Communautés et communautarismes
A partir d’un article de Samuel Tomei
Le communautarisme a toujours hanté la République :
les uns le désignent comme une poussée de fièvre identitaire, marginale, passagère et sans danger ; d’autres, par contre, y voient un risque d’éclatement de la société, et s’empressent d’appeler la laïcité à leur secours.
Il me semble important de commencer par définir communauté et communautarisme :
Des individus pourvus de caractéristiques communes - religion, origine ethnique, langue, comportement sexuel...- se regroupent. En s’associant, ils forment une communauté . Il en existe de multiples, à vocation très diverses, opposées parfois.
A quel moment peut-on parler de communautarisme ?
Dès lors que la communauté revendique des droits dérogatoires au droit commun et qu’elle limite, au nom de sa propre norme, l’autonomie des membres qui la composent.
Ces revendications font voler en éclats le principe de liberté et d’égalité devant la loi.
Par ailleurs, en s’opposant aux principes républicains fondés sur l’individu et l’universalité, une telle communauté ne se reconnaît plus dans la norme nationale.
Précisons les mots :
Individualisme : théorie qui voit dans l’individu la suprême valeur dans le domaine politique, économique, moral (Robert).
"La personne humaine est le fond même et le cœur de la société : la liberté fondamentale de toute société, c’est la liberté de la personne humaine". C’est Ferdinand Buisson qui parle ainsi.
Universalité : caractère de ce qui concerne la totalité des hommes, de ce qui s’étend à tout le globe.
Le communautarisme prône une appartenance particulière et exige que sa différence soit créatrice de droits spécifiques. Du règne du droit commun, il entend passer au règne des droits particuliers, à la volonté de captation de morceaux de souveraineté, par certains groupes ( religieux, sexuels ou autres...). Ce que nous appelons le domaine privé investit le domaine public.
Au nom de la tolérance, certaines communautés réclament :
De pouvoir porter le voile en classe ou derrière le guichet d’un établissement public, de bénéficier de repas particuliers, de ne pas assister à certains cours, d’être soignées exclusivement par des femmes, d’exclure tous les hommes de la piscine à certaines heures ...
De créer le délit d’injure homophobe
De rendre obligatoire l’apprentissage du corse dans les écoles publiques.
Tous ces exemples témoignent d’une résurgence du communautarisme, et nous ne pouvons que constater que les pouvoirs publics ne les freinent guère, tant au plan local qu’au plan national. Seule, et bien peu souvent, l’instance judiciaire a réagi.
Le communautarisme aboutit à la désagrégation du lien social, à la perte du vouloir-vivre ensemble qui est le ciment de la nation. Si l’on n’y prend garde, peu à peu, l’espace social risque de se tribaliser, de s’ethniciser, et ce au nom d’une idée étroite de la tolérance.
La République laïque reconnaît le droit à la différence ; elle est fondée sur un humanisme qui dépasse toutes les différences, sans les nier. Elle ne saurait reconnaître la différence des droits. Ainsi seulement le politique peut-il se référer à l’intérêt général.
Pierre André Taguieff, philosophe :" La politique dans une société multicommunautariste se réduit à un arbitrage permanent entre des groupes de pression dont les intérêts sont rivaux, incompatibles ou mutuellement exclusifs".
Le meilleur rempart contre cette évolution paraît être la laïcité républicaine.
Rappelons que le mot "laïque" vient de "laos", le "peuple" en grec, et s’oppose à "kleros", le "bon lot". La laïcité est une lutte permanente du peuple contre la volonté de tel ou tel groupe de s’arroger une part d’autorité sur le peuple , autorité qui ne viendrait pas de ce peuple lui-même. Le communautarisme rejoint ici le cléricalisme.
Quelles armes contre les communautarismes ? Les articles 1 et 3 de la DDHC de 1789 :
Si "tous les êtres humains naissent libres et égaux en droit", et si "tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne", il n’y a aucune possibilité d’emprise d’une communauté sur l’individu. La souveraineté de l’individu et ses droits inviolables sont fondés sur ces 2 articles. A cela s’ajoute le principe de souveraineté indivisible, inaliénable et imprescriptible de la nation.
Dans la logique républicaine, l’homme s’épanouit dans le citoyen. C’est en tant que citoyen qu’il revendique des droits, droits qui doivent être applicables à tous. Le particulier trouve sa place dans l’universel.
L’école laïque est au cœur du dispositif républicain. A une communauté fondée sur quelles valeurs les français appartiennent-ils ?
Il suffit de se référer au préambule de la Constitution : l’école doit être le lieu de l’universel émancipateur. Cela implique pour elle 3 séparations :
la séparation d’avec les dogmes religieux
la séparation d’avec la politique partisane. Selon F. Buisson : il faut donner au citoyen en devenir "l’idée qu’il faut penser par lui-même, qu’il ne doit ni foi ni obéissance à personne, que c’est à lui de chercher la vérité et non pas de la recevoir toute faite d’un maître, d’un directeur, d’un chef quel qu’il soit, temporel ou spirituel"
la séparation de la société. Pour reprendre le mot de Péguy : "l’instituteur est le représentant non de la société, mais de l’humanité"
Ce sont les conditions de la liberté ; nous sommes là au cœur de ce que nous entendons par laïcité, et à l’opposé de ce que prônent les communautaristes de tous bords.