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La République ne reconnaît aucun culte. Pourquoi ? - Laïcité Aujourd'hui

La République ne reconnaît aucun culte. Pourquoi ?

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Que penser de cette République qui connaît les cultes et qui, en 1905, décide de ne plus les reconnaître ?

Pour la réunion du 7 mars 2012 par P.B.

Le 17 octobre 2012 se réunissait la conférence des responsables des cultes en France sur le thème : « Vécu et promesses de la laïcité dans le cadre de la loi de 1905 ». Je vous en ai transmis la synthèse et les perspectives rédigées par le pasteur Baty, président de la Fédération protestante de France. Je les ai déjà évoquées ici en vous faisant remarquer à la fois comment le mot RECONNAITRE avait été occulté, et combien de manière sous jacente la volonté pour ces responsables de cultes de se faire reconnaître comme partenaires institutionnels de l’état était très présente.

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La République ne reconnaît aucun culte. Pourquoi ?

Nous sommes au cœur Article 2 de la loi de Séparation

une touche d’histoire, une touche de psychologie, je terminerai par une touche personnelle.

Le vocabulaire, une fois de plus, va avoir ici toute son importance.

Dans la loi du 9 décembre 1905, les 2 premiers articles sont élevés au rang de principe. Le principe se définit comme ce qui est au commencement, à l’origine, … comme ce qui est premier. Dans notre fonctionnement démocratique, un principe s’élabore par la discussion et par la raison, à un moment donné. C’est autour de ce principe que le réel va venir s’organiser. Il doit constituer un point solide et sûr pour que chacun puisse venir s’y appuyer en toute sécurité. Si, dans la pratique, le principe se révèle inapplicable ou inacceptable, injuste par exemple, il devra être modifié ou remplacé, et ce sera encore par la discussion et par la raison qu’il sera.

« La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte » ainsi a été rédigé le début de l’article 2 de la loi de 1905.

Ne salarie : la question du salaire des membres du clergé a été promptement réglée.

Ne subventionne : nous savons ce qu’il en est : pas de subventions directes aux cultes, encore que …, ce qui n’empêche pas l’argent de couler abondamment de manière indirecte. Je vous renvoie aux travaux de la libre pensée sur le sujet. Voyez aussi le dernier guide de la laïcité à l’usage des élus publié par la fondation J. Jaurès.

Mais qu’en est-il de la reconnaissance ? La République ne reconnaît aucun culte.

Reconnaître : le mot renvoie à différentes significations :

-  Reconnaître quelqu’un ou quelque chose, un paysage par exemple, c’est le saisir par la pensée, en le reliant à des images, à des perceptions déjà présentes dans notre mémoire. Chacun reconnaît ainsi un visage, une voix, un pas, … Il s’agit là de l’identifier, dans le sens de le distinguer de tous les autres.

-  Reconnaître, c’est aussi accepter, tenir pour vrai, admettre : admettre pour chef, reconnaître une dette

-  Reconnaître, c’est encore établir une existence juridique. Lorsque le nouveau père se présente à l’état civil, il reconnaît comme sien l’enfant que vient de mettre au monde son épouse ou sa compagne.

-  Bien d’autres significations existent encore, comme la gratitude par exemple …

Mais la République, que peut-elle reconnaître ?

La République peut reconnaître un état, un chef d’état, (sans quoi ils n’existent pas pour lui), une frontière, une situation dans le monde… En France, après la libération, la République, en donnant aux femmes le droit de voter et d’être éligibles, les a reconnues comme citoyennes à part entière.

J’ajoute l’expression : « Se reconnaître »

A plusieurs, c’est s’identifier dans une relation réciproque.

Individuellement, c’est retrouver sa propre représentation : se reconnaître dans les propos de l ‘autre par exemple.

Pour notre sujet, je poserai la question : le citoyen trouve-t-il sa place, se retrouve-t-il, se reconnaît-il dans le modèle proposé ?

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Alors, que penser de cette République qui connaît les cultes et qui, en 1905, décide de ne plus les reconnaître ? Que signifie cette nouvelle ligne invisible qu’elle trace et qu’elle voudra infranchissable ?

Je me suis d’abord tourné vers le législateur de 1905.

Séance du 12 avril 1905 à la chambre des députés (Notez que nous sommes seulement à la 12ème séance. Il y en aura 46 sur ce même sujet avant que le texte soit présenté au Sénat, en novembre).

C’est le député Albert de Benoist qui s’exprime (il avait pour étiquette : action libérale).

« La loi veut donc faire table rase de toute la législation actuelle relative aux divers cultes existants ; elle ne veut plus ni les reconnaître, ni les connaître. Puis, après avoir ainsi solennellement proclamé qu’elle veut ignorer toutes les religions, elle s’empresse de créer, pour elles et contre elles, tout un régime légal nouveau. Elle ne se contente pas de leur donner un nouveau statut ; elle tend encore à régler leur administration intime, à en gêner considérablement le libre fonctionnement, en la soumettant à une étroite, soupçonneuse et tracassière surveillance de police. ».

L’inquiétude est palpable. Manifestement, le changement de statut pour les cultes est envisagé comme une mise sous tutelle.

Lors de la même séance, Jean-Baptiste Bienvenu Martin, ministre de l’instruction publique, des beaux arts et des cultes répond à Albert de Benoist :

« Puisque le gouvernement a été mis en cause par notre honorable collègue à propos de la rédaction de l’article 2, je demande la permission de dire un mot.
Il est très exact que dans le projet présenté par le gouvernement on a introduit cette formule que « l’état ne reconnaît aucun culte ».
En employant cette expression, nous avons voulu non pas affirmer une doctrine philosophique, mais simplement appliquer le principe de liberté de conscience et proclamer la neutralité de l’état en matière confessionnelle.
L’Etat doit être neutre en matière religieuse, et ce serait, suivant nous, manquer à ce devoir essentiel que de reconnaître un culte quelconque.
L’expression a paru étrange à notre collègue. Je me permettrai de lui dire que c’est l’expression véritable dont il fallait se servir. Qu’est-ce que reconnaître un culte, si ce n’est lui donner une consécration officielle, faire intervenir l’Etat dans son organisation ? Actuellement il existe des cultes reconnus : voyez nos lois administratives, voyez certaines lois spéciales et vous y retrouverez fréquemment l’expression de « cultes reconnus ».

Nous estimons qu’il serait contradictoire avec l’idée même de séparation de reconnaître un culte. Aujourd’hui il y a des cultes reconnus : le jour où la séparation est prononcée, il ne doit plus y en avoir.
Voilà ce que nous avons voulu dire en proposant cette formule. »

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L’essentiel est dit. Creusons un peu.

Certains voient encore cette volonté de séparation comme le résultat d’une hostilité ou d’un ressentiment contre la religion dominante du moment tel que Combes l’avait développé dans les années qui précédaient. Il n’en est rien.

« L’Etat doit être neutre en matière religieuse » dit Bienvenu Martin. Neutre, ni l’un ni l’autre : il s’agit pour l’Etat, pour tout ce qui le concerne, de s’extraire de la référence aux religions et par extension de la référence à toute option spirituelle. Ne plus être dépendant, ne plus avoir à choisir entre elles aussi, afin de parvenir à ne plus discriminer personne du fait de ses convictions. L’espace de décision qui était jusque là confessionnel (pluriconfessionnel ?) deviendra non confessionnel. C’est désormais dans ce nouvel espace, que les citoyens et leurs représentants devront s’atteler à la recherche du vrai et du juste.

En exigeant la neutralité, Bienvenu Martin entend dégager le pouvoir civil des influences et des intérêts particuliers liés aux différentes confessions ; il place l’état non pas à côté, mais au-dessus des options spirituelles, au-dessus de ce qui divise, pour donner toute la place à l’intérêt général et tendre vers l’égalité de traitement de tous les citoyens.

Je préciserai que neutralité ne signifie en rien passivité : pour se maintenir au-dessus des intérêts particuliers, il est nécessaire de bien les connaître pour pouvoir s’en écarter.
L. Fabius l’exprimait très bien ainsi : « Si la laïcité exige que la République ne reconnaisse aucun culte, elle lui impose aussi de n’en méconnaître aucun. ». Il s’agit donc bien d’une neutralité active. Pour les élus et les représentants de l’Etat, c’est un effort permanent qui est demandé et l’exercice ne va pas de soi, en particulier sur des temps longs ou à l’approche d’élections ….

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Qu’en dire aujourd’hui, plus de 100 ans après la promulgation de la loi ?

A l’époque, la proposition de loi avait été jugée agressive, attentatoire à la liberté des croyants, ressentie par beaucoup comme déplacée, voire incongrue… Elle créait cependant une situation inédite et paradoxale pour tous ses détracteurs : c’est désormais la République, celle-là même qu’ils décriaient tant, qui allait leur garantir une pleine liberté dans l’exercice de leur culte !

Le temps a fait son œuvre. Chacun a pu vérifier ce qu’avait annoncé Jaurès : dans ce texte de loi, « aucune disposition ne fait obstacle à la liberté de conscience et à la liberté de culte ». En effet, en ne reconnaissant aucun culte, l’état s’interdit toute intrusion dans leur fonctionnement et leur donne, leur garantit ainsi toute liberté. Sont ainsi protégés à la fois toutes les religions et tous les croyants. C’est une des réponses à l’exigence de l’article premier de la loi : assurer la liberté de conscience, la liberté absolue de conscience. Chaque communauté de pensée est désormais libre dans l’Etat, entièrement libre pour gérer ses affaires comme elle l’entend, dans le seul respect de la loi générale, libre dans ses débats, dans ses choix théologiques par exemple, libre de s’exprimer …
Certes, pour la hiérarchie de l’église catholique romaine, il a été difficile de renoncer à la place qu’elle occupait comme interlocuteur privilégié de l’Etat, et à sa position revendiquée d’experte en humanité, voire de seule experte en humanité. Elle a dû admettre de voir son autorité morale contournée, ignorée parfois. Mais le plus difficile a sans doute été de devoir accepter d’être écartée de toute décision politique.

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La République ne reconnaît aucun culte : comment le citoyen appréhende-t-il ce modèle ? S’y retrouve-t-il ? S’y reconnaît-il ? L’accepte-t-il seulement ?

C’est un guide mauritanien qui m’a ouvert les yeux. Amorçant un échange sur la religion et les croyances de son pays, aussitôt il m’a prévenu : « Si tu es musulman, ici tu n’auras pas de problème. Si tu es chrétien, passe encore, … mais si tu es athée, il vaut mieux que çà ne se sache pas »… et l’échange s‘est presque arrêté là...

Si je devais m’installer en Mauritanie, pourrai-je me reconnaître dans cette république ? Je pense que le caractère non universel de sa constitution me ferait certainement problème. Quelle relation aux autres, à moi-même et au monde pourrais-je avoir de la place que je me donnerais ou de celle qui me serait assignée ? Non reconnu à part entière dans cette société institutionnellement musulmane, serai-je encore seulement un homme libre … ou quelqu’un qui a minima serait ignoré, voire traqué pour ses options spirituelles ?

Axel Honneth, philosophe et sociologue allemand, spécialiste de la reconnaissance, écrit ceci : « Sans la reconnaissance, l’individu ne peut se penser en sujet de sa propre vie ». « C’est parce qu’il est reconnu comme un sujet universel, porteur de droits et de devoirs, qu’il peut comprendre ses actes comme une manifestation de sa propre autonomie. »

Pour lui (Philosophie magazine), une société qui fonctionne bien est une société dans laquelle chacun doit pouvoir devenir ce qu’il souhaite être sans avoir à en passer par l’expérience douloureuse du mépris ou du déni de reconnaissance. Le caractère universel des institutions apparaît ici aussitôt comme une nécessité. Actuellement, bien des conflits dans le monde - comme dans notre pays - illustrent ses affirmations.

La République ne reconnaît aucun culte ; imaginons qu’elle les reconnaisse tous : elle établirait ainsi, par segmentations successives, une sorte de collectif, un patchwork de toutes les communautés présentes sur son territoire. Mais combien sont-elles ? Où commence, où s’arrête une religion ? – sans compter la multiplicité des branches à l’intérieur de chacune d’entre elles et sans compter celles qui apparaissent chaque année...- Très rapidement et inéluctablement s’établirait une hiérarchisation qui ne serait que source d’injustice. La position est immédiatement intenable. Je vous renvoie à la situation du Canada et ses accommodements raisonnables ( rapport Bouchard – Taylor ), plus près de nous à l’expérience des cantines municipales de Lyon, ou à l’inverse, à l’évolution de la Suède, par exemple.

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Je voudrais maintenant quitter l’aspect institutionnel et me positionner du point de vue de l’homme qui se situe derrière le citoyen pour évoquer son droit, pour moi inaliénable, à la liberté de conscience. La liberté de conscience mène à la foi, cet engagement qui ne peut être que personnel, - « devenir ce que nous souhaitons être » comme le dit A. Honneth- que cet engagement soit porté par une religion ou non. Dans les débats habituels sur la laïcité, l’argument est habituellement peu développé. Pourtant, je le considère comme majeur.

En effet, qu’y a-t-il de plus personnel qu’une foi, ce choix tourné vers l’avenir, ce choix qui nous guide vers le plein accomplissement ce que nous avons choisi d’être ?

Qu’y a-t-il de plus important pour le croyant que ces textes auxquels il a choisi d’adhérer et qui sont devenus ses référents pour mener sa propre vie ?

Existe-t-il pour chacun quelque chose de plus profond, de plus intime que la foi ?

Au nom de l’absolue liberté de conscience et du respect qui est dû à toute foi, je pense que nul, y compris l’état, ne doit être autorisé à s’immiscer dans ce choix, dans la seule limite du respect de la loi générale pour ce qui concerne les actes qui découlent de ce choix. Voltaire disait déjà dans son dictionnaire philosophique " La conscience, le for intérieur [ . . .] n’a rien de commun avec les lois de l’Etat ".

En assurant la liberté de conscience (art. 1 de la loi de Séparation) la République rend possible l’exercice individuel et collectif de toutes les options spirituelles. En ne reconnaissant aucun culte (art.2), l’état prend l’engagement pour lui-même de toutes les respecter, créant ainsi concrètement les conditions nécessaires à cet exercice. Notez combien le caractère indissociable de ces 2 articles apparaît ici pleinement.

Comme le dit H. Pena Ruiz : « Ni religion reconnue, ni athéisme consacré. Ni credo imposé, ni credo interdit non plus. Une même loi qui vaut pour tous. »

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« LIBERTE ! » dit l’article 1 de la loi de 1905. En prônant la non reconnaissance des cultes, l’article 2 ne dit pas autre chose qu’« EGALITE ! ».

Depuis un siècle, les français ont admis que la République est autonome et qu’elle n’a rien à faire dans ce qui concerne les options spirituelles individuelles. C’est ainsi qu’ils se reconnaissent mutuellement et qu’ils font société.

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