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Islam : le regard d’une historienne - Laïcité Aujourd'hui

Islam : le regard d’une historienne

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Réunion du 9 novembre 2022

Islam : le regard de Jacqueline Chabbi, historienne et professeure émérite en études arabes à l’université Paris-VIII-Vincennes-St Denis
Charlie Hebdo 7 septembre 2022

« … L’islam n’est pas « dévoyé », mais tout simplement ignoré, y compris par les musulmans eux-mêmes. Croyants ordinaires, dignitaires religieux, érudits sont tous unis autour d’une même vision fantasmée et instrumentalisée d’un passé qu’ils méconnaissent totalement … »

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Extraits de l’entretien :

La violence dans le Coran ? Il convient de la placer dans son contexte (7ème siècle) et dans les significations du moment : « Des sociétés en petit nombre, où la vie d’un homme, ça compte … la violence était donc régulée » « Le contexte très réduit, qui est La Mecque, toujours aux limites de la survie, toute petite cité autour d’un point d’eau, lieu sacré ». Le statut de Mahomet : orphelin, marié à une femme plus âgée, « homme sans fils », peu écouté, expulsé de sa tribu … => Médine

« La violence coranique est de deux ordres. Le combat tribal … et les menaces eschatologiques. Ce discours-là est fait pour effrayer. C’est un discours de la surenchère, qui n’a rien à voir avec la violence réelle. On est d’autant plus violent dans le discours qu’on ne peut pas agir. »

L’absence d’histoire critique : le Coran : « Une histoire sacralisée, qui fantasme complètement le passé. »
La lecture non historique, l’absence d’approche anthropologique : « Le croyant d’aujourd’hui s’imagine, parce qu’il connaît l’arabe ou qu’il lit une traduction, qu’il a tout compris. Or il ne comprend rien du tout, ou plutôt il ne produit que sa propre lecture. » Rares sont les universitaires qui possèdent l’islam médiéval, nécessaire à une approche historique, rationnelle, du passé. Les savants musulmans « mélangent 2 corpus : celui du Coran, qui date du VIIème siècle, société tribale, et le corpus de la tradition prophétique, le hadith, qui apparaît deux siècles après, dans les sociétés urbaines de la société impériale, qui a justement besoin de se donner un mythe fondateur … ». S’y greffe aujourd’hui la victimisation : l’Occident colonialiste, le racisme …

L’arrière-pensée politique : utiliser des citations du passé pour justifier une violence contemporaine

De la tribu à l’état musulman fort qui régule la violence ; le dernier : l’Empire ottoman.

Les razzias : « Tu nous donnes les clés, et tout ira bien ». Il s’agit d’amasser un butin. Un traité est signé, la ville paye un tribut … L’appareil économique et social en place est conservé, jusqu’au prochain renversement du pouvoir. Il ne s’agit pas de convertir.
Aux VIIIème-IX siècles, les populations se mêlent davantage. Les Abbassides vont mettre en place une société multiculturelle. Ils souhaitent donner à cette société un mythe fondateur. Ils vont se tourner vers le passé et sacraliser la figure de Mahomet. Le chiisme et le sunnisme naissent à ce moment-là.

« Un musulman, c’est d’abord un homme ... Ils croient faire de l’histoire de la religion, mais ils font de la politique. Ceux qui disent par exemple « L’islam est spirituel » … L’islam n’est ni spirituel, ni matériel, il est ce qu’on en fait, au moment où on vit. Il n’y a pas d’ontologie de la croyance. Ce sont les hommes qui croient, ce n’est pas la croyance qui est, par essence. »

Comment sortir de ça ? : « Il faut faire de l’histoire, comme on le fait sur le christianisme, sur le judaïsme… Les musulmans d’aujourd’hui ne sont pas des hommes de tribu du VIIème siècle. Dans le monde musulman, il n’y a pas d’historiens critiques … » pour « remettre les choses en place, dans le contexte, à partir de la langue, en particulier de la langue médiévale … » et faire de l’anthropologie.

Le blasphème dans le Coran
« Il n’existe pas, évidemment », ni l’apostasie, ni le martyre. Par contre, les insultes répondaient aux insultes ; elles étaient courantes, et violentes. Une poésie satirique jouait un rôle politique. « Dans le monde tribal, toutes les alliances étaient temporaires », au gré des intérêts. Nul ne se sacrifiait pour Dieu : « On était dans une société de survie ».

Le faire connaître, le faire comprendre : « ça n’est pas fait. Ni à l’université, ni dans la sphère politique. J’ai peur qu’ils n’aient pas très bien compris … Et c’est pire que désolant … c’est tragique ! »

Ainsi se conclut l’entretien mené par G. Biard

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La discussion qui a suivi : extraits

P. : Ce discours est rare dans les média ordinaires. J’ai déjà entendu des propos voisins dans la bouche de G. Bencheick et d’A. Djebbar. Le point de vue de l’historienne anthropologue est intéressant en ce sens qu’il met de l’ordre et restitue chaque chose dans son contexte, ce qui est nécessaire quand on veut « discuter » raisonnablement.
M. : il manque le mot laïcité. Où il apparaît que le dogme religieux devient instrument politique …
P. : Dans bien des pays cette dame ne pourrait s’exprimer ainsi
H. : Elle a peut-être reçu des menaces
M.P. : En plus, elle maîtrise l’arabe ancien …
M. : en Algérie, lorsque j’avais 16 ans, l’arabe était la 3ème langue vivante enseignée au lycée, après l’anglais et l’espagnol. En France, seuls quelques lycées l’enseignaient, dont Louis Legrand.

H. : Elle fait bien la différence entre le discours historique et le discours mémoriel ; elle ne se base que sur l’histoire.
M. Nous renvoie à un travail précédent sur les mutazilites
P. rappelle le choix de Monique Cabotte-Carillon en 2012 : « Ma conférence n’aura pas pour titre « Chrétien et laïque », mais « Laïque et chrétien » ! », alors que dans le même temps, l’enfant de parents musulmans « naît » musulman, qu’on est juif par sa mère … et que Jean Paul Sartre annonçait : « Je suis juif dans le regard des autres. »
M.F. : en région parisienne, les différences vis-à-vis des appartenances religieuses sont moins nettes, moins marquantes (bus)

M. : La religion chrétienne, utilisée comme outil politique, a beaucoup façonné les peuples
JY : la religion chrétienne s’est développée après Constantin. Il reprend le parcours de Paul de Tarse et le cite : « Il n’y a plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme » (Approche universaliste ?). On peut comprendre qu’il soit jugé comme un perturbateur de l’ordre public.
Il recommande "Quand notre monde est devenu chrétien 312- 394", de Paul Veyne, une étude historique passionnante du rôle de Constantin qui favorisa l’extension du christianisme en établissant la liberté du culte individuel dans l’Empire romain et la fin de la persécution des chrétiens et se convertit lui-même au christianisme.

M.P. nous signale l’émission "Laïcité, état des lieux" sur France Culture, samedi, 9 h

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