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La discrimination positive - Laïcité Aujourd'hui

La discrimination positive

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La société française souffre du fléau de la reproduction sociale. Le phénomène de surdétermination par les origines individuelles constitue un trait persistant du mal français.

Au-delà de l’égalité juridique (l’égalité des chances inscrite dans nos lois), comment décliner l’idéal républicain d’égalité ?

Le modèle de l’"affirmative action" d’outre atlantique serait-il une solution ?

Une politique des quotas ?

Le risque n’est-il pas présent de stigmatiser des communautés et de créer d’autres inégalités ?

Vision universaliste ou vision communautariste ?

Réunion du 27 janvier 2010 avec la section Françoise Bosser de la Ligue des Droits de l’Homme.

La discrimination positive ou le principe d’égalité à l’épreuve

Exposé de Michel LOUSSOUARN

Élément récurrent du débat sur l’égalité, le thème de la discrimination positive fait écho ces dernières années à la question dite de la « diversité ». Il suscite de vives controverses quand l’existence de quotas – sa forme la plus vilipendée par les républicains – surgit dans le débat public.

L’actualité fournit de nombreux exemples. Récemment, les médias relataient le report par le Gouvernement de la date butoir instaurée par la loi du 11 février 2005 sur le handicap au-delà de laquelle des sanctions financières seront appliquées aux entreprises d’au moins 20 salariés ne respectant pas le quota de 6% de travailleurs handicapés dans leurs effectifs.

Au début de l’année 2010, Valérie Pécresse a proposé que les Grandes Ecoles accueillent de 30% d’élèves boursiers. Aussitôt, la Conférence des Grands Ecoles est intervenue pour signifier qu’il ne pouvait s’agir là que d’un objectif et non pas d’une obligation qui traduirait un quota, et de fait, un changement profond de l’accès à ces écoles fondé sur le concours. La CGE préconise plutôt « des soutiens individualisés aux candidats issus de milieux défavorisés, pour les aider à réussir des épreuves » difficiles. Par la suite, Valérie Pécresse a précisé qu’il ne s’agissait en effet pour elle que d’un objectif et pas d’un quota à portée obligatoire.

Enfin, le 20 janvier 2010, les députés UMP Jean-François Copé et Marie-Jo Zimmerman ont déposé une « proposition de loi relative à la représentation équilibrée des hommes et des femmes dans les conseils d’administrations ou de surveillance des sociétés cotées ». Le dispositif prévoit un taux de féminisation des instances de 20% en 3 ans, puis de 40% au bout de 6 ans. Cette proposition s’appuie sur les conclusions d’un rapport sur l’égalité professionnelle rédigé par Mme Brigitte Grésy, inspectrice générale des affaires sociales, remis le 8 juillet au ministre du Travail s’inspirant lui-même d’une législation danoise.

À chaque fois, ces propositions opposent les partisans d’une conception rigoureuse de l’égalité et ceux qui, tout en affirmant que les quotas sont un mal nécessaire, mettent en avant le pragmatisme. Cependant, derrière cette disputatio, ce sont en réalité des conceptions différentes de la Nation qui s’affrontent. Interviouvé le 22 décembre 2009 par le Figaro, Henri Guaino, conseiller spécial du Président, donnait à la question « la discrimination positive fait-elle partie de l’identité nationale ? » la réponse suivante : « Oui, si la discrimination positive, cela veut dire rétablir l’égalité des chances, comme la République l’a toujours fait pour les boursiers ou pour l’aménagement du territoire, ou encore pour les handicapés. Non, si c’est donner des droits différents à des communautés ». Ce faisant, Henri Guaino pose clairement les termes du débat en même temps qu’il soulève la polysémie et l’ambiguïté de l’expression « discrimination positive ».

Ainsi, le concept de discrimination positive opposerait deux visions de la République. L’une défendant un modèle intégrateur universaliste, l’autre s’abandonnant au communautarisme anglo-saxon. En réalité, l’expression « discrimination positive » est parfois utilisée dans son acception anglo-saxonne, mais en droit français, elle ne correspond pas exactement à ce qu’est « l’affirmative action » outre-atlantique. Tantôt, les termes « discrimination positive » sont utilisés pour désigner des dispositifs parfaitement républicains visant l’égalité réelle, tantôt, il s’agira effectivement de quotas sur le modèle anglo-saxon. Il n’est donc pas inutile de préciser en premier lieu ce que recouvre « l’affirmative action » (I) pour mieux la distinguer du volontarisme républicain (II), avant de voir en quoi la thématique de la discrimination positive est instrumentalisée (III).

1/ L’affirmative action : le contre-modèle américain

Née au milieu des années 1960 dans la lignée des combats du Mouvement pour les Droits Civiques (Civil Right Movement) contre la ségrégation institutionnelle en vigueur dans les Etats du Sud, l’affirmative action est l’oeuvre du législateur autant que celle des tribunaux. Elle apparaît d’emblée comme un paradoxe. Désirant fonder une « société indifférente à la couleur de peau » (blind-color society), elle s’appuie pourtant sur la notion de race et de groupe.

Le premier texte à recourir à l’expression est la loi de 1964 relative aux droits civils. Il s’agissait alors de prohiber tous traitements discriminatoires – négatifs – en raison de la race, de la couleur, de la religion, du sexe ou de l’origine nationale. Très rapidement, le principe originel de l’affirmative action fut contourné. Les promoteurs de la loi sur les droits civils croyaient à une normalisation progressive de la condition sociale des Noirs-américains. En pratique, la déségrégation affrontait une forte résistance des Etats du Sud. Les émeutes raciales qui agitèrent les Etats-Unis de 1965 à 1968, comme celle de Watts, furent une réplique violente à une situation qui ne l’était pas moins. À l’interdiction des traitements discriminatoires, il convenait donc d’ajouter des politiques correctrices destinées à briser le déterminisme social qui enfermait la classe noire-américaine dans un « cercle de pauvreté » .

C’est cette philosophie qui guida L.B Johnson lors de la mise en œuvre de son programme de « Grande Société » (Great Society). Mais si le législateur se montra hostile dans un premier temps à l’existence de traitements préférentiels tels que des quotas, le juge en admit le principe au début des années 1970 en matière scolaire : la race doit être prise en considération pour la formulation de solutions intégratrices au rang desquelles la mise en place de ratios d’élèves noirs. Prenant au pied de la lettre des simples directives du ministère de l’Education qui souhaitait que les écoles accueillent plus de 9% d’élèves noirs, le juge condamna des tests de recrutement dans des universités au prétexte que le niveau requis constituait une barrière infranchissable pour des élèves noirs issus d’écoles défavorisées par des années de politiques ségrégationnistes.

Cette jurisprudence fut étendue à la politique de l’emploi. Si un déséquilibre racial ou sexuel était constaté dans la composition du salariat d’une entreprise, les juges considéraient qu’il y avait présomption de discrimination. Pour échapper aux condamnations, les chefs d’entreprises instaurèrent alors une gestion du personnel fondée sur l’idée de « normalisation raciale » (race norming), assortie d’un recrutement préférentiel pour les minorités. Dans les faits, cette politique se matérialisa par la création de registres du personnel recensant le sexe et la race de chaque employé afin de faciliter le contrôle des autorités publiques. Afin d’encourager ces dispositifs, l’Etat fédéral décida en 1969 de conditionner la commande publique à l’existence d’affirmative actions au sein des entreprises soumissionnaires.

Quelles furent les conséquences de la généralisation de ces traitements préférentiels ? D’un point de vue sociologique, on peut résumer l’affirmative action par le fait qu’elle met en concurrence trois catégories de citoyens :

• ceux à qui est accordée la préférence (prefered)

• ceux à qui elle est réfusée (non prefered)

• ceux au détriment desquels elle s’applique (disprefered).

Cette troisième catégorie évoque l’existence de « discriminations à rebours ». Est souvent cité l’exemple du jeune blanc d’origine modeste pour qui il est plus difficile d’intégrer une université prestigieuse qu’un jeune de la classe moyenne noire-américaine qui bénéficie d’un traitement de faveur en raison de sa couleur. (Barack Obama dénonça durant sa campagne ces discriminations à rebours en souhaitant mettre à terme aux systèmes préférentiels).

Sur le plan politique, elle revient à reconnaître la communauté comme un espace de citoyenneté, cible de politiques publiques spécifiques.

Sur le plan juridique, les tribunaux furent contraints d’opérer un « tri » à partir de critères raciaux afin de déterminer à qui s’ouvrait un droit à l’affirmative action. Ainsi six minorités sont juridiquement reconnues aux USA : les Noirs, les Orientaux, les Esquimaux, les Aléoutes, les Hispanophones étant considérés comme une « ethnie » et les Indiens comme une « tribu ». Mais l’affirmative action – si sa dimension est essentiellement raciale – a vocation à s’appliquer selon d’autres critères tels que le sexe, le handicap…

Au travers des différentes politiques mises en oeuvre, il est ainsi possible de dégager les critères de la « discrimination positive » :

1)- Il faut une inégalité de fait qu’il convient de corriger ;

2)- Il faut une différentiation de traitement juridique ;

3)- Ce traitement juridique particulier doit traduire expressément la volonté des pouvoirs publics d’apporter un avantage à une catégorie de citoyens historiquement lésés ;

4)- Il s’agit bien d’une discrimination car le rétablissement de l’égalité réelle passe par une rupture de l’égalité juridique ;

5)- En théorie, dès lors que l’égalité de fait est rétablie, le traitement préférentiel doit disparaître. La discrimination positive devrait donc être temporaire.

En définitive, il est aisé de comprendre en quoi le modèle américain présente des particularités qui contreviennent au principe d’égalité tel qu’il est conceptualisé en France puisque « la République assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion » (art. I. Constitution de la Ve République). Cela ne signifie aucunement que le droit français refuse des politiques visant à rétablir l’égalité, y compris parfois en empruntant aux Nords-Américains les quotas.

2/ La « discrimination positive » en France

Pour autant que la quête d’égalité justifie la lutte contre les discriminations qui irrigue toutes les branches de notre droit et qui constitue le moteur des politiques d’intégration, elle doit faire face depuis plusieurs années à la crise de l’Etat-providence.

Dans son rapport annuel de 1996 consacré au principe d’égalité, le Conseil d’Etat a mis en lumière la difficulté croissante pour l’Etat de maintenir un haut niveau de prestation pour des citoyens placés dans des situations socialement diverses. Il appela à reformuler la notion d’égalité (entendue comme une égalité géométrique) au regard du principe « d’équité » qui peut être résumé par le fait de « donner plus à ceux qui ont moins et donner moins à ceux qui ont plus ». Ce concept inspiré de la pensée du philosophe John Rawl prétend parvenir à une meilleure allocation des ressources en différenciant et en ciblant mieux les bénéficiaires. Finalement, la jurisprudence constitutionnelle a autorisé le législateur à apporter des modulations au principe d’égalité sous conditions :

• Qu’elles s’appuient sur des critères rationnels et objectifs au regard du but poursuivi (on peut résumer ainsi l’idée : à situation différente, traitement différent).

• La différenciation n’est légitime que si elle cherche à satisfaire un but d’intérêt général et qu’elle conserve un rapport direct avec la mesure envisagée.

Dans ce cadre, les « discriminations positives » à la française – que l’on devrait qualifier plutôt de volontarisme républicain – sont des politiques visant à combler des handicaps qui frappent certaines zones et leurs habitants. En matière économique et d’aménagement du territoire, les pouvoirs publics ont tenté de corriger les déséquilibres géographiques par des dispositifs dérogatoires au droit commun ou par des aides spécifiques. Parmi ces « discriminations positives territoriales », on peut citer les fonds de soutien aux zones rurales, la création de zones urbaines sensibles (ZUS), les mesures fiscales applicables aux zones franches urbaines…

En matière d’éducation, les zones d’éducation prioritaires (ZEP) participaient également de cette logique et permettaient aux établissements qui y étaient localisés d’obtenir des subventions conséquentes, d’octroyer aux personnels certains avantages et des bourses spécifiques pour les élèves.

Plus contestée a été la création de concours particuliers à l’entrée de grandes écoles avec réservation de places pour des étudiants issus des ZEP. En 2001, le Conseil Constitutionnel a validé la procédure de recrutement parallèle instaurée par l’IEP de Paris qui ne fut pas jugée arbitraire puisque l’admission des élèves restait soumise à des critères de sélection et que la mesure n’avait d’autre but que d’assurer l’égal accès à l’instruction. Dans le même esprit, le Gouvernement avait créé en 1983 un « troisième concours » d’accès à l’ENA pour les personnes ayant servi pendant 8 années au moins la cause publique (syndicaliste, élus locaux, associatifs…). Le Conseil Constitutionnel avait considéré ce dispositif comme parfaitement valide au regard des principes constitutionnels : « si le principe de l’égal accès aux emplois publics proclamés par l’article 6 de la Déclaration de 1789, impose que, dans les nominations de fonctionnaires, il ne soit tenu compte que de la capacité, des vertus, et des talents, il ne s’oppose pas à ce que les règles de recrutement destinées à permettre l’appréciation des aptitudes et des qualités des candidats à l’entrée dans une école de formation ou dans un corps de fonctionnaires soient différenciées pour tenir compte tant de la variété des mérites à prendre en considération que celle des besoins du service public ».

Jusqu’à ces dernières années, la philosophie de la discrimination positive à la française obéissait à la volonté d’accorder des moyens supplémentaires pour combler les inégalités de départ, tout en répugnant aux traitements de faveur de type quotas qui suppriment la responsabilité individuelle. Derrière ce procédé, c’est l’idée de « rattrapage » qui cherche à légitimer une pratique dérogatoire aux règles normales de la concurrence entre individus.

Des groupes sociaux lésés en raison de diverses formes d’oppression (les populations d’origine africaine par la colonisation et l’esclavage, les femmes par des siècles de domination masculine) revendiquent un dédommagement contre la société qui les a trop longtemps bafoués. C’est un donc une mesure de discrimination positive au sens anglo-saxon que certains groupes de pression appellent de leurs voeux, souhaitant contourner la méritocratie pour lui préférer le principe de faveur, la charité plutôt que la justice.

Alimentant ces revendications, fut publié en 2005 un rapport du Conseil d’Analyse de la Société présidé par Luc Ferry préconisant l’usage d’outils statistiques mesurant la « diversité visible », c’est à dire la mise en place d’un recensement ethnique. L’argument justificatif tenait au fait que l’on ne peut combattre efficacement un phénomène que l’on ne peut mesurer précisément. Il y a un pourtant des risques à manier de tels outils. La dernière fois que le droit français a autorisé de tels arrangements avec la morale républicaine, il s’agissait de pratiquer des expertises médico-légales sur les justiciables des colonies afin de déterminer s’ils présentaient des caractères ethniques justifiant l’application du Code de l’Indigénat. Dans une décision du 15 juillet 2007, le Conseil Constitutionnel a censuré une disposition de la loi relative à l’immigration qui instaurait de telles statistiques ethniques.

Pourtant, récemment, une proposition de loi déposée devant l’Assemblée souhaite créer des « statistiques de la diversité » afin de mesurer les discriminations en France. Selon ses promoteurs, elles ne reposeraient pas sur la race ou sur l’ethnie, mais sur le « ressenti d’appartenance ». Ce recensement s’effectuerait sur une base auto-déclarative, faculative, sans constitution de fichiers avec un contrôle de la CNIL .

Derrière ce mouvement, il a y une remise en cause de la conception d’universalité et d’unité de la Nation Française (art 3 de la Constitution), c’est-à-dire celle d’un corps politique unique qui ne peut être fractionné en raison des différences qui le traversent : sexe, origine ethnique, particularismes régionaux, etc. Cette conception philosophique a conduit à faire prévaloir une vision rigide de l’égalité juridique. (art. I de la Constitution, art 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen).

Cette idée d’universalité puise son origine dans la Révolution Française. Les Révolutionnaires de 1789 ont fait de ce principe une condition d’existence de la France. En effet, comme l’a démontré le démographe Emmanuel Todd dans son ouvrage « L’invention de la France » (1981), la France de l’Ancien Régime ne connaissait pas un peuple mais cent. Chaque province disposait de ses particularismes, de son identité, de son patois. Pour exister, la France avait besoin de l’idée d’un homme universel sans racines ni ethnies. Par l’énonciation de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, la France prétendait léguer au monde un modèle universel. En réalité, ce modèle avait surtout vocation à créer une Nation française.

Face aux revendications communautaristes, le Président a chargé Mme Simone Veil en avril 2008 d’une mission de réflexion autour d’une possible réécriture du Préambule de la Constitution qui introduirait de nouveaux droits fondamentaux, au rang desquels figurait le respect de la « diversité ». Dans leurs conclusions , Mme Veil et les membres de son comité estiment que rien n’interdit à droit constant de mener des politiques volontaristes d’égalité, les principes constitutionnels exposés dans le Préambule se suffisant à eux-mêmes. Au contraire, le modèle américain de l’affirmative action y est sévèrement critiqué. Malgré cette fin de non-recevoir, les velléités au plus haut sommet de l’Etat d’introduire des quotas au nom de la « diversité » n’ont pas totalement disparu.

3/ Le double discours sarkozyste et la stratégie conservatrice

Dans une tribune publiée dans le Figaro en 2005 , Nicolas Sarkozy expose sa conception de la discrimination positive. Le ton est volontariste, empreint d’un idéal républicain qui rêve d’épanouissement individuel pour chacun. Nicolas Sarkozy dément ainsi être partisan de la méthode américaine des quotas ethniques. Au contraire, il prétend s’inscrire dans la lignée du volontarisme républicain pour mieux le renforcer. Défenseur de la nation, opposé au communautarisme, il dit refuser les dispositifs qui exonéreraient les bénéficiaires de tout effort. Il salue l’initiative de Sciences Po Paris qu’il appelle à généraliser à la fonction publique par la création d’un « 4ème concours » réservé aux personnes provenant de quartiers sensibles, des bourses spécifiques seraient accordées aux meilleurs élèves des ZEP qui s’engageraient à passer un concours de la fonction publique. Dans le même temps, il propose de réserver des places dans les classes préparatoires pour des élèves issus de ces ZEP tout en créant des « internats d’excellence » pour accueillir les plus méritants. Pourtant, Nicolas Sarkozy n’est pas à un paradoxe près. Les propositions qu’il formule vont à l’encontre des solutions éducatives prônées par l’UMP. N’a-t-il pas déclaré que « les ZEP (sont) en dépôt de bilan » et demandé leur suppression ? Dans son programme de 2007, l’UMP demandait la suppression des ZEP, l’autonomie des établissements, ainsi qu’une rémunération au « mérite » des enseignants… De telles mesures aboutiraient de facto à une concurrence accrue entre établissements et à une privatisation rampante de l’éducation.

Opposé au communautarisme, le Président, quand il n’était que ministre de l’intérieur, a pourtant nommé un préfet qu’il qualifia de « musulman ». Tandis qu’il affirme vouloir aider en priorité « tel département rural plutôt que les Hauts-de-Seine, telle ville pauvre plutôt que Neuilly, tel enfant de la Courneuve […] plutôt que tel élève des beaux quartiers de Paris », sa majorité ne cesse de s’attaquer aux dispositifs tentant d’instaurer une équité entre les territoires. Les parlementaires UMP s’élèvent systématiquement contre le dispositif SRU obligeant certaines communes de plus de 3500 habitants d’accueillir 20% des logements sociaux. La réforme territoriale illustre également la vision du Président concernant les territoires…

Une analyse approfondie permet de mettre à jour le double discours sarkozyste. On rappellera à bon escient en quoi la thématique de la discrimination positive joua un rôle de premier plan dans l’avènement de la Révolution conservatrice aux Etats-Unis. Richard Nixon reprit à son compte le concept d’affirmative action malgré les réticences initiales du camp républicain. Il fut notamment le premier à officialiser la pratique de traitements différentiels par l’adoption du Plan de Philadelphie du 27 juin 1969 qui imposait aux contractants et aux sous-contractants de l’administration des quotas de salariés issus de minorités ethniques.

Sa stratégie visait à prendre les démocrates par la gauche et à les contraindre à la surenchère, tout en créant une « bourgeoisie noire » alibi, reconnaissante envers le Parti Républicain. Afin de jouer sur tous les tableaux, le Parti Républicain accusa les démocrates historiquement liés à la déségrégation de favoriser un « racisme anti-blanc » en ayant instauré l’affirmative action, d’être pris en otage par des lobbys communautaires.

Cette stratégie détaillée par le conseiller en communication de Nixon visait à saper la base électorale du Parti Démocrate par une double action : faire basculer l’électorat populaire blanc du Sud traditionnellement favorable aux politiques sociales démocrates mais volontiers conservateur sur la question raciale, tout en faisant croire aux Noirs que les Républicains se préoccupaient de leur sort. La comparaison avec la méthode sarkozyste peut offrir quelques similitudes. Le ministre de l’Intérieur, prompt à prêcher la « rupture », manie la notion de discrimination positive comme il le fit avec l’abolition de la double peine ou le vote des résidents étrangers. Il cherche à apparaître moderne et volontariste pour faire passer ses adversaires de gauche comme de droite pour des archaïques, en soulignant qu’ils n’ont jamais eu le courage de passer à l’acte sur ces questions fondamentales. Il cherche à attirer une partie des électeurs issus de l’immigration sans pour autant répugner à racler les fonds de tiroirs lepénistes par des discours populistes. Cette stratégie peut heurter l’électorat de droite classique (on se souvient de son revirement sur le vote des étrangers), mais elle a plutôt bien réussi aux néoconservateurs américains.

Dans un discours prononcé le 17 décembre 2008 à l’Ecole Polytechnique, le président a renoué avec le thème de l’égalité et de la discrimination positive, notamment car il s’agissait de répondre au « défi de la diversité ». Pointant le risque d’une société en passe de devenir « une mosaïque de communautés repliées sur elles-mêmes », il considère que le « détour par l’inégalité » pour retrouver l’égalité - c’est-à-dire la discrimination positive – n’a pas été assez mise en œuvre. Tout en affirmant rejeter l’approche raciale et ethnique au profit du critère social, le Président avance des mesures dont l’objectif de tendre à davantage de diversité conduira fatalement vers le modèle de l’affirmative action.

Ainsi, dans la droite ligne de la nomination de Yazid Sabeg à la fonction de « commissaire à la diversité et à l’égalité des chances », le Président annonce la création d’un « label diversité » qui récompenserait les entreprises dont le bilan social démontrerait que leur gestion des ressources humaines inclut des actions en faveur de la diversité. Le Président annonce également que la commande publique pourrait à l’avenir être conditionnée à l’existence d’une « diversité » au sein des entreprises candidates aux marchés. Dans le même esprit, il souhaite que les formations politiques s’engagent dans un processus de « charte de la diversité » dont la signature serait une condition du financement public. Les partis devront fournir un bilan des résultats obtenus à une commission de contrôle. Et puisque la diversité doit se voir autant qu’exister, les chaînes de télévision seront également mises à contribution, tant à l’écran que dans les fonctions d’encadrement. Elles définiront des objectifs de diversité qui feront l’objet d’une convention avec le CSA qui veillera à son application.

La première réserve tient à la définition même de la « diversité ». S’il prétend rejeter les critères ethno-raciaux, il est évident pour le Président et pour Yazid Sabeg que ces mesures sont à destination de Français discriminés en raison de leur couleur de peau, de leur origine ou de leur patronyme. En pratique, la politique de diversité n’est donc qu’un euphémisme qui s’appuie sur des critères ethno-raciaux sans le dire, et qui sont par essence impossibles à caractériser.

La deuxième réserve concerne le flou qui entoure les actions que le Président souhaite voir mener en faveur de la diversité. Dès lors que les objectifs impartis deviennent obligatoires, il ne s’agit plus simplement de politiques incitatives mais bien d’actions coercitives. À l’obligation de moyen, se substitueront des quotas de fait.

Pourtant, dans la première partie de son intervention, le Président vantait des dispositifs qu’il se proposait déjà d’instaurer en 2005 (plan « espoir-banlieue », « internat d’excellence », « filières d’excellence » dans des lycées situés dans les quartiers défavorisés, classes de « remise à niveau » ou « écoles de la seconde chance », désenclavement des quartiers, tuteurs pour les boursiers etc.). Ces mesures ne heurtent pas les consciences républicaines, au contraire. Le problème est l’absence de réels engagements budgétaires affectés à leur réussite.

La double jeu du Président apparaît clairement entre d’un côté le débat qui prétendait définir ce qu’est « l’identité nationale », et donc rassurer un électorat nationaliste, et de l’autre celui sur la diversité qui vise à séduire un électorat issu de l’immigration. Dans les deux cas, la conséquence est la division de la Nation en communautés, manipulées à des fins électoralistes, au risque de susciter de nouvelles lignes de fracture.

Conclusion

Plus que jamais l’idéal républicain d’égalité demeure un impératif, il ne s’agit pas seulement de constater une égalité juridique (« l’égalité des chances ») mais bel et bien de lui apporter une déclinaison matérielle. Pourtant, la société française souffre du fléau de la reproduction sociale : un enfant issu d’une famille modeste a moins de chance d’accéder à une condition sociale plus favorable au terme de sa scolarité. Le phénomène de surdétermination par les origines individuelles constitue un trait persistant du mal français. L’affirmative action n’est pas une solution républicaine, elle s’appuie sur des critères dont le maniement est bien trop dangereux et dont la conséquence est de fractionner encore plus une société déjà fragilisée. L’axiome républicain « donner plus à ceux qui ont moins » doit demeurer le cadre de toute action mais ses modalités doivent être précisées à l’aune des enjeux actuels. Si un volet correctif demeure essentiel a posteriori, il faut désormais réfléchir aux moyens d’enrayer la fabrication des inégalités en amont. Les politiques de « ciblage » des catégories les plus en difficulté devraient être accentuées sur la base de critères socio-économique objectifs. Pour obtenir enfin de véritables résultats, elles doivent être accompagnées d’une concentration des moyens le temps nécessaire. Au cœur de ce dispositif, le service public de l’éducation doit trouver toute sa place dans une refonte globale des moyens et des orientations de l’Education Nationale, sans négliger les procédures de diversification des étudiants dans les établissements supérieurs sélectifs type Sciences Po ou Normale Sup’. Les politiques d’aménagement du territoire et de la politique de la ville, qui visent des territoires et non des individus, sont un volet important de l’égalité qui doit faire l’objet d’un courage budgétaire inédit, éloigné la pratique actuelle…

Le cas de la parité
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