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Genèse de la liberté de conscience : Thomas d'Aquin - Laïcité Aujourd'hui

Genèse de la liberté de conscience : Thomas d’Aquin

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Pour la réunion du 28 novembre 2018, par MLM

Nous sommes au Moyen Age, au XIIIème siècle. François d’Assise meurt en 1226 et St Louis monte sur le trône la même année. Thomas d’Aquin naît en 1224-1225 dans le sud de l’Italie, au château de Roccasecca, dans une famille partisane du parti pontifical.

De 1230 à 1239, il est oblat (un laïc, une personne qui s’est agrégée à une communauté religieuse et qui n’a pas prononcé ses vœux) à l’abbaye de Mont-Cassis, abbaye bénédictine. Pendant 9 ans, il apprend à lire, à écrire, la grammaire, le latin … Il est sous l’influence de ses parents, mais à la mort de son père en décembre 1243, il se considère plus libre de son destin. Il décide d’entrer dans l’ordre des dominicains en avril 1244, à 20 ans, contre l’avis de sa mère qui va même jusqu’à l’enlever et l’assigner à résidence à Roccasecca pendant un an. Sa famille finira par accepter son choix.

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Il part ensuite à Paris de 1245 à 1248 sous le règne de Louis IX, puis il suit son maître, Albert Legrand (dominicain et commentateur d’Aristote) à Cologne jusqu’en 1252 où il est surnommé « le bœuf muet » en raison de sa stature et de sa corpulence, de son côté taciturne qui pouvait passer pour de la timidité, et en raison de son goût pour la réflexion solitaire. Son maître, l’apprenant, déclara : « Lorsque le bœuf mugira, il fera trembler l’occident ». La postérité lui a donné raison.

Puis il revient à Paris où son enseignement s’étend sur 2 périodes : 1252 – 1259 et 1269 – 1272. L’université est en pleine crise intellectuelle et morale, crise provoquée par la diffusion de l’aristotélisme et par des querelles entre les ordres mendiants, les séculiers et les réguliers.

A 44 ans, il rédige la seconde partie de la « Somme théologique » et la plus grande partie des commentaires des œuvres d’Aristote.

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Le souci de Thomas d’Aquin est de défendre, à la lumière d’Aristote, une certaine autonomie de la raison et de la philosophie par rapport à la foi et à la théologie.

En 1277, plusieurs de ses positions furent condamnées. Il dût faire face à des rivalités avec les franciscains et avec les maîtres des arts comme Siger de Brabant. Il écrit le « De perfectione spiritualis vitae » (1269-1270) et les « Quolibets I-VI et XII » contre les séculiers, et des traités contre l’averroïsme des maîtres des arts. Malgré tout, Thomas d’Aquin soutient que la foi chrétienne n’est ni incompatible, ni contradictoire avec un exercice de la raison conforme à ses principes. L’Inquisition romaine met tous ses livres à l’index.

En 1259, à 34 ans, il revient en Italie où il enseigne la théologie, à Orvieto où il achève la Somme « Contre les gentils » commencée en 1258 pour convaincre les infidèles de la diversité du christianisme (musulmans, juifs, chrétiens hérétiques). Puis il est de retour à Paris de 1269 à 1272. Enfin il revient à Naples pour y établir une maison d’études pour les dominicains. Il s’y comporte en « état d’abstraction », coupé de son entourage.

En 1274, il reçoit une invitation personnelle du pape Grégoire X pour participer au concile général qui doit se tenir à Lyon. Mais il doit s’arrêter en route, malade, à l’abbaye de Fossanova. Il meurt en mars 1274.

La question de sa sainteté fera l’objet d’un laborieux procès de canonisation amorcé en 1317. Il est canonisé en juillet 1323, puis proclamé Docteur de l’église par Pie V en 1567 et patron des universités, des écoles et des universités catholiques par Léon XIII en 1880. Il est un des patrons des libraires et il est aussi qualifié de « docteur angélique ». Son corps est conservé sous le maître autel de l’église de l’ancien couvent des dominicains de Toulouse depuis 1369.

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Ses œuvres principales sont des travaux théologiques : « Somme contre les gentils », « Somme théologique » (œuvre inachevée) , des opuscules ( 88 écrits courts), des questions adoptées à l’université puis rédigées et publiées sur la vérité, sur l’âme, sur le mal, des commentaires bibliques et des commentaires d’Aristote.

Thomas d’Aquin est le fondateur de cette école de pensée que l’on appelle le « thomisme ». Entre le christianisme qui voit dans la foi la principale source de la connaissance et la raison aristotélicienne, Thomas d’Aquin ne choisit pas, mais préfère la synthèse des deux. Ainsi, tout en les unissant, il sépare les deux domaines : celui des vérités de la raison et celui des vérités de la foi. La foi est une adhésion ferme et totale à la parole de Dieu. Foi et raison ne peuvent se contredire car elles émanent de Dieu : c’est l’argument de la double vérité.

A la philosophie d’Aristote, Thomas d’Aquin ajoute l’idée d’un Dieu créateur, la croyance en l’immortalité de l’âme et à la liberté de l’homme. Dieu est présent dans tout le travail de Thomas d’Aquin ; il est présent en métaphysique comme créateur, premier moteur, il est présent en morale (en tant que principe et fin de l’homme). Dieu est identifié à l’être et non plus au bien ; c’est une théologie dite négative : elle progresse par mode de privation : Dieu est infini parce qu’il n’est pas fini, il est bon parce qu’il n’est pas mauvais. Pour Thomas d’Aquin, Dieu n’est pas une évidence, ce n’est pas une idée innée, que tout homme a en lui.

La morale de Thomas d’Aquin est très proche de celle d’Aristote notamment la distinction entre la justice distributive – qui vise à répartir les biens selon les qualités de chacun- et la justice commutative –qui règle les échanges économiques de façon égalitaire-.

A partir du XVIème siècle, le thomisme devient la doctrine officielle de l’église catholique. Pour Thomas d’Aquin, toute son œuvre s’efforce de démontrer que la foi et la raison peuvent s’accorder : la première, la foi, apporte des vérités inaccessibles à la raison, que cette dernière est en mesure de conforter, sans toutefois les démontrer.

Thomas d’Aquin et la métaphysique :

Il tente d’unifier les thèmes chrétiens et les concepts de l’aristotélisme. Il distingue ainsi la matière (les différentes puissances et les potentialités) et la forme : ce qui dans l’objet organise la matière et lui confère sa véritable essence et son existence. Pour Thomas d’Aquin, les « étant » en tant que créés, participent au mouvement vers Dieu, ce qui constitue à la fois leur cause première et leur fin dernière.

Tout être est créé. Il y a un univers visible (celui des hommes) et un univers invisible (celui des anges). Il y a un mouvement dynamique et hiérarchique vers Dieu : c’est la théorie de l’analogie de l’être qui n’est ni univoque (il n’est pas le même dans toutes les choses : une tasse, un livre), ni équivoque (il n’est pas différent dans toutes les choses).

Thomas d’Aquin et la morale :

C’est la théorie des deux justices (cf. ci-dessus). Au sommet de l’éthique thomiste se trouve le SAGE : ce mot désigne celui dont l’attention est tournée vers la cause suprême de l’univers, à savoir Dieu ; l’ultime bonheur de l’homme consiste à contempler le divin et la vérité. La contemplation du vrai est notre but ultime et nous élève à Dieu.

Il démontre qu’il y a un être dont l’existence est nécessaire, c’est Dieu. « On est contraint d’affirmer l’existence d’un être nécessaire pour lui-même, qui ne tire pas d’ailleurs sa nécessité, mais qui est cause de la nécessité que l’on trouve hors de lui et que tous appellent Dieu ». Somme théologique.

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Dieu apparaît comme un être parfait, un modèle parfait. Chaque chose imparfaite renvoie à une autre qui est plus parfaite qu’elle. « Il y a donc quelque chose qui est souverainement vrai, souverainement bon, souverainement noble, et par conséquent aussi souverainement être, comme le fait savoir Aristote dans la Métaphysique, le plus haut degré du vrai coïncide avec le plus haut degré de l’être. » Somme théologique.

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Thomas d’Aquin et le libre arbitre :

Pour lui, l’homme est libre parce qu’il agit en connaissance de cause. Cette bataille de Thomas d’Aquin est essentielle : elle conduit à la glorification de la liberté individuelle, au refus du fatalisme et à la non-soumission à l’ordre divin. Il repose, comme Aristote, l’idée d’un intellect unique – collectif, séparés des corps individuels.

Les « anges », ces êtres immatériels plus parfaits que les hommes, dit Thomas d’Aquin, appréhendent les concepts par un acte immédiat ; les hommes ne peuvent y parvenir qu’en utilisant le raisonnement ; et chaque homme pense seul et séparément. Toute vie sociale serait impossible, selon lui, si tous les hommes pensaient ensemble. « S’il n’y a qu’un seul intellect pour tous les hommes nécessairement, il n’y a qu’un seul être pensant, un seul être voulant, un seul être utilisant au gré de sa volonté. Tout ce qui fait la différence des hommes entre eux ». Chaque homme a donc une âme spécifique, propre, individuelle et peut employer librement sa raison. Chacun peut, par son libre arbitre s’écarter de l’ordre naturel ; chacun est, de par la volonté de Dieu, libre d’agir. Somme théologique.

L’homme peut donc librement choisir une conduite conforme au désir de Dieu et aux exigences de la vie en société. Il doit donc choisir la prudence, la justice, la force, la tempérance, la foi, l’espérance, l’amour, la charité. Pour qu’une société fonctionne et que chaque homme se conduise de façon socialement responsable, il faut aussi qu’une autorité existe et poursuive le bien commun ; exigence de la nature, cette autorité procède de Dieu. « Tout pouvoir vient de Dieu » Jacques Attali, Raison et foi.

Thomas d’Aquin étudie longuement le thème de la liberté, de la volonté, dans les 2 premières parties de la « Somme théologique ». Dans la Prima Pars, (1269 – 1272), il présente l’homme en condition de liberté ; il pose le problème de la liberté de l’arbitre.

Dans la Primae secundae Pars (1271), il présente l’homme exerçant son acte libre : il pose le problème du volontaire et de la liberté de choix.
L’acte, pour être libre, doit être de plein gré. L’action spécifiquement humaine n’est causée ni par le désir, ni par les circonstances sinon elle ne différerait pas de l’animal.

Elle résulte d’une faculté que l’homme possède en propre : la volonté.

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Pour Thomas d’Aquin, il y a :

-  des actes « sans gré » qui résultent d’un principe organique, qui ne dépendent pas de la volonté

-  des actes « contre gré » causés par le désir, l’imagination (les sens internes, les 5 sens)

-  seul l’acte de « plein gré » est causé par la volonté. C’est l’intention qui compte : agir avec intention consiste à connaître sa fin et à choisir les moyens pour atteindre cette fin. La volonté agit alors volontairement et fermement.

Mais les actes de plein gré ne sont pas tous délibérés. Avoir l’intention de la fin et des moyens n’est ni décider, ni choisir ; l’acte délibéré est le choix. L’acte de vouloir la fin est le premier ; l’acte d’ordonner les moyens pour obtenir cette fin est le second. La volonté est « le moteur de l’exercice de l’acte » avant la raison. Son action rend l’homme maître de son agir.

Pour Thomas d’Aquin, l’homme est doué du libre arbitre qui est le pouvoir de choisir. Selon J. Marc Goglin, docteur en philosophie médiévale, Th. D’Aquin définit le choix non pas comme le simple pouvoir de choisir un bien ou un autre, mais comme un engagement éthique en vue d’une fin métaphysique, le bien. Dans la Somme théologique (1267), Thomas d’Aquin écrit : « Il est nécessaire que l’homme ait le libre arbitre, par le fait même qu’il est doué de raison ». C’est l’ « exitus reditus » de Th. D’Aquin.

Th. D’Aquin entend prouver le libre arbitre par 2 moyens :

-  la preuve morale : l’homme est tenu pour moralement responsable de ses actes et ceci serait impossible s’il n’était doué de liberté. « L’homme possède le libre arbitre, ou alors les conseils, les exhortations, le préceptes, les interdictions, les récompenses et les châtiments seraient vains ». Somme théologique.

-  l’étude de l’action humaine qui se distingue des mouvements physiques (la pierre tombe toujours vers le bas) et des actions animales : les animaux agissent selon un jugement instinctif (le loup suit la brebis).

Seul l’homme agit selon un jugement libre.

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L’œuvre de Thomas d’Aquin est très vaste.

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Sources :
Jean Marc Goglin
Jacques Attali « Raison et foi »
Part médiévale de l’exposé de Joël Bossard juin 2018

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