers » vont permettre à de nombreux parents de retirer leurs enfants des écoles défaillantes pour les inscrire dans les écoles de leur choix, publiques ou privées. Mais comme ces dernières sont majoritairement confessionnelles, par ce biais, un financement public pourrait atterrir directement dans les caisses d’écoles religieuses ce qui serait contraire au « Lemon Test ».

C’est alors que dans le droit fil de la neutralité de l’Etat, la Cour Suprême rend en 2000 un jugement [7] sur un programme qui demandait aux écoles publiques de partager les fonds fédéraux sur une base « laïque, neutre et non idéologique » pour l’achat d’ordinateurs, de programmes informatiques et de manuels. Or pour les parents de l’école publique, 30% des crédits distribués à des écoles privées majoritairement confessionnelles, c’est une violation de la Constitution. Pour la Cour suprême c’est l’occasion d’en finir avec le « Lemon Test ». Partant du fait que l’argent public est distribué sans distinction à toutes les institutions scolaires, la Cour estime que la neutralité de l’Etat est respectée. Pour la Cour, ce n’est pas l’ordinateur ou le projecteur qui endoctrine avec le message religieux mais celui ou celle qui le diffuse. En conséquence, on ne peut pas en faire le reproche à l’Etat qui est neutre, alors que les parents ont le choix. Cette décision va permettre de franchir le pas suivant, la légalité des « vouchers ».

Dans la banlieue de Cleveland, Ohio, les écoles publiques sont dans un état de délabrement complet au plan matériel comme éducatif. Le programme de « vouchers » ouvrait des droits à des frais de scolarité, selon les revenus et pour un montant maximum de 2250$ par an, pour les parents d’élèves participants au programme et allant dans les écoles publiques ou privées de la ville et des banlieues avoisinantes. Une allocation scolaire était en outre accordée aux élèves restant dans l’enseignement public. Toutes les « bonnes » écoles publiques, celles des secteurs les plus favorisés, ont refusé d’adhérer au programme. Le montant des vouchers étant insuffisant pour financer la scolarité dans une école privée non confessionnelle (18% des écoles privées), les parents adhérents au programme ont choisi massivement (97%) une école religieuse indépendamment de leurs convictions personnelles et sans aucun contrôle sur l’enseignement dispensé. Les concepts de neutralité de l’Etat et de libre choix des parents sont évidemment bafoués. Pour rendre le tableau plus sinistre encore, le montant des crédits étant insuffisant par rapport au nombre d’inscrits au programme, l’attribution des « vouchers » se fait par tirage au sort

En 2002, la Cour Suprême est saisie du problème [8]. Elle établit cinq nouveaux critères :

- le programme doit avoir un véritable but laïque,
- l’aide doit aller aux parents et non aux écoles,
- une vaste catégorie de bénéficiaires doit être couverte,
- le programme doit être neutre en ce qui concerne la religion, et
- il doit exister des options laïques adéquates.

Elle applique ces critères aux « vouchers » de Cleveland : le but laïque du programme était de « fournir l’assistance éducative aux enfants pauvres, le système scolaire public étant d’évidence en défaut », les « vouchers » ont été remis aux parents, et tous les élèves inscrits dans les écoles actuellement en défaut constituent bien une « vaste catégorie », les parents qui ont reçu des « vouchers » n’ont aucune obligation de s’inscrire dans une école confessionnelle, et il existe d’autres écoles publiques dans d’autres quartiers, ainsi que des écoles privées non religieuses, qui acceptent les « vouchers ». La Cour souligne que ce sont les parents qui remettent l’argent aux écoles privées et non l’Etat.

La Cour Suprême des Etats-Unis soutient donc que le système des « vouchers » et des écoles privées financées par l’Etat sont nécessaires pour donner aux parents des enfants les plus démunis, qui sont aussi ceux qui ont les besoins éducatifs les plus grands, les moyens de choisir les écoles les plus efficaces. Sinon le principe même du 14ème amendement serait en échec.

Bien qu’elle s’en défende, tout le monde a compris qu’elle approuve pour la première fois l’utilisation de l’argent du contribuable pour le financement de l’éducation religieuse puisqu’il est impossible de dissocier la part de celle-ci dans l’enseignement dispensé.

Ayant dit le droit et invoqué le 14ème Amendement, La Cour suprême renvoyait la question aux Etats. Mais à ce niveau, les législations sont souvent défavorables aux systèmes des « vouchers ». L’ « Amendement Blaine » de 1875, qui proposait d’inscrire dans la Constitution l’interdiction de toute aide financière directe aux écoles affiliées à une religion, avait été adopté dans de nombreux états sauf 11. Les états créés ultérieurement, recopiant souvent les termes des Constitutions de leurs voisins, l’ont adopté eux aussi, d’autant plus facilement qu’il était dirigé contre l’Eglise Catholique. Les législations instituant les « vouchers » ont donc été facilement déclarées inconstitutionnelles au niveau des Etats.

En général le contribuable américain qui n’est pas automatiquement parent d’élève, est peu favorable à l’attribution d’argent public aux écoles privées. De nombreux référendums pour retirer des constitutions l’amendement Blaine ont été perdus. A titre d’exemple le plus récent, en Floride, 38% des électeurs seulement y seraient favorables. Toutefois ce taux passerait à 63% si la loi précisait que 65% des fonds doivent être dépensés dans la classe, un tour de passe-passe puisque cela correspond au taux moyen observé dans les écoles ! Les défenseurs de l’école publique et les enseignants dénoncent ce système. Ils ont été rejoints par certaines organisations religieuses minoritaires. Ces dernières faute d’élèves en nombre suffisant ont besoin des écoles publiques dont l’enseignement neutre est garanti. Elles demandent donc que l’effort porte sur le rétablissement du système public qui selon elles est en cours de démantèlement.

Depuis, les années 1990, sont apparues des « charter schools » qui sont des écoles publiques au sens du financement sous contrat mais sans obligation pédagogique ni réglementaire, sinon une promesse d’efficacité et d’opportunité de gagner de l’argent, fondées par des individus, des institutions publiques ou privées. Elles sont théoriquement non confessionnelles, doivent recevoir le nombre d’élèves prévu au contrat et ne pas pratiquer de discrimination. Les libéraux y voient l’expression du libre choix mais leur détracteurs constatent que l’enseignement n’y est pas contrôlé, les enseignants sont souvent sous-payés, et la discrimination y est parfois pratiquée.

Faute de majorité pour supprimer l’« amendement Blaine » qui leur ferme la route des « vouchers » par référendum, les organisations religieuses les plus en pointe attendent une occasion pour entamer une procédure qui les conduirait le plus vite possible à la Cour Suprême où elles sont sures d’obtenir une déclaration d’inconstitutionnalité en invoquant le 14ème amendement.
C’est donc une question de temps.

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