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L'intégrisme (première approche) - Laïcité Aujourd'hui

L’intégrisme (première approche)

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Pour la réunion du 6 avril 2011

Il nous arrive ici même, bien souvent, d’employer le mot « intégrisme ». Je pense à … la rue Myrha, la burqa, les talibans…. Il nous arrive, de la même façon, de qualifier certaines personnes d’intégristes… : le cardinal Lustiger, Ben Laden, Harun Yahya…, ce pasteur américain qui brûle un exemplaire du Coran, le pape actuel dans ses positions concernant la sexualité et le Sida…

Arrive un moment où le besoin se fait sentir de préciser les termes : Intégrisme, intégristes, que désignent exactement ces mots ? Par ailleurs, il m’est arrivé plusieurs fois d’entendre l’expression « intégriste laïque ». Jean Bauberot parle d’« intégrisme républicain ». Qu’en penser ?

L’INTEGRISME : le mouvement qu’il constitue

Le mot « Intégrisme » vient du latin du latin integer, dans le sens de « stricte observance ». Il désigne ceux qui observent avec le plus grand scrupule, au pied de la lettre, les textes qui ont été choisis comme dictant les principes à suivre. Il faut noter que « integer », a aussi donné l’adjectif « intègre », qui signifie très honnête, qui ne se laisse pas corrompre, qui n’utilise pas ses fonctions pour leur profit.

Selon le Robert, l’intégrisme est une doctrine qui tend à maintenir la totalité d’un système, spécialement d’une religion. Il désigne l’attitude de croyants qui refusent toute évolution ; il s’apparente donc au conservatisme. Mots voisins : fondamentalisme, traditionalisme. Son contraire : le progressisme.

Selon Emile Poulat, le mot « est né dans les milieux catholiques français peu avant la Première Guerre mondiale, à un moment où les luttes de tendances se durcissaient. ». D’un côté, les « partisans de l’ouverture de l’Église au monde moderne », de l’autre, les conservateurs, partisans du repli sur soi, de la concentration des catholiques entre eux. Depuis, au fil des événements, les adversaires de l’intégrisme se sont employés à renforcer cette notion par toutes sortes de justifications : théologiques, psychologiques, historiques…

En fait, déjà dans l’Espagne de 1913, un petit parti qui se revendiquait « intégrista » militait pour la subordination de l’État à l’Église.

Un peu d’histoire :

Au cours du XIXe siècle, le pouvoir du pape s’est trouvé considérablement réduit : Pie IX perd les territoires pontificaux en 1871 ( il les détenait depuis Pépin Le Bref, plus de mille ans plus tôt. ), il lance l’excommunication majeure contre les spoliateurs du Saint-Siège et refuse tout contact avec l’État italien, il se considère désormais comme « prisonnier » au Vatican. Son pouvoir vacille … Auparavant, en 1854, il avait rédigé le Syllabus : les 85 « principales erreurs de notre temps », un document très rigide sur le plan doctrinal et ecclésial. Le concile Vatican 1 (1869-1870) avait proclamé l’infaillibilité pontificale, un principe selon lequel un pape ne fait jamais d’erreurs en matière de dogme et de morale. Ce principe sera est le point de départ historique de l’intégrisme catholique ; le Syllabus de 1854 sera son support.

Fin 19ème et début 20ème, la société se transforme, continuant d’intégrer progressivement les idées issues de la Révolution française et de la philosophie des Lumières. Des catholiques, appelés « catholiques libéraux », estiment qu’il faut évoluer et se dégager du passé. Le Saint-Siège estime au contraire qu’il ne peut transiger sur les principes, puisque la vérité y est engagée. Il adopte donc une position de repli, très intransigeante. Sous Pie X (pape de 1903 à 1914), certains croyants se désignent eux-mêmes comme « vrais catholiques », comme « catholiques intégraux ». Ces « intégralistes », comme cela se dit encore en Allemagne et en Angleterre, choisirent le nom de « traditionalistes ».

Les « catholiques intégraux » affirment qu’ils veulent se référer à une tradition catholique immuable, et respecter les enseignements du pape … Ils pensent que le retour au passé, à des croyances ancestrales et à l’application rigoureuse de ses lois est le plus sûr moyen de préparer la venue de l’âge d’or. Ils adoptent des comportements militants et une stratégie d’exclusion de tout ce qui est extérieur à leur mouvement.

Selon Marc Pelchat, M. PELCHAT, « L’intégrisme catholique », Prêtre et Pasteur, juillet-août 1996,, « les intégristes entendent promouvoir le rétablissement d’un modèle politique, social et ecclésial très conformiste, issu d’une culture ancienne. » Toute sécularisation ou pluralisme religieux est combattu.

René Rémond : en figeant l’Église, l’intégriste « érige en vérité intemporelle un âge de l’histoire d’une institution qui depuis deux mille ans n’a cessé de croître, de créer, d’évoluer. Il sacralise un moment de cette histoire comme la forme parfaite qu’il projette dans l’éternité ».

Cependant, si l’on observe les groupes d’intégristes dans le monde, force est de constater qu’ils ne se ressemblent pas. Néanmoins, tous, -sauf en théocratie-, rejettent les institutions sociales dans lesquelles ils vivent. Ils revendiquent avec force la reconnaissance juridique des « droits de Dieu » (leur Dieu) et de sa milice terrestre. Ils vont jusqu’à désobéir aux lois civiles qui leur paraissent contraires à leur morale. En France, par exemple, après Vatican 2, ils ont considéré que l’Église ne défendait plus assez bien la Tradition, et cela les a conduits au schisme. Les disciples de Mgr Lefebvre ont été excommuniés en 1988…

Comme ils ne veulent pas entendre parler de démocratie, ils sont en général à couteaux tirés avec la société qui les entoure. Ils combattent tout pluralisme religieux. Résultat : les divers groupes intégristes sont aussi profondément divisés entre eux.

Dominique Lormier, résumé de son livre : Chrétiens, juifs et musulmans face au fondamentalisme

« L’intégrisme religieux a toujours existé dans l’histoire de l’humanité. Il se fonde sur des critères que l’on retrouve dans toutes les grandes religions : la peur des autres et du changement, la certitude de détenir l’unique vérité salvatrice, la phobie du sexe, le mépris des femmes, le refus du dialogue, la guerre ’sainte’ comme objectif final, la bigoterie, une interprétation littérale des textes religieux, la haine des mystiques et des voies spirituelles dépassant les dogmes institués par des théologiens... De façon plus sournoise, l’intégrisme peut se manifester sous la forme d’un double langage, pétri de bons sentiments, mais cachant une logique fanatique dualiste. La pensée dualiste tient pour établi que devant deux propositions contradictoires il faut choisir la vraie, éliminer la fausse, car il n’y a pas de troisième solution. Ce principe du tiers exclu permet d’éliminer, dans tous les sens du terme, bien des exclus… »

L’INTEGRISTE : l’individu, son attitude

L’intégriste, qui est-il ? Pas simple …

Selon le Robert, l’intégriste est un membre d’un parti espagnol qui cherchait à soumettre l’Etat à l’Eglise. Partisan de l’intégrisme.

A travers ce que diffusent les médias, de leurs options et de leurs combats, nous pouvons observer :

-  Des "meneurs", souvent très cultivés, très lettrés, animés pour certains par une soif de pouvoir

-  Des "suiveurs", en recherche de quoi ? de sécurité ( ?) intellectuelle, économique, physique ?

L’intégriste rejette la différence ; il ne considère pas l’autre comme son égal en dignité et en droit, ou plus simplement comme interlocuteur, ce qui rend le dialogue éventuel bien difficile !

Il se fonde sur des textes choisis pour réglementer la vie des autres, croyants ou non, de façon très précise, mais surtout d’une façon qui se permet de juger de tout. Il considère que les lois divines doivent prévaloir sur les lois civiles et que la religion englobe le sujet dans sa totalité.

Il interprète les textes religieux de la façon la plus rigoureuse en ce qui concerne l’observation de principes, mais surtout l’observation des interdits. Il refuse toute concession, toute évolution dans l’essentiel comme dans l’accessoire. Il agit pour imposer universellement son dogme, donc il se l’impose à lui-même, parfois d’une manière poussé à l’extrême.

Il s’oppose au monde moderne et à ce qui le caractérise : l’évolution de la société, la démocratie, le rôle de la science, le progrès, la liberté d’expression, …

L’intégriste est enfermé dans une pensée figée qui n’est pas la sienne ! Qu’en est-il de sa propre liberté ? Il semble animé par une peur viscérale de tout ce qui est différent. Il se considère souvent comme victime et doit donc s’auto-défendre !

Les intégristes développent le double discours familier des pratiques d’endoctrinement (propos accueillants, novateurs pour les nouveaux arrivants, puis radicalisation à l’extrême. Voir ce qui se passe dans certaines de nos prisons en France…). Ils semblent avoir pour perspective unique la récompense promise dans l’au-delà. Ils utilisent principalement la coercition, l’emprise psychologique et la terreur, terreur qui apparaît lors d’événements violents : 21 septembre, enlèvements, échanges de bombes entre sunnites et chiites en Irak dès que Saddam Hussein a été neutralisé...

Bruno Etienne donne de l’intégrisme la définition suivante : "La réduction d’un individu à la dimension communautaire et encore plus sa seule identification à sa dimension confessionnelle".

Comment en est-il arrivé là ?

Difficile d’y répondre, pour nous qui pensons notre vie différemment : leur environnement ? Les conditions sociales, la tradition de la famille ou du groupe d’appartenance ? La pauvreté ( économique et/ou culturelle) ? Le manque d’instruction et d’information ? Le confort de se laisser porter par d’autres ? La faiblesse psychologique ? Le conditionnement ?

A qui cela profite-t-il ?

La croyance dans le retour au passé, à l’application rigoureuse de lois figées, favorise la passivité intellectuelle et culturelle. Cet immobilisme dogmatique ne peut que faciliter l’exercice du pouvoir par les castes dirigeantes …

« La domination des consciences est le plus sûr moyen du pouvoir politique. » dit Garaudy.

"Intégrisme laïque", "intégrisme républicain"

Je vous soumets 3 documents pour la discussion à suivre :

Abbé G. de Tanoüarn dans Nouvelle revue CERTITUDES - avril-mai-juin 2003 - n°14

« Intégrisme laïque : deux mots piégés l’un et l’autre et aussi l’un par l’autre… Il ne faut pas se laisser abuser...

L’intégrisme est d’abord un terme slogan, … je suppose que l’intégrisme correspond à une volonté d’établir une théocratie. C’est en tout cas en ce sens que les premiers intégristes (des carlistes espagnols) ont été condamnés par le pape saint Pie X. La théocratie est le régime politique qui abolit la dualité chrétienne du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel et tente de substituer à cette articulation fine entre deux institutions, l’Eglise et l’Etat, un monopole spirituel, dont l’Etat est en général le bénéficiaire. Il est difficile aujourd’hui de parler de théocratie, au sens propre, mais il est impossible de ne pas voir que la République a depuis toujours en France une ambition spirituelle. C’est ce qui explique qu’elle soit anticléricale de naissance... Elle considère que les prêtres, ministres indépendants d’un pouvoir spirituel qu’elle n’a toujours reconnu qu’à contre cœur, lui font une sorte de concurrence. On conçoit donc comment les célèbres hussards noirs, les instituteurs, ont été sur le terrain, les agents d’influence spirituels d’un pouvoir sans cesse tenté par l’intégrisme, imposant à tous les citoyens une spiritualité obligatoire, enseignant peu ou prou le culte nouveau, le culte de l’homme. Il y a deux laïcités : celle qui se targue de remplacer la chrétienté, en proposant de nouveaux dogmes et une nouvelle morale. On l’appelle aussi "correctness" ou pensée unique. Celle-là, parce qu’elle est une manifestation de "démocratie religieuse", est une des formes les plus répandues et les plus dangereuses de l’intégrisme. Elle se voit aujourd’hui comme une sorte de régime mental planétaire. L’autre laïcité, celle qui n’est pas religieuse, celle qui nous épargnera les guerres de religions, est à réinventer... »

L’intégrisme républicain contre la laïcité Jean Bauberot (un livre publié en octobre 2006)

Intégrisme ? Vous avez dit « intégrisme » ? L’intégrisme religieux, surtout musulman, est fustigé au nom de la laïcité. Et s’il existait un « intégrisme républicain » fonctionnant de manière équivalente, en bonne part responsable du malaise français actuel ? Spécialiste internationalement reconnu de la laïcité, Jean Baubérot dénonce le « double discours » de cet intégrisme républicain qui empêche une lutte réelle contre les discriminations en confondant universalisme et refus de la diversité. Il aborde les sujets les plus actuels (égalité des sexes, islam, sectes, multiculturalisme, critiques de la laïcité française à l’étranger...) et propose de résister au choc des civilisations sans transiger sur l’essentiel. Une « laïcité inclusive » (incluant la diversité), fondée sur la loi de séparation de 1905 et enrichie par les expériences non françaises, permettra de lutter contre les discriminations et de répondre aux défis du XXIe siècle, comme le montre une « Déclaration internationale de la laïcité », signée par des universitaires des cinq continents.

Sur Agoravox (synthèse du Café Citoyen de Caen du 12/06/2010) :

"… Le cœur du problème semble être le rôle que doit tenir l’État. Doit-il être d’une totale neutralité ? Doit-il s’engager ponctuellement ? L’intégrisme laïque résiderait peut-être dans ce refuge que constitue cette loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État. En effet, l’État reste ici spectateur, voire indifférent. Alors que pour certains, il devrait s’affirmer en se montrant soucieux de la concorde entre les citoyens, et attentif de la bonne gouvernance de la Cité. L’État ne devrait-il pas par exemple organiser les lieux de culte ?"

D’autres évoquent l’intégrisme de certains hommes politiques qui se crispent sur des choix intangibles. C’est un autre domaine. Je ne citerai que cet exemple : « l’intégrisme vert » : expression d’une association de motards au sujet du refus d’autorisation pour une compétition de motos sur sable.

Conclusion provisoire :

« Catholiques intégraux », « traditionnalistes », « intégralistes », « fondamentalistes », « intégristes », les mots ont une histoire. Ils ne sont pas neutres ; surtout qu’ils sont employés par 2 camps opposés. Il s’en est certainement fallu bien des conflits internes au catholicisme pour en arriver là ! Le mot « intégrisme » s’est étendu aux autres religions, voire au-delà…

Pour ma part, aujourd’hui, même s’il reste de nombreuses questions en suspens, et pour répondre à la question posée au début, je dirais bien que l’intégriste est un fondamentaliste associé à un prosélyte plus ou moins violent. La question du pouvoir est sous jacente. Pour aller au-delà, il faudrait aller chercher ce qui peut se passer dans la tête de chacun…

Quant à lui adjoindre l’adjectif laïque, ou républicain… pour ceux qui connaissent l’histoire de l’élaboration de la loi de 1905, cela me paraît incongru. Peut-être certains se sont-ils arrêtés aux décisions d’Emile Combes… par contre, si l’on se réfère à la loi de 1905, à son esprit, je ne vois vraiment pas comment, d’une manière ou d’une autre, la laïcité pourrait être assimilée à un dogme. Pour moi, la laïcité reste une mise en musique de la DDH de 1789, avec comme valeur-phare l’autonomie et la liberté de pensée, pour soi comme pour les autres. Nous sommes à l’opposé de tout dogme ; Aristide Briand et la plupart de ceux qui l’ont précédé dans l’élaboration de la loi de Séparation l’avait voulu ainsi...

Intégrisme :

Nombreuses étaient les questions de départ... Encore plus nombreuses sont celles qui subsistent à l’arrivée. Travail à poursuivre donc ...

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