Genèse de la liberté de conscience (2) : ZWINGLI, CALVIN et CASTELLION

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Pour la réunion du 4 avril 2018 par P.B.

ZWINGLI, CALVIN et CASTELLION

Avec Erasme et Luther, une dynamique de résistance s’est amorcée face à l’omnipotence du clergé. C’est une rupture avec la tradition et elle s’avèrera profonde. La réflexion personnelle du croyant est mise en avant et la religion commence à être envisagée comme une question relevant du for intérieur.

Huldrych Zwingli : Un pasteur et théologien suisse engagé.

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Il est décrit ainsi par Peter Opitz, un spécialiste de Zwingli :
« Timide, modeste, zélé, mais aussi incapable de jouir de la vie » « Mâchoires serrées, regard au loin, bible dans une main, épée dans l’autre » (en partie faux dira un autre auteur).

Pour lui comme pour Luther, l’important, c’est la conversion : l’œuvre essentielle de l’homme est de croire en l’Évangile. Mais Zwingli ne veut surtout pas s’en rapporter à l’interprétation des autres. Il veut comprendre ces écrits au plus juste afin de les appliquer au plus près. Ses choix seront fondés sur cette étude toute personnelle de la Bible et il s’opposera à tout ce qui ne se réfère pas expressément aux Écritures.
S’appuyant sur les méthodes des humanistes, sur la raison - il a étudié Thomas d’Aquin -, il confronte les textes originaux aux diverses traductions du Moyen-âge.

Ses travaux l’amèneront à dénoncer la superstition, l’hypocrisie, la corruption, le luxe, la paresse en vigueur dans l’institution catholique ... Bien entendu, il rejette l’autorité de Rome. Il se fait remarquer pour ses prêches « explosifs » contre la vénération des images, l’adoration des reliques et des saints par exemple. Il s’engagera contre le célibat. A propos de l’Eucharistie, il s’opposera à Luther sur la présence réelle du Christ dans le pain et le vin : pain et vin, « instruments » de la présence du Christ, pour Luther, des « signes » seulement, pour Zwingli.

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Pour lui, la Réforme dépasse la question de la religion. Au nom de l’Évangile, il lutte contre les abus socio-politiques. Il dénonce les injustices sociales. Il demande avec force aux magistrats de rendre une justice impartiale… Il publiera ses positions dans "de la justice divine et de la justice humaine".

En 1523, il rédige Soixante-sept thèses sur la seule base des Écritures.

Comment a-t-il pu réaliser tout cela ? Devenu curé de Zurich, il fut protégé par les autorités politiques de la ville.

Mundum veni non modo redimere, sed etiam mutare : « Je ne suis pas venu seulement racheter le monde, mais bien le changer » disait-il.

JPEG Avec ses thèses, Zwingli va se faire beaucoup d’ennemis : les catholiques bien sûr, mais aussi les anabaptistes, Érasme et Luther.

Engagé dans la société, il fut aumônier militaire lors les actions de guerre, fréquentes à l’époque. Zwingli meurt lors de la bataille de Kappel le 11 octobre 1531. Le jour même, à la fin du combat, quand sa dépouille fut reconnue, son corps fut couvert d’insultes : dès le lendemain, le cadavre fut livré au bourreau pour qu’il fût écartelé, puis les restes sanglants furent brûlés, et les cendres jetées au vent...

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Certains des premiers partisans de Zwingli recherchent une pureté éthique et doctrinale : le baptême ne devrait pas être administré avant l’âge de raison. Pour entrer dans le processus du salut, la démarche doit être consciente, réfléchie, délibérée. Ils souhaitent une coupure radicale entre la Cité et l’Église : ils se séparent de Zwingli et créent le mouvement anabaptiste. Au nom de la liberté religieuse, le mouvement s’oppose à l’autorité du pape, comme à toute intervention du gouvernement civil. Ils n’admettent aucun ordre extérieur qui ne fût fondé sur l’Évangile. La plupart de ces croyants rejettent la doctrine du péché originel au profit du libre arbitre que défendait Érasme.

JPEG Soupçonnés d’être de dangereux anarchistes, ils seront abominablement persécutés à travers toute l’Europe.

Certains groupes anabaptistes vont émigrer en Amérique du nord et certains prendront le nom de leur chef, huttérites, amish conservateurs, mennonites libéraux (Note : En France, les mennonites sont aujourd’hui au nombre de 2050 environ, et se répartissent dans 32 Églises).

Selon la confession de Schleitheim, voici la théologie fondant l’anabaptisme :

1. Le baptême est réservé aux consentants de la foi, c’est-à-dire aux adultes sûrs de la rédemption et qui veulent vivre dans la fidélité au message du Christ.

2. La cène n’est que symbolique. Il n’y a ni consubstantiation ni transsubstantiation.

3. Le pasteur est élu librement par la communauté et n’est pas investi du sacerdoce.

4. Sont exclus de la cène tous les fidèles tombés dans l’erreur ou le péché.

5. La séparation du monde est totale, aussi bien religieusement que politiquement. Il s’agit de se séparer de toutes les institutions qui ne sont pas dans l’Évangile.

6. Ne pas « user de l’épée », c’est-à-dire de participer à l’institution judiciaire (juge, témoin, plaignant).

7. Ne pas prêter serment.

En 1551, au Concile de Trente, les catholiques réaffirment le dogme de la transsubstantiation : Changement du pain et du vin en la substance du corps du Christ. « Ceci est mon corps, ceci est mon sang », basant leur réflexion sur Thomas d’Aquin. Par là même, ils condamnent une nouvelle fois le dogme de la Consubstantiation : le pain et le vin gardent leur substance, mais la présence du corps et du sang du Christ y est bien réelle.

Ulrich Zwingli contesta les 2 positions. Pour lui, le Christ n’est pas corporellement présent dans le pain et le vin au moment de la communion, mais il est présent dans le cœur, l’esprit et la vie de ceux, rassemblés, qui les partagent.

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Jean Calvin est un juriste français, un humaniste. 1509 -1564
https://www.museeprotestant.org/notice/les-idees-de-jean-calvin/

Note : son père, Gérard Cauvin, exerçait la fonction de notaire de la cathédrale et de responsable du tribunal ecclésiastique à Noyon en Picardie. Le fils, Jehan Cauvin, dit Jean Calvin, devient un grand théologien. Il adhère aux idées nouvelles (Martin Luther, Zwingli) et c’est vers 1530-1533 qu’il rompt avec l’Église catholique romaine.

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Calvin va s’attacher à prolonger les idées de Luther. Il aide les Églises protestantes de langue française à se développer. Il insiste sur la prédestination qui libère l’homme du souci d’avoir à se préoccuper de ce qui se passera dans l’au-delà, après sa mort.

Il est à Paris quand éclate l’affaire des placards 18 oct. 1534 : Ces placards sont des affiches rédigées par un pasteur de Neuchâtel : Antoine Marcourt, un adepte de Zwingli. Contre la messe, contre le pape et les prêtres, ces affiches sont apposées à Paris, à Orléans, à Amboise et à Blois, jusque devant la porte de la chambre du roi François 1er.

Ces placards se présentaient comme des : « Articles véritables sur les horribles, grands et insupportables abus de la messe papiste, inventée directement contre la sainte Cène de Notre Seigneur, seul médiateur et sauveur Jésus-Christ ». Un article : « Il ne peut se faire qu’un homme de vingt ou trente ans soit caché en un morceau de pâte ».

Répression, arrestations, représailles, le roi s’engage à réprimer ces « mal sentants de la foi ». Un édit royal prohibe l’imprimerie et ferme les librairies. C’est la première manifestation de censure depuis l’invention de l’imprimerie. Des hérétiques sont brûlés.

L’année suivante, l’édit de Coucy (16 juillet 1535) suspend les poursuites, mais donne six mois aux hérétiques pour se réconcilier avec la foi catholique. Calvin quitte définitivement la France. Il se réfugie d’abord à Bâle, puis il arrive à Genève ville protestante.

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Il y rencontre Guillaume Farel, le pasteur de la ville, qui lui demande de rester à Genève pour l’aider à instaurer, à organiser l’Église protestante.

JPEG Le 16 janvier 1537, Farel et Calvin présentent leurs "Articles concernant l’organisation de l’église et du culte à Genève" devant le Conseil de la ville. Il y était question de discipline ecclésiastique, d’excommunication, de dénoncer les « malvivants » afin qu’ils se corrigent … Les 21 articles sont adoptés le jour même, mais Calvin et Farel seront bannis avant d’avoir mis sur pied le corps disciplinaire qu’ils envisageaient.

JPEG Calvin produira néanmoins de nombreux documents qui resteront la base des églises réformées : notamment des traités sur le catéchisme, sur la liturgie et sur l’organisation de l’église.

Lui aussi tentera d’unifier les églises, mais il va rencontrer assez vite des oppositions :
2 exemples : Jacques Gruet et Michel Servet

Vers 1546, des adversaires se constituent en un groupe ; Calvin les appelle les « libertins ». Les « libertins » pensent qu’ils sont exemptés des lois civiles et ecclésiastiques et ils lui mèneront la vie dure.

JPEG Pour une lettre anonyme, Jacques Gruet, libertin athée, sera décapité, en 1547, avec l’approbation de Calvin.

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Michel Servet, un espagnol, fut médecin de l’archevêque de Vienne. Il était aussi théologien.

Il échangea de nombreuses lettres avec Calvin qui finit par le déclarer hérétique. Servet développait une théologie radicale qui refuse le dogme de la Trinité, le baptême des enfants. Il remet en question la nature divine du Christ (Comme Arius, qui fut condamné au concile de Nicée (325), l’arianisme affirme que si Dieu est divin, son Fils, lui, est d’abord humain, mais un humain qui dispose d’une part de divinité.). Cette position lui vaudra une double condamnation à mort : par les catholiques et par les protestants.

Arrêté, évadé et jugé par contumace, il est brûlé en effigie par l’Inquisition à Vienne, en Isère. De nouveau arrêté à Genève, il est jugé et condamné pour hérésie par le Conseil des Deux-Cents de Genève, à l’instigation de Jean Calvin. Il fut brûlé vif le 27 octobre 1553.

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Castellion Sébastien (1515-1563)

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Né en France, près de Nantua, Sébastien Castellion fait ses études à Lyon et devient protestant. A Strasbourg en 1540, il fait la connaissance de Calvin qui l’appellera à Genève pour diriger un collège. Du fait des divergences qui les opposeront, il ne pourra jamais devenir pasteur.

Castellion est décrit comme un humaniste, au sens qu’a ce mot au seizième siècle : pieux, travailleur et savant. C’est aussi un pédagogue. Il a beaucoup écrit : il donne ses orientations théologiques dans : "De l’art de douter et de croire, d’ignorer et de savoir". Il y pose des règles étonnamment modernes pour la lecture de la Bible : prendre en compte le contexte, le genre littéraire, les variantes textuelles, distinguer le message qui vient de Dieu et sa formulation humaine. Il y plaide pour une foi qui soit confiance en Dieu, amour du prochain et non adhésion à des doctrines. Il refuse d’opposer la raison (qui reste un don de Dieu) et la foi.

Il traduit des ouvrages anciens dont l’Ancien et le Nouveau Testament.

Castellion veut s’adresser aux ignorants, non aux lettrés, et, même si ce « jargon des gueux » choque, il utilise le langage populaire pour en faciliter la lecture publique à haute voix, lors du culte ou en famille.

Il a élaboré deux traductions de la Bible, établies à partir des manuscrits hébreux et grecs ; la première en latin, destinée à des lettrés, est publiée en 1551 ; la seconde, à l’intention des « idiots » (ceux qui ne sont pas instruits), en français, paraît en 1555. Elle a été rééditée récemment, en 2005.

Castellion recherche une grande exactitude dans l’emploi des mots, leur conformité vis-à-vis de leur signification originelle. Il ne s’agit pas pour le croyant de dire des paroles et de faire des gestes sacrés, mais d’avoir un comportement éthique dans les affaires du monde.

Contrairement à d’autres, il reconnaît l’obscurité de certains passages des Ecritures, et la possibilité de les comprendre de diverses manières. Loin d’être condamnable ou abominable, le doute relève, selon lui, de la prudence, de la sagesse et de l’humilité chrétiennes. Le doute n’est pas l’adversaire, mais l’allié de la foi ; il l’empêche de dégénérer en un intégrisme qui ne veut pas reconnaître ses ignorances.

L’exécution à Genève en 1553 de Michel Servet (pour cause de refus de la doctrine trinitaire) indigne Castellion. Opposé à Théodore de Bèze et à Calvin, il écrit : "Contre le libelle de Calvin". Le document sera censuré et ne paraîtra qu’en 1612. Dans ce traité se trouve une phrase fameuse : « Tuer un homme, ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme. »

En 1562, Castellion publie "Conseil à la France désolée", où il dénonce « le forcement des consciences » et plaide pour qu’on laisse « les deux religions [catholique et protestante] libres, et que chacun tienne sans contrainte celle des deux qu’il voudra ». Le synode réformé de Lyon en 1563 condamnera ce livre.

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Quels progrès concernant la genèse de la liberté de conscience ?

Bousculer la tradition et mettre en question l’emprise vaticane sur les consciences : pas facile : les livres d’Erasme ont été brûlés publiquement à Milan en même temps que ceux de Luther ; le corps de Zwingli a été livré au bourreau, écartelé, les restes brûlés, les cendres jetées au vent... Le livre de Castellion condamné par le synode réformé …

Vouloir créer une concorde religieuse, entrer sur le terrain politique : c’était le projet de Calvin et d’autres : ne plus être seulement tolérés, changer la religion du royaume pour arriver à une unité confessionnelle, une concorde réformée.
JPEG Calvin y a partiellement réussi en écartant ses opposants - par la méthode forte le plus souvent- ; il a pu ainsi réussir à instaurer des principes toujours actuels, des principes favorables à la liberté de conscience :

• le culte se fait dans la langue utilisée par les fidèles dans la vie quotidienne ;

• l’Église locale est dirigée par un conseil dont les membres sont élus parmi l’assemblée des fidèles et présidé par le pasteur.

• Calvin donne une grande importance à l’éducation : pour que chacun puisse lire la Bible, qui est au centre du protestantisme, il faut apprendre à lire aux enfants. Il a donc créé des écoles et des collèges.

Castellion, lui, voulait étendre la liberté de conscience à tous les hommes, à tous les croyants et peut être même aux hérétiques. Ne pas forcer les consciences. Il s’est heurté à Calvin qui lui reprochera d’ « ouvrir la porte à toutes les hérésies », d’entretenir un questionnement incessant, une interrogation perpétuelle dans l’étude des textes et de favoriser ainsi le scepticisme. Ce à quoi Castellion répondra : « si la Bible est tellement limpide, pourquoi Calvin écrit-il autant de volumes pour l’expliquer ? »

La méthode : l’approche individuelle de L’Evangile, le libre examen, les appels à la raison, à l’intelligence de chacun préfigurent l’autonomie de la pensée, même si les querelles théologiques ont fait de trop nombreuses victimes. Cela mène aussi aux courants anabaptistes et libertins qui refusent la règle commune.

« Zwingli n’a pas imposé la réforme, il l’a amenée de manière démocratique, dans un climat favorable et avec le soutien du Conseil de Zurich. Il était convaincu que le changement devait partir du bas vers le haut », dira de lui Peter Opitz.

Il a prôné la séparation des deux pouvoirs, temporel et spirituel, et sur les questions de justice, il insistait pour que ne soient pas confondues la justice de Dieu, qui est parfaite mais à venir, et la justice humaine, laquelle est imparfaite mais nécessaire ici-bas.

Poser des limites aux répressions des croyances déviantes : Castellion, le plus progressiste à mes yeux, même s’il envisageait la possibilité de sanctions contre les impies ne voulait pas qu’on n’aille pas « jusques à les faire mourir ». Rappelez-vous : « Tuer un homme, ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme. » : d’une grande actualité ...

Reste la soumission aux écrits bibliques, même si chacun peut désormais avoir son interprétation propre. N’oublions cependant pas l’introduction de la notion de doute par Castellion, ainsi que l’importance du contexte, de la forme, la distinction entre le fond de la pensée divine et la forme que lui ont donné des humains.

 Nous sommes encore loin de la liberté de conscience ; néanmoins des portes se sont entrouvertes.

Pour en revenir à mon choix de départ –Castellion -, j’emprunte cette conclusion à André Gounelle : « Nous arrivons mal à combiner la défense de notre identité avec l’accueil de l’altérité. Castellion ne donne pas de recettes pour y parvenir, mais il nous dit – et c’est essentiel - que jamais les désaccords d’idées ne justifient des violences physiques ou mentales, qu’ils ne légitiment pas des injures et des coups, et qu’on ne doit en aucun cas sacrifier le respect dû à autrui aux certitudes que nous jugeons fondamentales ou sacrées. »

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Principales sources : BNF, Musée du Protestantisme, publications d’André Gounelle, Canope, Le Temps

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