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Chemin (s) faisant … - Laïcité Aujourd'hui

Chemin (s) faisant …

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Réunion du 23 janvier 2013

Chemin (s) faisant …

« Quand on voyage vers un objectif, il est très important de prêter attention au chemin. C’est toujours le chemin qui nous enseigne la meilleure façon d’y parvenir, et il nous enrichit à mesure que nous le parcourons. » Paulo Coelho.

Laurent LAOT, prêtre, sociologue, enseignant universitaire, vient de publier « De la laïcité, chemin (s) faisant » (Ed. Temps présent), un ouvrage où il rassemble plusieurs de ses contributions sur le thème de la France républicaine.

Le (s) du titre nous a aussitôt interpelés, et pour qui connaît un peu l’auteur et ses origines, ce titre n’est probablement pas étranger à son itinéraire personnel, très différent des cheminements de la plupart d’entre nous. Mais aussi surprenant que cela puisse paraître à certains, son itinéraire de prêtre et nos cheminements convergent vers un même point : la loi de 1905 et son application dans son esprit d’origine.

Note : ses récentes prises de position vis-à-vis du « mariage pour tous » ne laissent personne indifférent.

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Nous sommes 3 membres du groupe Laïcité Aujourd’hui à nous être procurés cette publication. Nous en avons parlé entre nous et nous avons souhaité échanger et confronter nos impressions et nos remarques. En voici quelques unes …

Nos remarques communes :

-  Une source quasi unique, d’une grande richesse : la SRQ : Semaine Religieuse de Quimper et de Léon, considérée par l’auteur comme la « voix de l’évêché ».

-  Un vocabulaire choisi, très travaillé, un style pas facile, avec des tournures qui appellent voire nécessitent parfois une 2ème lecture pour en percevoir l’entière portée ….

Quelques notes de P.

-  1/ Les différents temps :

-  1907 – 1939 : la vive opposition de la hiérarchie catholique à la loi de Séparation des églises et de l’état se révèle continue, avec quelques variations momentanées de tonalité, mais rien ne change sur le fond (à Quimper, Mgr Duparc est nommé en 1908. Pour lui : Laïcisation = Révolution = guerre déclarée contre Dieu et contre l’Eglise p. 212). Le discours général de l’épiscopat s’adapte au contexte politique du moment en conservant une terminologie militaire, ceci jusqu’en 1914 où l’Union sacrée impose le silence.

-  Après guerre : 1919 Un esprit de conciliation émergerait-il ?. Déclaration des Cardinaux… SRQ des 6 et 13 juin : « Le régime de la Séparation de l’Etat d’avec l’Eglise est de soi contraire à l’ordre voulu par Dieu. Si cependant certaines circonstances semblent l’imposer, la Séparation doit se faire selon les règles de la justice, et l’Etat reste toujours tenu de respecter le droits et les libertés de l’Eglise »

-  La question des associations cultuelles est résolue : elles sont devenues associations diocésaines, sous tutelle de l’évêque.

-  1924  : Retour de « la guerre » : une résistance active se développe, face au Cartel des gauches, et sa volonté d’extension des lois laïques (à l’Alsace Moselle …), la suppression de l’ambassade du Vatican, la rigueur nouvelle vis-à-vis des congrégations non déclarées… SQR 9 janv. 1925 : 20 000 manifestants à Quimper 50 000 au Folgoet.

-  SQR 20.03.1925 « Les lois de laïcité sont injustes parce qu’elles sont contraires aux droits formels de Dieu …et parce qu’elles sont contraires à nos intérêts matériels et spirituels » … « Elles ne sont pas des lois ; elles n’ont de loi que le nom, un nom usurpé » … « Il ne nous est pas permis de leur obéir, nous avons le droit et le devoir de les combattre et d’en exiger, par tous le moyens, l’abrogation. »

-  Sous Vichy : rupture de tonalité : il n’est plus question de combat frontal ; le « loyalisme » prévaut (le patriotisme, l’union entre français autour du gouvernement légitime prévalent p.216). Le salut du pays dépend de son retour aux traditions chrétiennes. SQR 8 septembre 1939 Lois concernant les écoles, les congrégations…

-  Depuis la Libération : la « tolérance » (la laïcité a été inscrite dans la Constitution)

-  Cependant, Mgr Duparc déclare dans SQR 15 mars 46 : « pour reconstruire le monde, il faut mettre à la base Dieu », en opposition avec la SQR du 15 février qui énonce : « L’Etat dans un pays divisé doit être laïc … » p 218 et la prise de position du Cardinal Saliège.

-  Mgr Fauvel (1947 – 1968) : Une nouvelle ligne apparaît marquée par un grand silence vis-à-vis de la Séparation (consentement de fait ?). Sans sortir de l’intégralisme, la perspective n’est plus de promouvoir une contre société. La nouvelle politique déployée consiste à être présent au monde moderne : les actions catholiques spécialisées se développent ; il s’agit d’ être dans ce qui est et se fait, être avec … ( une sorte de compagnonnage dans l’univers mental laïcisé, en particulier par des contributions au débat … Note : le législateur n’est plus condamné…) se rapprochant ainsi les positions des catholiques « bleus ». p. 220.

Cependant les objectifs restent ciblés : adhésion d’un côté, résistance à la loi de Séparation de l’autre. La tolérance devient sélective : ne rien céder sur les questions de mœurs (sexualité, vie/mort, euthanasie) et sur la question scolaire.

-  2/ L’institution catholique s’avère bien plus diverse que ne le fait penser sa communication habituelle.

-  P. 192 « on ne saurait penser que les positions qui y sont exprimées (dans et par la publication : la SRQ) sont, de soi, représentatives de l’opinion des prêtres, et à plus forte raison, des catholiques finistériens eux-mêmes. »

-  3/ Quant à sa démocratie interne…

-  Lors de la première assemblée plénière de l’épiscopat, les 30 et 31 mai 1906, 48 contre 26 évêques se prononçaient pour la recherche d’un modus vivendi, 56 contre 18 étaient favorables au projet d’associations canoniques et légales (cultuelles). p. 209. Pour autant, le catholique de base n’aura pas connaissance des débats qui ont traversé l’épiscopat français sur la conduite à tenir au sujet de la loi de 1905.

-  4/ Les positions de la hiérarchie persistent malgré un environnement qui change :

-  Une constante au fil des ans : Etrangeté et hostilité entières au principe de laïcité, à la Modernité. L’intégralisme catholique décrète que la religion et son organisation sont une nécessité sociale, et que ceci doit être institutionnellement reconnu ( Note : la laïcité est impensable dans une telle perspective). p. 210

-  S’il existe des différences, des décalages entre les voix de l’évêché (selon l’évêque en poste), la voix de l’épiscopat de France et la voix du magistère romain, globalement, la Semaine Religieuse de Quimper fut en conformité avec la voix hiérarchique dans la durée : de l’anathème avec un combat frontal (jusqu’en 1944) à la « tolérance » de la loi de 1905, une sorte de conciliation ensuite (il existe bien un avant et un après la seconde guerre mondiale)

-  Une stratégie qui reste la même, fondée sur :

-  La prière (publiques collectives parfois + pénitence), pour éviter la colère de Dieu. Rappel : le Domine salvam fac rempublicam, prière pour la république française (sous le Concordat)

-  L’action collective en amont et en aval des actes législatifs, forger la contre société de l’Eglise pour parer à la contre église de la société « achats chez les catholiques… les dons ciblés … ». Il s’agit d’une armée en marche avec le pape comme chef suprême. Consignes électorales, même si l’électorat adhère majoritairement au principe de séparation.

-  Des directives, des orientations déterminées pour la conduite à tenir au pied du mur de la confrontation directe en distinguant : le nécessaire (création du denier du culte, par ex.), le souhaitable (repli tactique sur l’essentiel : attitudes liées aux mœurs / laïcisation des écoles), le possible (résistance passive mais intransigeante en s’appuyant sur les textes légaux p.207). Il s’agit souvent de parvenir à justifier l’idée de persécution qui est avancée par eux-mêmes… (voir les idées de cathophobie ou de christianophobie encore avancées par certains de nos jours).

« C’est la tactique ordinaire de partis cléricaux… Ils poussent à bout l’autorité civile, puis présentent les actes d’autorité qu’ils ont provoqués comme d’atroces violences » Ernest Renan dans « Histoire du peuple d’Israël ». p. 208

-  Note : récemment, les formes de l’offensive des intégralistes contre le mariage pour tous n’étaient-elles pas très voisines de ce modèle ?

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Quelques notes de J.

Ebauche d’une nouvelle attitude de l’église romaine ?

Le chapitre 8 « De la relativité en laïcité » clôt la seconde partie du livre. Laurent Laot définit le principe de laïcité, devenu principe constitutionnel de notre République en 1946, comme suit :

« Un tel principe se décline en plusieurs : « il faut », - sa généralité recevant ainsi de se traduire en plusieurs principes particuliers Le premier à nommer n’exprime qu’une distanciation fondamentale par rapport au passé : il faut mettre fin à ce qui prévalait avant, l’association organique entre les entités politiques et les entités religieuses. Quant à eux, les autres articulés, déterminent la nouvelle orientation créatrice préconisée au plan du droit. Il faut instituer la dissociation entre politique et religion. Il faut rendre les pouvoirs publics – l’Etat – indépendant des confessions religieuses ( nous nommons cela « séparation »). Il faut faire en sorte que les espaces publics soient neutralisés au regard des symboliques confessionnelles. Il faut établir dans le pays la liberté entière de ne pas croire et de croire – la liberté (publique) de conscience et de culte-, étant entendu qu’il faut aussi garantir l’égalité de tous comme citoyens quoi qu’il en soit des options religieuses ou philosophiques de chacun. Le tout parce qu’il faut assurer dans le pays les conditions d’un vivre ensemble en bonne harmonie, d’un avenir commun durablement soutenable, entre des habitants différenciés en matière religieuse et philosophique ».( page 177).

Après la seconde guerre mondiale, le Vatican tolèrerait-il la laïcité ainsi définie ? Trouverait-elle grâce à ses yeux ? Une certaine tolérance apparaît effectivement à cette époque, mais « au final, tout le monde comprend : Rome entend garder les clés de la définition correcte de la laïcité, de la laïcité tolérable à ses yeux -hors de laquelle, c’est du laïcisme. Ce par quoi se dit son opposition à la laïcité qui est » (page 229).

Seules les cibles ont changé  : les actes de législation relatifs aux mœurs et aux sciences (avortement, contraception, procréation médicalement assistée, cellules souches embryonnaires…) sont autant de sujets de discorde.

Sa très intéressante analyse de l’encyclique L’EVANGILE DE LA VIE traduit bien la position de Rome sur l’avortement. Celle-ci est inacceptable dans un état laïque et Laurent Laot nous indique quelle attitude devrait avoir l’Eglise catholique pour débloquer la situation.

Analyse de l’encyclique : L’évangile de la vie.

« L’avortement doit être tenu pour un mal absolu au nom du caractère inviolable et sacré de toute vie humaine. Il en est de même pour l’euthanasie. En conséquence, par principe éthique, la pratique de l’avortement et de l’euthanasie est absolument injustifiable, d’une part, et ne peut en aucune manière donner lieu à dépénalisation légale, d’autre part. Telle est pour l’essentiel, l’idée force que le texte de l’encyclique E.V. veut faire valoir, - la prise de position qui s’y exprime.

Comprenons-nous bien, sous l’analyse qui est la nôtre, c’est la pointe finale de cette idée-force qui désigne la source du problème à condidérer, - la pointe relative à la législation : le refus d’admettre qu’une dépénalisation légale soit envisageable. Ce qui signifie en réalité la volonté de faire en sorte que la loi impose à tous une ligne de conduite conforme aux normes particulières définies par les autorités catholiques au titre de leurs convictions propres.

Soulignons-le, dans une version catholique il y a là l’expression d’un trait commun à tous les intégralismes religieux : la volonté que la loi soit en stricte conformité avec les normes définies par la religion. Et sur le fond, à cet égard rien ne distingue la ligne « catholique » ici pointée –la ligne officielle en catholicisme- de celle qui par exemple, est mise en avant par des islamistes en ce qui concerne la charia (législation islamique). Sachant que par ailleurs ensuite, des distinctions d’importance décisive sont à faire s’agissant du choix des moyens préconisés pour atteindre l’objectif ainsi visé. En l’espèce, le refus clair et net de l’usage de la violence est un marqueur de la position des autorités catholiques. Ce qui est certes à faire remarquer, mais en ajoutant que du côté islamiste il existe aussi bien des partisans d’une telle position…

On aurait très bien pu imaginer un texte qui, précisément, n’aurait pas généré un tel problème. C’est—à-dire un texte dont l’idée- force aurait eu une formulation du type suivant par exemple, le soulignement étant choisi pour bien valoriser la différence : « De notre point de vue, l’avortement doit être tenu pour un mal absolu au nom du caractère inviolable et sacré de toute vie humaine. Il en est de même pour l’euthanasie. En conséquence, nous estimons que par principe éthique la pratique de l’avortement et de l’euthanasie est absolument injustifiable de la part des catholiques en ce qui les concerne. Mais nous prenons acte du fait que d’autres points de vue existent à cet égard dans les sociétés, et tout bien considéré, la dépénalisation légale d’une telle pratique ne nous paraît pas condamnable en soi. » (page 232-233)

« Catholiques autrement, car catholiques », le livre s’achève sur ce chapitre réservé aux pratiquants d’un catholicisme compatible avec notre République laïque. « Le respect de la pluralité implique…qu’une séparation soit établie entre le domaine de la vie collective et le domaine de la vie personnelle. En aucun cas, ni par les dispositions adaptées, l’opération de législation ne doit laisser penser…qu’une fraction particulière de la population est rendue en mesure de faire la loi en fonction de ses propres normes de référence, autrement dit, d’imposer à tout le monde des règles qu’elle estime devoir, quant à elle, se donner. »

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Quelques notes de R.

Ce livre comporte 3 parties.

La 1ère ("En amont de la laïcité advenant") m’a été d’un grand intérêt historique. Elle analyse en effet la longue et laborieuse émergence de la notion de laïcité, de l’Edit de Nantes en 1598 à la loi de séparation des Eglises et de l’Etat en 1905, en passant par la Révolution française de 1789 et le concordat de 1801...

Dans la 2e partie ("Au cœur de la laïcité advenue"), L. Laot fait une analyse rigoureuse des éléments constitutifs de la laïcité à la française et de ses corollaires en citoyenneté, pour le "vivre "ensemble".

J’ai relevé notamment la distinction essentielle entre "le juste" et "le bien faire" ; le juste étant "ce qu’il est juste d’établir comme règles de vie commune" ; et le bien (opposé au mal) ce que chacun choisit comme règles de sa vie privée, en accord avec sa religion ou sa philosophie personnelle. (Utilisant un autre vocabulaire, je parlerais d’éthique collective" et de "morale personnelle".)

L’auteur insiste évidemment sur le fait que l’établissement des règles de cette éthique collective relève du seul législateur, le peuple souverain, directement ou par ses représentants élus ; et ce, à l’abri de tout lobby religieux ou philosophique.

La 3e partie ("Le monde catholique face à la laïcité") n’a guère retenu mon attention. Quoique catholique pratiquant moi-même, je ne m’intéresse plus à la hiérarchie ecclésiastique, par rapport à laquelle j’ai pris mon autonomie de pensée et de comportement, au nom de ma liberté de conscience.

"Libre croyant", je me retrouve ainsi parmi ceux que L. Laot appelle "chrétiens autrement" dans son dernier chapitre.

Ma lecture terminée, j’ai vraiment regretté que l’auteur élude pratiquement le problème de l’enseignement privé catholique, financé par la République, alors qu’il est pourtant qualifié, par le Vatican, d’institution de l’Eglise" !!

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3 lectures croisées qui n’ont pas fini de nous enrichir sur ce sujet de la laïcité "en chemin" depuis plus d’un siècle...
P., J. et R.

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