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Islam de France ou Islam en France ? Église de France ou Église en France ? Quels enjeux ? - Laïcité Aujourd'hui

Islam de France ou Islam en France ? Église de France ou Église en France ? Quels enjeux ?

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Pour la réunion du 20 mars, par M.D. et Ch. B.

Avertissement : cet exposé ne constitue qu’une amorce de réflexion sur un sujet qui demeure complexe et demande à être approfondi...

Alors qu’il participait à une cérémonie organisée par Hassen Chalghoumi, imam de Drancy , devant le Mémorial commémorant la déportation des juifs de France de 1941 à 1944, Manuel Valls a prononcé un discours dans lequel il émettait des doutes « sur la compatibilité absolue de l’Islam avec les valeurs de la République, la laïcité, l’égalité hommes-femmes ». Il expliquait que « l’Islam a toute sa place en France », à condition qu’il « vive en harmonie avec les autres religions et qu’il soit l’héritier de l’Islam des Lumières », ajoutant : « nous ne voulons pas que l’argent venu de l’étranger change la nature de l’Islam en France comme c’est souvent le cas dans d’autres pays ». « L’islam de France doit s’organiser pour représenter l’immense majorité des musulmans et laisser parler les voix les plus modernes ».

Ces propos expriment bien la nature du problème que pose l’Islam aux gouvernements que se sont succédé, toutes étiquettes confondues depuis les années 1980 et permettent de comprendre la tentation d’une intrusion de l’État dans les affaires islamiques, comme le fit au XV ème siècle le Royaume de France vis à vis de l’Église Catholique.

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Avant d’aller plus loin, intéressons-nous aux relations de l’administration française et des cultes.

Le Ministre de l’Intérieur est-il Ministre des Cultes ?

Non, plus depuis la loi de séparation des Églises et de l’État. Cela a d’ailleurs été vertement rappelé à Manuel Valls par la Libre Pensée.

Il a par contre en charge un Bureau des Cultes, qui a son chef, et qui gère au quotidien les affaires religieuses de la France et les relations de l’État avec les grandes confessions religieuses. En raison du Concordat, une antenne est dédiée à l’Alsace Moselle.

Ce bureau a essentiellement une fonction de conseil juridique, il gère administrativement les dossiers de nomination des évêques, exerce un contrôle sur les associations cultuelles, accompagne les demandes de reconnaissance légale formulées par les congrégations religieuses (statut accordé par décret du Conseil d’État).

Pour être complet, ajoutons qu’au sein du Ministère des Affaires Étrangères, existe depuis 1920, un poste de Conseiller pour les affaires religieuses dont la fonction intègre aujourd’hui les incidences des faits religieux sur les relations internationales.

Relations de l’État avec les autorités religieuses :
(site Vie Publique) :

Église catholique : relations privilégiées malgré la loi de 1905 (Le Président de la République reçoit le titre de chanoine d’honneur de l’Archibasilique Saint-Jean-de Latran – tradition née sous Henri IV...Évêques nommés par le Saint Siège après consultation des autorités françaises par le Nonce apostolique, qui est le représentant du Pape en sa qualité de chef de l’Etat du Vatican,, en France, Conférence des évêques de France.

Les religions juive et protestante ont conservé l’organisation mise en place sous le régime concordataire et fonctionnent selon une structure associative organisée en consistoires : Consistoire israélite de Paris = ensemble des associations cultuelles israélites = organisme représentatif du judaïsme auprès des pouvoirs publics, il élit le grand rabbin de France.

La Fédération protestante de France a été créée en 1905 et représente le protestantisme français auprès des pouvoirs publics et des médias.

 Pour l’église orthodoxe, depuis 1997 existe une Assemblée des évêques orthodoxes de France

L’Union bouddhiste de France a été créée en 1986. Elle regroupe les associations et congrégations bouddhistes.

Et l’Islam ?

La question de sa représentation s’est posée au milieu des années 1980. Pourquoi ?

Un peu d’histoire : ( source : site « Contretemps »)

- Les premiers musulmans en France sont arrivés avant la 1ère guerre Mondiale, mais l’essentiel de la vague d’immigration maghrébine s’est constituée durant les « Trente Glorieuses ». C’est alors une immigration essentiellement masculine, jeune, peu cultivée, encadrée par les syndicats et les associations de travailleurs. Se considérant comme de passage en France, cette population avait tendance à refouler son appartenance religieuse à la sphère privée. Peu de signes visibles de culte musulman en France jusque dans les années 1970. (exception faite de l’espace musulman du Père Lachaise 1855 et de la Grande Mosquée de Paris inaugurée en 1926 pour rendre hommage aux soldats musulmans morts pour la France pendant la guerre de 1914.)

- Le tournant des années 1980 : avec les lois sur le regroupement familial et l’autorisation accordée aux étrangers de se constituer en associations de la loi de 1901, la situation change : revendications pour la mise en place de conditions décentes d’exercice du culte islamique, besoin de reconnaissance et de dignité. L’Islam devient visible.

Une visibilité sur fond de rivalités entre centres cultuels :

Dans les années 1980, apparition de fédérations regroupant les fidèles musulmans en dehors de l’autorité de la Grande Mosquée de Paris ;

et dans un contexte international troublé

Les premiers attentats terroristes commis par des islamistes en France remontent à 1986... Autre évènement marquant : la fatwa contre Salman Rushdie,..

Sans oublier en France les affaires du voile ... qui ne sont d’ailleurs pas réglées malgré la loi...

 La visibilité de l’Islam dans un contexte aussi peu sécurisant a suscité une très grande anxiété et engendré toutes les représentations suspicieuses qui agitent notre société.

Aujourd’hui, on le sait,

- l’Islam est devenu la 2de religion de France. La France compte, en effet, la plus large population musulmane de l’Union Européenne : entre 4 et 6 millions. (Pas de statistiques officielles, car la législation interdit de distinguer les citoyens français et les résidents étrangers en fonction de leur croyance ou de leur appartenance ethnique).

- Mais cette population ne constitue pas un « tout homogène » et la France est aussi le pays d’Europe où la variété des origines ethniques des musulmans est la plus forte. On compte en effet 123 nationalités d’origine différentes ( Afrique, Pakistan, Turquie. ...). La grande majorité viennent toutefois du Maghreb (Algérie, Maroc, puis Tunisie).

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Nombreux courants de pensée, pas de hiérarchie religieuse unifiée, L’État cherche à organiser l’Islam de France :

 Pierre Joxe lance une première ouverture en direction d’un maximum de fidèles.

 Fin 1989 constitution du C.O.R.I.F. (Conseil de réflexion de l’Islam de France. L’expérience avorte en raison du changement de majorité en 1993).

 1999 : J.P. Chevènement entame le processus qui conduira en mai 2003, à l’installation officielle du C.F.C.M. ( Conseil Français du Culte Musulman) par Nicolas Sarkozy, Ministre de l’Intérieur et J.P. Raffarin (1er Ministre) .

Des groupes de travail thématiques sont mis en place, mais rien ne se passe et les caisses sont vides. Le système est grippé par les conflits entre les différentes composantes aussi, lors des élections, en 2011, l’Union des organisations islamiques de France (U.O.I.F., proche des Frères musulmans) et la Grande Mosquée de Paris (G.M.P., proche des Algériens) boycottent le scrutin. Parmi les grandes fédérations, il ne restait donc que le Rassemblement des musulmans de France (R.M.F., proche des Marocains), ce qui limite la légitimité de l’instance. On s’aperçoit que ce qui devait constituer une tentative d’Islam de France a permis aux pays d’origine de revenir en force ...

Toutefois, le C.F.C.M. semble avoir un peu retourné la situation en réformant ses statuts. Le 23 février 2013 ont été adopté les principes d’une direction collégiale et d’une présidence tournante. Les esprits semblent apaisés, les élections auront lieu en juin.

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• L’État n’est pas le seul à souhaiter un Islam de France

 David Pujadas et Imam Hassen Chalghoumi viennent de publier un livre : « Agissons avant qu’il ne soit trop tard », qui soutient cette demande et souhaite un réel et rapide investissement de l’Etat.

Pourquoi l’Imam veut-il un Islam de France ?

 Pour en finir avec les ingérences étrangères,

 parce que les événements tragiques du printemps 2012 de Montauban et de Toulouse ainsi que l’arrestation d’un groupe d’islamistes prêts à mener des actions terroristes en France, ont fait prendre conscience de la dérive criminelle et suicidaire de jeunes musulmans – parfois des convertis- qui les entraîne de la délinquance à l’exaltation religieuse et au crime gratuit

 pour éviter la prise en otage des consciences de jeunes musulmans par des imams radicaux

Comment, selon lui, construire cet Islam de France ?

 en assurant une formation laïque et républicaine des imams : « des imams français seront beaucoup plus efficaces parce qu’ils parleront le même langage que leurs fidèles, parce qu’ils auront peut-être vécu sur les mêmes bancs d’école, dans les mêmes quartiers... » Ils sauront conseiller les parents, les aider à faire la différence entre le langage de la religion et celui de la haine...

L’État français doit donc aider, voire financer la formation des Imams  ; les Imams formés par la Grande Mosquée ou par l’U.O.I.F. ne sont pas assez nombreux. Il faut, selon les deux auteurs du livre, en former au moins 200 par an ...

 Mais, puisque la loi de 1905 ne le permet pas, il faut le faire en Alsace Moselle ( I.E : la laïcité de l’Alsace Moselle convient mieux à notre Imam). A noter : La création d’une faculté privée de théologie islamique à Strasbourg a été pilotée directement par l’autorité turque en charge des affaires religieuses, sans aucun appel aux financements publics (convention passée entre les ministères français et turcs en 2010 pour augmenter le nombre de responsables religieux formés en France).

Sur ce problème particulier de la formation des Imams, J.P. Chevènement se dit favorable à la création d’un institut de formation des imams de France et ajoute, lui aussi, « qu’il pourrait être utile de mettre à profit l’existence des lois concordataires en vigueur dans l’Alsace Moselle ». Ce qu’il justifie ainsi : « elles pourraient permettre à l’État de financer un tel projet à Strasbourg, par exemple, où sont déjà installées une université catholique et une université protestante délivrant toutes deux un diplôme d’état. Cela me semble être la meilleure solution pour permettre une formation de haut niveau répondant aux critères républicains et bénéficiant du soutien financier de l’État ».

Il ajoute : « dans le processus d’institutionnalisation de l’Islam, la formation des imams est un impératif qui conditionne le futur de l’intégration des populations musulmanes en France...On ne peut, dit-il, à la fois regretter la montée du fondamentalisme musulman, la dépendance de l’encadrement religieux vis-à-vis des pays étrangers, et en même temps ne pas proposer une « normalisation » de l’organisation du culte musulman au sein de la société française ».

 Il s’était prononcé aussi en faveur de la création d’un institut d’islamologie à statut laïque ( et non pas théologique) . Il avait pensé à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales qui n’avait pas voulu. Il maintient cette suggestion aujourd’hui pensant « qu’il ne serait pas anodin que la France devienne l’un des hauts-lieux de la réflexion et de la connaissance à propos de l’Islam contemporain ».

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Que pense L’Église catholique de l’Islam de France ?

Pour commencer, y a-t-il une Église catholique de France ?

Source : communiqué de l’Archevêque de Clermont ( Hippolyte Simon), vice président de la conférence des évêques de France.

 Pour les catholiques, il n’existe pas « d’Églises nationales », il n’y a que l’Église catholique présente dans tous les pays du monde, dans la diversité de ses diocèses. Il n’est donc pas juste de parler d’une Église de France.

 Depuis la loi de 1905, la République ne connaît que l’Église catholique romaine qui est en France et non pas l’Église de France. « la preuve est ici expérimentale : depuis que Lionel Jospin en a pris l’initiative en 2002, lorsque le 1er Ministre reçoit une délégation de l’Église catholique, cette délégation est conduite par le Nonce Apostolique en France... »

 Et il cite un avertissement du cardinal Lustiger : « l’Islamisme regarde d’abord les pays musulmans. Ce n’est pas en France que seront résolues les questions posées à l’Islam, mais là où il est majoritaire. Et ce n’est pas au gouvernement français de créer un Islam à la française. C’est se tromper de siècle que de rêver d’organiser les cultes comme Louis XIV ou Napoléon. Aujourd’hui, il n’y a guère d’autre solution que de faire respecter avec sagesse et bienveillance la loi républicaine et d’attendre 30 ans, à peu près deux générations, le temps nécessaire pour que, dans une société aussi unitaire que la nôtre, les musulmans de nationalité française se perçoivent et soient perçus comme des français de religion musulmane. » (Libération, 14 novembre 1995).

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Bernard Godard, chargé de mission au sein du bureau central des cultes du ministère de l’Intérieur, considéré comme un des meilleurs spécialistes de l’islam en France ne dit pas autre chose ( Texte de la conférence de l’Université de tous les savoirs donnée le 2 octobre 2007)

On se rend compte que la problématique de « l’islam de France » peut être un faux problème. La vraie réalité réside dans l’existence ou non de « musulmans de France »...

L’évolution de l’hétérogénéité des pratiques et la nécessité de faire appel à du personnel religieux ayant des bases solides de formation dans les pays musulmans, n’empêchent en rien que l’islam en France soit celui des « musulmans de France ».

Tout au plus faut-il craindre un quiproquo sur la compréhension d’une authentique laïcité : l’acceptation nette des règles de cette laïcité est « de France » et est en butte à des attaques par certaines formes de communautarisme.

Par ailleurs le djihad mondial n’attire pas en priorité les immigrés : le plus grand nombre des apprentis terroristes est né en France, convertis ou issus de l’immigration. Les uns et les autres sont bien français. La capacité de résistance aux tentations communautaristes et radicales ne peut venir que d’un renforcement de l’éducation et de la volonté de la part des musulmans de France d’affirmer leur vivre ensemble dans la société.

Le rêve gallican de la constitution d’un islam qui revisiterait les bases d’un islam majoritaire dans les pays musulmans n’est pas nouveau. C’est celui qui avait un temps séduit les « indigénophiles » français du début du XXème siècle en Algérie. Pour l’heure, c’est au sein même des pays musulmans que l’évolution se déroule et c’est de là que l’harmonie dans le concert des religions viendra. »

L’urgence ne serait-elle donc pas d’agir plutôt sur les causes que sur les symptômes ?

Refonder la République sociale ?

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