La religion est un marché libre

, par  hdeb , popularité : 2%

Un des inspirateurs des pères de la nation américaine est l’écossais Adam Smith (1723-1790). C’est un ami de Voltaire qui le recevra deux fois à Ferney. Son livre : « De la richesse des Nations » est à l’origine de la science économique moderne. Adam Smith s’oppose à l’idée répandue chez la noblesse selon laquelle c’est la volonté de Dieu qui fait les pauvres. Selon lui, la satisfaction des besoins est créatrice de richesse et améliorera la condition du peuple. En découle la notion de concurrence régulatrice des prix, qui veut que si un marchand de blé vend trop cher, il sera aisé de se fournir chez un marchand plus éloigné mais qui sera heureux de vendre à bon prix. Il plaide donc pour la libération des prix du blé, problème constant à cette époque de famines où les prix réglementés mais trop bas engagent les marchands à stocker, amplifiant les disettes et provoquant des révoltes.

L’extension du libre marché à la religion


Adam Smith étend la notion de marché à la religion en démontrant que le clergé des religions non établies n’ayant d’autres ressources que celles tirées de ses ouailles se doit d’être dévoué et zélé pour survivre. De cette façon, la religion est maintenue dans ses aspects les plus vivaces et surtout elle exprime des idées compréhensibles par le peuple.

Adam Smith souhaite également écarter la politique de la religion. En effet, dans un contexte de pluralisme religieux, le politique peut choisir de favoriser une religion en lui assurant une certaine hégémonie et gagner ainsi une certaine paix religieuse : son clergé bien nanti sera peu enclin à remuer et les autres seront écrasés. A contrario, en cas de conflit politique, un groupe religieux peut s’allier avec une faction pour atteindre le même but. Dans les deux cas, c’est une mauvaise solution pour la religion et la paix civile.

Il n’est donc pas étonnant de retrouver la neutralité de l’état inscrite dans la Constitution américaine et la religion organisée comme un grand marché concurrentiel.

Depuis Adam Smith, la recette est restée la même : « satisfaction des besoins » et concurrence, lesquelles impliquent proximité des fidèles, conquête d’autres âmes, simplicité du langage et des idées véhiculées. Au début du 19ème siècle, elle fut utilisée avec succès par les Méthodistes qui surent se multiplier par 1000 en moins de 50 ans : des salaires minimes, pas de sécurité d’emploi pour les prêcheurs et surtout pas de débat théologique aride : « adaptez votre discours à l’auditoire, allez au plus court, et parlez franc ».
Mais quand les Méthodistes ont commencé à se construire une hiérarchie, ils ont perdu du terrain devant les Baptistes.

Le marché fonctionne par vagues successives sur ces bases. Dans les années 60, on pensait que les religions devaient être raisonnables et oecuméniques pour survivre. Mais c’est faux : l’Episcopal Church connue pour sa tolérance et qui vient d’élire un évêque homosexuel est en déclin, tandis que la Southern Baptist qui dénonçait l’homosexualité comme la conséquence « d’une nature dépravée » a fait un bond en avant.

En général, moins la religion est intellectuelle et plus elle est basée sur l’émotion, et plus elle a de chance de succès. Les pentecôtistes sont nés il y a moins de 100 ans dans un coin miteux de Los Angeles, quand un prêcheur noir et borgne, s’est convaincu que Dieu nous renverrait l’Esprit Saint si assez de gens pouvait prier avec suffisamment de ferveur. Ils sont maintenant plus de 400 millions à travers le monde. Pourtant leurs croyances ne font pas dans la demi-mesure : la plupart ont été témoins de guérisons miraculeuses, ont reçu des révélations directement de Dieu et ont pratiqué ou reçu un exorcisme. Les seuls chrétiens qui enregistrent une croissance semblable sont les membres de l’Eglise de JC des Saints du Dernier Jour (Mormons) qui est aussi une de ces religions où «  on ne se prend pas la tête  ».

Mais il y a des revers ! Si 83% des américains considèrent que la Bible est la parole de Dieu, la moitié ne sait pas qui a prononcé le « Sermon sur la Montagne ». Les évangélistes américains se sont rendus compte que les « fondamentalistes » sont si ignorants des fondamentaux qu’ils ont organisés des cours de rattrapage sur la connaissance de la Bible. Autre caractéristique : il n’y a pas beaucoup de cimetières autour des méga-églises, signe que l’adhésion n’y est pas éternelle.

Un autre thème qui fait vendre, c’est la pureté. Le refus des Mormons de se consacrer aux plaisirs les plus anodins de la société américaine (bière, café, thé et baisers fougueux en dehors du mariage) les a aidés à se multiplier par 7 en moins de 50 ans. (dont la moitié, 7 millions tout de même, vit à l’extérieur des USA). Les Amish, protestants anabaptistes qui vivent en communautés assez retirées du monde moderne, sans électricité, essence ou … internet, ont doublé leur nombre en 16 ans. Il est vrai que ces religions tirent un autre avantage de leurs doctrines : la fécondité des femmes qui peut y être 5 à 6 fois supérieure à la moyenne. Les Amish ont aussi un fort taux de rétention puisque 4 jeunes sur 5 décident de rester amish, mais est-ce par conviction ou renoncement à s’adapter à un monde auquel ils ne sont pas préparés ?

Pas de marché sans dollars !

A cause du 1er Amendement, seul l’argent des fidèles peut financer le culte.

Or ce qui caractérise les américains c’est leur propension à donner. Environ 75% des foyers américains font un don chaque année pour un peu plus de 1000 $ en moyenne. Ils donnent 3,5 fois plus que les français, 7 fois plus que les allemands et 14 fois plus que les italiens.

Hollycheck ! {JPEG}Au total les dons des américains sont de 296 milliards de dollars dont 75% viennent de personnes privées (soit 223 milliards de dollars), 4,5 % des entreprises, 8% par legs, et 12,5% de fondations. Ces dons étant déductibles des impôts, ils correspondent à un « manque à gagner » pour l’état d’environ 40 milliards de dollars. Toutefois, dons et Produit Intérieur Brut vont de pair : lorsque le PIB augmente de 10% par habitant, les dons augmentent de 9% et dans le même temps une augmentation des dons de 10% fait augmenter à son tour le PIB de 3%. Ce qui fait dire que 1$ de dons privés tend à augmenter le PIB de 15$.

Les personnes privées ne contribuent aux financement des organisations religieuses que pour environ un tiers de leurs dons, le reste allant à des activités dites laïques comme l’éducation, la santé ou l’aide sociale.

On peut donc dire que le marché de la religion représente un volume d’au moins 75 milliards de dollars ce qui est correspond à 0,7% du PIB ou encore 3% du budget fédéral. C’est aussi l’équivalent du budget de l’éducation. Pour avoir un ordre de grandeur plus « parlant », 58 milliards d’euros, c’est environ le quart du budget de la France (dépenses de l’état).

Mais la répartition des dons et leur montant ne sont pas homogènes dans la population américaine. Les plus hauts revenus et la classe moyenne consacrent respectivement 3 et 2,5% de leurs revenus à la charité. Les plus pauvres se sacrifient plus, en moyenne 4 à 5%, surtout pour les activités religieuses, celles-ci étant souvent des églises évangéliques très persuasives sur la nécessité des dons.

L’appareil de l’Eglise Catholique mobilise 8 milliards de dollars pour les paroisses. Bien que les catholiques représentent à eux seuls un quart de la population, leur contribution a fortement baissé depuis les scandales et les accusations de pédophilie révélés en 2002. Elle consacre en plus 9 milliards environ pour les écoles primaires et secondaires (qui ne scolarisent pourtant que 5,5 % de la population américaine d’âge scolaire). A cela s’ajoutent 230 collèges d’enseignement supérieur et universités parmi les plus prestigieux du pays (pour 725 000 étudiants, chiffre en constante augmentation) et 637 hôpitaux (17 % des admissions), mais la plupart sont sans lien avec l’institution ecclésiale, disposant de fonds propres et obéissant à un mode de fonctionnement indépendant.

Dans ce marché concurrentiel, il en faut pour tout le monde. Le rêve américain de réussite sociale et de richesse acquise à la vitesse de la lumière est il compatible avec les principes de l’évangile ? Pas de problème pour les tenants de « l’Evangile de la Prospérité », que certains désignent par dérision comme les descendants des défenseurs de la dîme (ils réclament toujours 10% ou plus …). S’appuyant sur des versets de la Bible sortis de leur contexte ou utilisés à contresens, ils soutiennent qu’un bon chrétien peut être récompensé par Dieu pour sa foi et sa confiance et que la récompense inclut la réussite sociale et la richesse. Les bénéficiaires sont prédestinés mais aussi peuvent être récompensés pour leurs intenses prières.

Télévangéliste (Houston, Texas) {JPEG}Au sommet de ces excès se trouvent les principaux pasteurs du « Prosperity Gospel », ceux qu’on a appelés les « télévangélistes ». On comprendra qu’ils furent les premiers récompensés. Les 10 plus fortunés ont déclaré 830 millions de dollars de chiffre d’affaire pour leurs réseaux de diffusion en 2002 et on estime qu’ils en retirent à peu près 20% de revenus, soit 16 millions de dollars chacun par an. Pat Robertson déclarait publiquement en 1998 que sa fortune était d’environ 40 millions de dollars après 10 ans d’activité. Elle est estimée aujourd’hui à 140 millions de dollars, investis dans un domaine privé avec aéroport, hôtels, mines de diamants au Congo. Il est vrai qu’entre temps il s’est consacré à d’autres activités tout aussi lucratives comme la vente pyramidale qui a ruiné nombres de donateurs plus moins volontaires mais surtout … crédules.

Car au pays de Walt Disney qui est l’inventeur des produits dérivés, on ne manque pas d’idées.

Le nouveau livre du pasteur TD Jakes, « Mama Made the Difference » (des leçons de vie fondées sur la sagesse des mères), est arrivé juste à temps dans les magasins pour la Fête des Mères. Jakes vient de signer avec Sony Pictures pour la production de neuf films, grâce au succès de son denier film sorti en 2004. Jakes est le pasteur de « The Potter’s House » (La maison du Potier), une église « internationale » basée à Dallas au Texas et forte de 30.000 fidèles qui se rencontrent dans un sanctuaire à 45 millions de dollars construit sur une propriété de plusieurs dizaine d’hectares. 360 employés y travaillent à plein temps. L’église a ouvert un établissement scolaire chrétien privé (11 millions de dollars) et le chantier de construction d’un complexe d’immeubles à usage d’habitation a débuté (150 millions de dollars). Jakes a divisé son empire en deux, l’un pour l’église et l’autre pour la compagnie à but lucratif pour éviter « des conflits d’intérêt » ou des problèmes d’imposition. Eddie Long est le leader d’une des plus grandes églises noires d’Amérique (25.000 membres), la New Birth Missionary Baptist Church, en Georgie. Il est propriétaire d’un terrain de 100 hectares et d’une "cathédrale" de 10.000 places qui fonctionne avec un budget annuel de 30 à 40 millions de dollars. Le Centre chrétien de fitness et la librairie qui sont rattachés à l’église sont des affaires qui tournent rondement. Le pasteur Caldwell, que sa relation avec le Président Bush avait signalé à l’attention dans les années 1990, dirige l’église de 15.000 membres Windsor Village United Methodist Church au Texas. Il a fondé Pyramid CDC ( Community Development Corporation ) et a transformé un vieux centre commercial en entreprise florissante incluant une banque, une clinique, une pharmacie, une école privée et des bureaux. Le secteur commerçant est propriété de l’église, il y emploie 257 personnes et injecte plus de 14 millions de dollars par an dans l’économie locale. Pyramid CDC (sa société) projette de construire des habitations sur un terrain d’une centaine d’hectares.

Sous le feu des critiques, salaire à 7 chiffres, voiture à 350.000 dollars et maison à 1,5 millions de dollars, ils se défendent : "la moitié des paraboles de l’Ancien et du Nouveau Testament se rapportent à l’argent. Nous nous référons, au 21e siècle, à ce que Jésus disait et faisait dans le Nouveau Testament." Mais leurs arguments sont aussi sociaux : "rendre plus fortes les minorités au niveau économique est une part très importante de notre mission" et politiques : « consolider les communautés urbaines dans un temps où les politiciens ont trahi ou ignoré les minorités ».

Ces trois pasteurs ne sont pas les seuls prédicateurs aux Etats-Unis qui ont traduit leur appel en une montagne de dollars. Certains pasteurs blancs de méga-églises comme Rick Warren et Joel Osteen ont également fait les grands titres lorsque leurs bénéfices sont parus dans la presse.
Une autre caractéristique du marché de la religion américain est que son « solde du commerce extérieur » est nettement positif : c’est un bon produit d’exportation. En Amérique latine, en Afrique et en Asie, s’ouvrent de nouveaux et grands marchés. Les « pastorpreneurs » appliquent à la religion les règles les plus audacieuses du marketing. Rick Warren, un des plus célèbres prêcheurs américains, propose à la vente un « coeur » de communauté religieuse comme Intel vend ses microprocesseurs pour équiper des ordinateurs dans le monde entier. Le « purpose-driven church » (qu’on peut traduire par « qui fonctionne à l’objectif ») est un système clé en main pour créer de nouvelles églises. Barack Hussein Obama et Rick Warren {JPEG}Rick Warren annonce qu’il a formé 400 000 pasteurs dans le monde entier, créant 100 000 églises nouvelles dans 160 pays. Son terrain d’action est constitué par les zones où règne le vide spirituel, l’extrême pauvreté, les maladies pandémiques, l’analphabétisme et le manque d’instruction, là où les efforts politiques publics et privés ont échoué. Le « purpose-driven church » génère ainsi 47 millions de dollars de revenus qui viennent s’ajouter au 30 millions de dollars de son église, à laquelle Warren reverse 80% de ses revenus propres, essentiellement ses droits d’auteur. Warren est reçu dans le monde entier, par exemple au forum de Davos, et mène des actions assez controversées : voyage en Syrie où il rencontre Bachar El Assad, et au Rwanda où le Président Kagame lui a demandé d’aider son pays à devenir une nation qui « carbure à l’objectif » (purpose-driven nation). Son dernier « coup » est d’avoir organisé un forum dans son église où il a reçu les 2 candidats potentiels à l’élection présidentielle (Obama et Mc Cain) pour les interroger [1] (photo ci-contre).
La religion est donc instituée comme un véritable marché au sens économique du terme. Une dure concurrence règne et les gagnantes sont celles qui laissent le choix aux consommateurs et surtout proposent une offre séduisante c’est-à-dire «  hot  ». Le marché d’Adam Smith a bien atteint ses objectifs mais est-ce réellement pour le bien de la religion ? Il est étonnant de se rappeler qu’une des causes de la Réforme est la vente des indulgences par le Pape alors qu’on peut en trouver aujourd’hui à vendre pour 50 dollars sur internet - «  payez-par-Paypal s.v.p.  » - sur le site de certaines églises qui en sont issues.

Et pourquoi l’athéisme en serait-il exclu ? Car ce marché si actif ne peut ignorer 5 à 6 millions d’individus !

Les publications et blogs se multiplient. On n’en est pas encore à la télé par câble mais déjà s’annonce la « Radio de la Libre pensée » qui émet 24 heures sur 24, dans 17 états, et évidemment retransmise aussi sur Internet.

Indicatif
Atheist Radio Network

FoxNews a aussitôt lancé une campagne sur la « nouvelle guerre de religion » mais les initiateurs de ce projet ont répondu que les religions ne se privent pas de saturer les ondes de leurs messages et qu’un peu d’espace pour les non-croyants ne serait pas un mal. Quelle sera la part de marché de l’athéisme dans les prochaines années ? Assurément un point à suivre de près.

Cet article fait partie d’un ensemble intitulé Laïcité aux USA.

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[1Comme cette interview s’est déroulée avant leur désignation officielle elle n’enfreint pas le 1er Amendement. Toutefois certains y ont vu la laïcité piétinée : “What is the right answer, after all ? What happens to the one who gets evil wrong ? What’s a proper relationship with Jesus ? What’s next ? Interrogations by rabbis, priests and imams ? What candidate would dare decline on the basis of mere principle ? Both Obama and McCain gave "good" answers, but that’s not the point. They shouldn’t have been asked. Is the American electorate now better prepared to cast votes knowing that Obama believes that "Jesus Christ died for my sins and I am redeemed through him," or that McCain feels that he is "saved and forgiven" ? What does that mean, anyway ? What does it prove ? Nothing except that these men are willing to say whatever they must — and what most Americans personally feel is no one’s business — to win the highest office. by Kathleen Parker (Washington Post, August 20, 2008)

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