Pour la réunion du 10 novembre 2010, par B.P.
Depuis plus de 40 ans, je suis membre actif d’une ou plusieurs associations, et jusque là, je considérais la loi de 1901 comme un acquis. Mais depuis quelques temps, avec l’A.G.C.S. : l’accord général sur le commerce des services ( tout ce qui peut l’être doit passer dans le secteur marchand...), puis lors nos rencontres entre associations en 2008-2009, des interrogations ont surgi :
Cet acquis est-il aussi inébranlable que je le pense ?
Le seul fait que la loi ait résisté aux fluctuations de la société durant plus d’un siècle est-il une garantie suffisante pour sa pérennité ?
Je continue de penser que l’association a toute sa place dans la cité. Mais quelle est-elle exactement ? Et quel est son avenir ?
Comme c’est souvent le cas, une partie de la réponse se trouve dans le passé …
Quelques jalons d’abord :
1er juillet 1901 : la date charnière : le droit de s’associer est institué, cette liberté est enfin reconnue comme pleine et entière.
Art.1 : « L’association est la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d’une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices. »
Art.2 : « Les associations de personnes pourront se former librement sans autorisation ni déclaration préalable… »
1948, Déclaration universelle des droits de l’homme : la liberté d’association est inscrite comme un droit fondamental dans l’article 20 :
1. Toute personne a droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques.
2. Nul ne peut être obligé de faire partie d’une association.
1971, après les événements de mai 68, R. Marcelin, ministre de l’Intérieur, entreprend de revenir à une autorisation préalable pour la création de nouvelles associations. Il obtient l’effet inverse. La liberté de s’associer est élevée au rang de liberté constitutionnelle dans le droit français.
1999, A son tour, la Cour européenne de Strasbourg garantit la liberté d’association.
2010 : alors qu’à Concarneau existent environ 200 associations pour un peu plus de 20 000 habitants, dans de nombreux pays, la liberté de s’associer reste encore un espoir très lointain…
Créer une association aujourd’hui en France est un acte banal, un acte courant, qui ne présente aucune difficulté. N’importe qui peut le faire librement, et c’est une évidence pour tous... Ce fut pourtant un droit conquis de haute lutte, l’aboutissement d’une histoire bien indécise et très sinueuse…
De tout temps, les hommes ont pris l’initiative de se regrouper, essentiellement pour solidariser leurs efforts dans le but de mener à bien certains travaux, de résister à des oppressions, de se défendre,… mais aussi pour promouvoir des intérêts communs de toutes sortes : depuis les mutuelles égyptiennes, jusqu’aux confréries, aux compagnonnages, aux couvents, et c…. Se regrouper… pour comploter aussi parfois…
La volonté d’instituer la liberté de s’associer, de l’inscrire dans la loi, se situe dans le prolongement direct des idées de la Révolution.
Qu’existait-il à cette époque ? Essentiellement des associations politiques et ouvrières, et, aussi surprenant que cela puisse paraître : aucune trace dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. C’est l’Assemblée Constituante qui, la première, reconnaît aux citoyens « le droit de s’assembler paisiblement et de former entre eux des sociétés libres, à la charge d’observer les lois qui régissent tous les citoyens. ». Ce droit sera intégré à la Constitution du 3 septembre 1791.
Le principe était posé, … il va cependant connaître maintes fluctuations…
Le 14 juin 1791, sous le prétexte de leur « intention secrète de fomenter des troubles », la loi Le Chapelier interdit aux ouvriers et aux artisans tout rassemblement pour la défense de leurs "prétendus intérêts communs". Il déclarait ceci : « Rarement les membres d’une corporation se rassemblent, même pour se livrer à la distraction et au plaisir, sans finir par une conspiration contre le public,… » Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations. Tome I / Adam Smith. - A Paris : chez Buisson, 1790.
Premières victimes : 1792 : Les congrégations religieuses et les confréries sont abolies, par décret (18 août).
Retour de balancier, dès 1793 : la Constitution du 24 juin confirme, le droit aux citoyens de « s’assembler paisiblement » et le droit « de se réunir en sociétés populaires ». Le mois suivant, un décret (25 juillet 1793) renforce encore cette liberté en interdisant à toute autorité et tout individu d’empêcher les sociétés populaires de se réunir ou de tenter de les dissoudre (sous peine de 5 à 10 années de fers).
Voilà qui semblait verrouiller la loi…
2 ans plus tard, en 1795, et dans un souci d’ordre social, tombent de nouveaux interdits : « Aucune société particulière, s’occupant de questions politiques, ne peut correspondre avec aucune autre, ni s’affilier à elle, ni tenir des séances publiques, … ni faire porter à ses membres aucun signe extérieur de leur association. » Constitution du 5 fructidor an III, art. 362 .
15 ans plus tard, sous Napoléon : 1810 - Le code pénal napoléonien impose la dissolution de toute association de plus de vingt personnes non autorisée préalablement par les pouvoirs publics. Il punit de 3 mois à deux ans de prison les dirigeants de ces associations, et de 16 à 200 francs les personnes chez lesquelles ont eu lieu ces réunions illicites. (C’est le fameux article 291 : malgré de nombreuses demandes d’abrogation, il restera en vigueur jusqu’en 1901.)
Vous l’imaginez déjà : les associations avaient bien évidemment contourné la loi en s’organisant en plusieurs sections, chacune de moins de 20 personnes. La loi du 10 avril 1834 va venir aggraver les dispositions de ce code pénal. Désormais, même ces associations encourent de lourdes amendes et des peines de prison. Ecoutons Guizot lors de la discussion de cette loi, le 12 mars :
« J’ai dit que l’article 291 ne figurerait pas éternellement dans les lois d’un peuple libre. Pourquoi ne le dirais-je pas aujourd’hui ? (…) Il viendra, je l’espère, un jour où la France pourra voir l’abolition, la suppression de cet article, comme un nouveau développement de la liberté. Mais jusque-là, il est de la prudence de la Chambre et de tous les grands pouvoirs publics, de maintenir cet article qui a été maintenu en 1830 ; il faut même le modifier, selon le besoin du temps, pour qu’il soit efficace contre les associations dangereuses d’aujourd’hui, comme il l’a été en 1830 contre les clubs. » Archives parlementaires.
Une vague de répression politique déferlera sur les associations de toutes natures.
En 1848, nouveau retour de balancier : après les journées révolutionnaires, les clubs politiques et associations ouvrières vont se multiplier : plus de 250 clubs vont être créés.
La même année, un décret (28 juillet 1848) autorise leurs réunions sur simple déclaration et publicité des séances. Mais, désormais, « Les femmes et les mineurs ne pourront être membres d’un club, ni assister aux séances » (article 3), et les sociétés secrètes sont interdites (art. 13). .
La Constitution (4 novembre 1848), proclame « le droit de s’associer et de s’assembler paisiblement et sans armes. » (art. 8).
1849 Nouveau recul : suite aux émeutes de l’année précédente, une loi interdit les réunions compromettant l’ordre public (19 juin 1849). Vous n’ignorez pas que les appréciations de l’ordre public sont très diverses..
1868 Les réunions publiques sont autorisées après déclaration préalable et avec la signature d’au moins sept personnes responsables.
1871 (mars) 4 députés lancent une nouvelle offensive. Ils veulent promouvoir une idée qui a fait du chemin : l’idée de totale liberté. Ils (Tolain, Lockroy, Brisson et Floquet) déposent donc une proposition de loi tendant à abroger toute législation restrictive de la liberté d’association.
Nous sommes presque un siècle après la Révolution. Dans les 30 années qui vont suivre, jusqu’au vote de la loi, ce sont encore 33 projets et propositions de loi qui seront présentés. J’en ai retenu 3 :
1881 - Les réunions publiques sont libres sans autorisation et sur une simple déclaration. L’article 7 continue cependant d’interdire les clubs politiques. Loi sur la liberté de réunion (30 juin 1881).
1884 Une date clé elle aussi : Plus de syndicats uniques et obligatoires, plus de corporations centrées sur le métier. Ces associations étaient fermées et leur fonctionnement très hiérarchisé. L’adhésion devient libre ; la non adhésion et la démission aussi.
Novembre 1899 : Pierre Waldeck-Rousseau fait une nouvelle proposition de loi. Son projet est aussitôt renvoyé en commission ( président Sarrien, rapporteur Trouillot). Au bout de plusieurs mois de délibérations, en janvier 1901, la discussion s’ouvre enfin à la Chambre. Mais, face aux nombreux amendements qui sont déposés, les débats avancent lentement. Le 22 janvier, c’est peut-être le député Puech qui a donné la clé : il déclare ceci : « L’ombre des congrégations religieuses s’est projetée sur l’ensemble de la discussion et semble l’avoir complètement éclipsé. Cependant, messieurs, à côté des 200 000 congréganistes (…) il y a 36 millions de Français qui ont bien le droit de savoir dans quelles conditions ils pourront s’associer à l’avenir. ». Annales de la Chambre des Députés, p. 170.
Pierre Waldeck-Rousseau
Les associations à caractère cultuel seront mises à part. La loi sera votée le 1er juillet.
Ma première analyse :
Ce qui domine, c’est que les associations sont souvent désignées comme dangereuses par le pouvoir en place, quel qu’il soit : dangereuses pour la paix, pour l’ordre public, menaçantes pour l’ordre social établi (jusqu’à ce droit de se rassembler, mais « sans armes » !! de la Constitution de nov. 1848). Il convenait donc de les contrôler au plus près.
Beaucoup de préjugés sont présents, en partie justifiés :
Méfiance des révolutionnaires à l’égard des corporations et des corps intermédiaires de l’Ancien Régime. Pour les révolutionnaires, c’est l’état et lui seul qui gère l’intérêt général (Le Chapelier (1791) : « il n’y a plus de corporation dans l’État ; il n’y a plus que l’intérêt particulier de chaque individu et l’intérêt général. » )
Crainte des sociétés secrètes, comme de tous temps…
Souvenir de certains excès sous la Révolution,
Suspicion de l’Empire à l’encontre des groupements politiques,
mais aussi inquiétude de certains républicains à l’égard des congrégations religieuses…
Au-delà des dangers réels ou fantasmés, il faut admettre que le poids des corporations, des congrégations religieuses et des confréries était une réalité très présente.
Pierre Waldeck-Rousseau entendait parvenir à l’abrogation de toute restriction autre que celles contenue dans la loi générale. Pour lui, tous ces préjugés furent autant d’obstacles à surmonter. Un à un, il les fit tous tomber : liberté syndicale, charte de la mutualité, mesures en faveur des coopératives…
Note : Une nouvelle science, la sociologie, était en train de naître à cette époque, ce qui modifiait considérablement la manière traditionnelle d’appréhender les choses : ses méthodes étaient basées sur la prise en compte de l’existant, ce qui était nouveau.
QU’EN EST-IL AUJOURD’HUI ?
Depuis plus de 100 ans qu’elle a été promulguée, il est d’abord à noter que la loi de 1901 a subi très peu de modifications.
3 sortes d’associations coexistent : l’association non déclarée, l’association déclarée, ce qui lui confère une personne morale et une personnalité juridique, et l’association reconnue d’utilité publique.
La légitimité de toute association reste fondée sur son utilité sociale fixée par leurs statuts... et son fonctionnement repose sur l’adhésion et l’implication de ses membres.
Personnellement, je séparerais bien les associations en 3 autres catégories :
la grande majorité formée uniquement de bénévoles ;
d’autres qui emploient des salariés, à temps partiel ou à temps plein ;
enfin celles qui se sont éloignées de l’esprit de la loi : par exemple celles qui ne sont en réalité qu’un moyen pour se créer son propre emploi ou ces associations de type para-municipal créées spécialement pour la gestion d’un secteur d’activités, et c….
Quelques chiffres :
La France compte plus d’un million d’associations en activité (1,1 M), un nombre qui ne cesse d’augmenter.
900 000 d’entre elles fonctionnent exclusivement avec des bénévoles. Ces bénévoles sont 15 millions (soit 27% des français de plus de 15 ans).
Les autres associations emploient des salariés à temps plein ou à temps partiel, 1,9 million soit 8% de l’emploi en France (3 % du P.I.B.).
60 % des associations développent des activités liées au sport et à la culture. Viennent ensuite les associations de type militant (écologistes, consommateurs, protection de ceci ou de cela…), puis les « associations tournées vers les autres », dans les domaines de l’exclusion, de la grande misère, de la protection des enfants maltraités, de la lutte contre le sida, de la sécurité routière, des droits des handicapés… Notez que dans tous ces secteurs, le mouvement associatif est devenu le porte-parole des plus fragiles, la voix de ceux que l’on n’entendait pas auparavant. Cf. rapport annuel du secours catholique qui vient d’être publié
L’exception, car exception il y a : du fait de l’histoire, dans les 3 départements d’Alsace-Moselle, les associations sont sous statut différent. Elles relèvent du code civil local, issu de la loi allemande. Leurs buts ne sont pas limités : aucune définition juridique précise n’existe. En totale opposition avec la loi de 1901, aucune disposition n’interdit que l’association poursuive un but intéressé ou lucratif. D’ailleurs, le partage du patrimoine entre les membres au moment de la dissolution est expressément envisagé par l’art. 45 du code local.
Les ENJEUX
Ce qui m’a intéressé dans cette recherche, c’est d’observer :
comment est née cette nouvelle façon d’appréhender l’exercice de la liberté dans la société, avec toutes ses conséquences.
comment la République a réussi à se réconcilier avec les corps intermédiaires, c’est-à-dire passer du modèle de Le Chapelier (1791) : « …plus de corporation dans l’État ; …seul existent l’intérêt particulier de chaque individu d’une part et l’intérêt général d’autre part . » à la reconnaissance des groupements d’individus dans la société.
Comment les juristes ont appréhendé cet éternel conflit entre l’individu singulier et l’être social qui résident en chacun d’entre nous. L’individu avec ses aspirations de liberté sans limites et l’être social contraint, par la force des choses. (La question encore d’actualité : il suffit d’observer le retour des revendications communautaristes de toutes sortes).
Pour y parvenir, rappelez-vous l’intervention du député Puech ; la loi de Séparation suivra 4 années plus tard.
Il a fallu au législateur innover, « créer de la loi ». Pour ce faire, le législateur s’est appuyé sur la notion de contrat entre individus ; il a développé les notions de personne morale et de personnalité juridique pour les associations, en veillant à ne pas déroger aux grands principes en vigueur issus de la Révolution : en particulier, la liberté absolue pour l’individu de s’engager ou pas, et en préservant une République fondée uniquement sur le citoyen et non sur des communautés. La marge était étroite.
Ma conclusion provisoire : 3 éléments
Beaucoup considèrent l’association comme un creuset pour l’apprentissage de la démocratie, le berceau de la citoyenneté... Je le pense également.
Si les associations sont diverses, chacune est unique et doit le rester, avec ses particularités, son objet, la manière dont cet objet est mis en œuvre et aussi par la composition et la diversité de ses membres.
La liberté de s’associer a essentiellement pour objet la liberté, la liberté dans toute sa plénitude. Son ressort : la solidarité. Liberté, solidarité, deux valeurs qui sont au centre de nos aspirations au progrès, tant pour l’individu que pour la société. Liberté pour l’être unique que nous sommes chacun, culture de la solidarité pour l’être social que nous sommes simultanément.
Au nom de cette même liberté, je pense qu’il nous appartient d’y veiller.
En hommage à Pierre Waldeck-Rousseau, je rappellerais simplement cette épitaphe, gravée sur son monument, au jardin des Tuileries.
« … nous avons choisi la liberté
Faisons lui confiance,
Avant de devenir sage
Il faut avoir été longtemps libre.
Le législateur a fait son devoir,
Le temps fera son œuvre. »
Pour aller plus loin : de Jean Claude BARDOUT : L’histoire étonnante de la loi de 1901 éditions Juris