En tant que citoyen, en tant qu’enseignant, en tant que responsable d’activité au sein d’une amicale laïque, j’ai toujours considéré la laïcité comme quelque chose qui vit, et qui, pour vivre, a besoin du débat.
C’est donc avec un réel plaisir que j’ai répondu favorablement à la sollicitation de notre conseil d’administration qui m’a demandé d’aborder ce thème :
Laïcité, principe républicain
Avant toute chose, il convient de planter le décor …
Beaucoup de nos concitoyens considèrent la laïcité comme quelque chose d’acquis : il n’y a plus lieu d’y revenir... par contre, certains l’ignorent, tandis que d’autres la voient comme quelque chose de dépassé, une idée d’un autre temps… Toujours est-il que quiconque ose à nouveau s’y référer - ou simplement parfois la rappeler - est bien vite considéré comme un enquiquineur pour ne pas dire autre chose … et les mots « sectaire » ou « laïcard » ne sont pas loin… Nombre d’entre vous ont dû en faire l’expérience…
Aujourd’hui, qu’en est-il ?
Force est de constater que bien des erreurs perdurent :
La laïcité est encore présentée par certains comme antireligieuse, alors qu’en France, elle protège les religions et les croyants, bien mieux que ne le font la plupart des pays.
La laïcité est encore trop souvent assimilée à l’athéisme, alors qu’elle s’arrête à garantir la liberté de croire ou de ne pas croire.
Nombreux sont aussi ceux qui considèrent que la laïcité se limite à la question scolaire, alors qu’elle se situe au cœur de la vie quotidienne de chaque citoyen de notre pays.
La laïcité serait politiquement de « gauche » ; elle serait contre la « droite ». Erreur encore, même si ce sont davantage des hommes ou des femmes de gauche qui l’ont portée jusque là… La laïcité se situe au-dessus des partis politiques, de la même façon qu’elle se situe au-dessus des religions … Je vous propose de le voir ensemble.
Depuis que l’homme est homme, une constante traverse le temps :
Chaque femme, chaque homme est d’abord un être unique.
Dans le même temps, qu’il le souhaite ou non, il est aussi un être social. Sans l’autre, sans les autres, que serions-nous ? Aussi, quelles que soient nos différences, nous devons tous vivre ensemble, avec toutes nos différences … Dans cette salle, nul n’est semblable à son voisin et il en est de même dans la cité. Nous avons tous des histoires, des cultures, des sensibilités, des opinions, … des aspirations différentes qui, inévitablement, vont venir se percuter un jour ou l’autre et créer des conflits.
Alors, comment faire ? Comment faire, quand chacun aspire à un plein épanouissement, à une totale liberté ? Très tôt, nous avons appris qu’en société nous avons des droits, mais que tout ne nous est pas possible, tout ne nous est pas permis, loin de là.
En 1789, a été publiée la 1ère Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen qui deviendra Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, en 1948, sous l’égide de l’ONU. Cette déclaration constitue le socle de l’organisation de notre République. Elle a inspiré nombre de mouvements de libération des peuples à travers le monde. Ce texte est à lui seul une Révolution puisqu’il affirme ce qui était jusque là interdit au plus grand nombre :
la liberté de penser et l’égalité des droits. Reprenons-le…
Article 1 : "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune."
Les hommes demeurent libres : la liberté : nous aspirons à toutes sortes de libertés : liberté d’expression, liberté de création, liberté de voyager, liberté de posséder etc… La plus chère de toute : la liberté de conscience, une liberté absolue de conscience en ce sens qu’elle n’admet aucune contrainte, que cette contrainte soit idéologique, économique, religieuse ou toute autre.
Les hommes demeurent égaux en droits : l’égalité : c’est la reconnaissance d’une égale dignité pour chacun. Nulle conviction spirituelle ne doit être considérée comme supérieure à une autre. Nulle communauté ne peut revendiquer auprès de la puissance publique des droits supérieurs à ceux des autres.
Soyons attentifs sur ces deux derniers points, rien n’est jamais acquis :
Les privilèges ont-ils complètement disparu ?
Ne voyons-nous pas les attitudes à caractère communautariste se multiplier ?
Revenons à l’article 1 : Les hommes naissent… Primordial ce mot : « naissent ». Il signifie que la liberté fait partie intégrante de notre personne, qu’elle nous appartient d’emblée, dès la naissance, et surtout que nous n’en sommes redevables à personne…
H. Pena-Ruiz parle bien de cet article 1 : « La liberté de conscience est première, comme l’est la liberté humaine : elle n’est pas un bien que l’on peut perdre, qui serait accordée ou non, car elle s’inscrit dans l’être de tout homme, non dans son avoir ».
La liberté, la liberté de conscience, s’inscrit dans l’être de tout homme, non dans son avoir.
Article 3 de la Déclaration : "Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation." Depuis la Révolution, ce n’est plus un Roi, un prince ou une autorité religieuse quelconque qui décide arbitrairement de ma liberté : c’est désormais la République qui en est le garant.
Article 10 de la D.D.H. : "Nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi".
Vous remarquerez que le législateur a pris le soin d’ajouter « Même religieuses » ! Comme si cela n’allait pas de soi … La mention "même religieuses" signifie tout d’abord, et à juste titre, que sont visées non seulement les idées religieuses dans leur ensemble, mais plus généralement toutes les opinions et les systèmes d’idées (notez que toutes les opinions seront protégées de la même façon , qu’elles soient favorables ou non au pouvoir en place : sous la seule réserve du respect de l’ordre public).
Articles 1, 3, 10, c’est bien beau ces articles, me direz-vous, mais qu’en est-il dans la réalité ? Autour de nous, nous ne voyons essentiellement que violence, oppressions, rapports de force de toutes sortes … Effectivement,… et chacun est en droit de se demander : un monde commun sur une base de liberté, d’égalité, de fraternité entre les hommes, et j’ajouterai : de solidarité, est-il possible ? En un mot : comment « vivre ensemble » en faisant en sorte que mes droits, ceux de mon voisin, de mes voisins, ne viennent indéfiniment s’entrechoquer, se contrarier, voire se combattre ?
Emmanuel Kant, le philosophe, répond : « Seule la loi, universelle et la même pour tous, permet d’arbitrer les libertés individuelles ». C’est sur cette base que la laïcité va apporter sa réponse…
En France, nous avons cette chance : ce modèle, nous l’avons reçu en héritage : la laïcité fait partie de l’histoire de notre pays … J’aime à dire qu’elle fait partie de notre patrimoine.
Le mot laïque, issu de laos, le peuple, renvoie directement à ce texte de référence qu’est la loi du 9 décembre 1905, dite loi concernant la Séparation des Eglises et de l’Etat :
Titre 1 : Principes
Article 1 : La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes…
Article 2 : La République ne reconnaît, ne subventionne, ni salarie aucun culte…
Rappelons-le aussitôt : ces deux articles sont totalement solidaires l’un de l’autre. Si vous touchez à l’un ou à l’autre, c’est tout l’édifice de la laïcité qui s’écroule.
Titre 1 « Principes » dit la loi. Qu’est-ce qu’un principe ?
Un principe est une règle première, la règle qui vient d’abord, une règle sur la base de laquelle le réel va pouvoir venir s’organiser.
Un principe a ceci de fondamental, de fondateur pourrait-on dire : il est élaboré à un moment donné, par la discussion, par la raison,… et ce sera encore par la raison qu’il sera modifié s’il doit l’être, ou remplacé si, dans la pratique, il s’avère inapplicable ou injuste. Laïcité et raison sont liées ; Ferdinand Buisson le dit très bien :
" La laïcité est le droit et le devoir de parler haut et ferme au nom de la Raison ".
LA LAICITE, PRINCIPE CONSTITUTIONNEL, JURIDIQUE, PHILOSOPHIQUE.
La laïcité, un principe constitutionnel
Article premier de notre Constitution (4 octobre 1958) :
"La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race, de religion. Elle respecte toutes les croyances".
Avez-vous noté la place du mot « laïque » dans ce premier article ? Il est placé avant même démocratique et sociale, ce qui signifie que notre modèle républicain a été pensé et construit à partir de cette notion.
La laïcité, un principe juridique :
La loi de Séparation a cette particularité qu’elle signifie d’emblée une double incompétence :
L’incompétence des églises et des religions à s’immiscer dans les affaires de l’Etat.
L’incompétence de l’Etat à s’immiscer dans les affaires religieuses … et au-delà, dans tout ce qui concerne les options spirituelles. L’Etat et ses représentants ont un devoir de neutralité.
Ainsi, la laïcité protège la foi, toutes les fois, aussi longtemps que cette foi ne prétend pas dicter la loi. Elle permet à toutes les idées philosophiques ou spirituelles de se développer, de s’épanouir, mais hors du champ de la politique.
Pourtant certains croyants affirment encore que la loi de séparation est une atteinte à leur liberté. Il suffit de lire la loi pour constater que ni dans son esprit, ni dans sa lettre, elle ne porte atteinte à la foi religieuse ou la dévalorise.
Aristide Briand, dès sa présentation du texte de loi à la Chambre, c’était le 4 mars 1905, avait annoncé qu’il n’en serait rien.
« En vous présentant ce rapport, nous avons pour objectif de prouver que la seule solution possible aux difficultés intérieures qui résultent en France de l’actuel régime concordataire est dans une séparation loyale complète des Églises et de l’État. Nous montrerons juridiquement que ce régime est le seul qui, en France, pays où les croyances sont diverses, réserve et sauvegarde les droits de chacun. »
Je n’ai pu m’empêcher d’écrire en face : Quelle vision remarquable !
Il serait toutefois naïf de croire que ce principe juridique est acquis et que les églises ont renoncé à jouer un rôle prééminent dans la sphère publique. Chaque fois que le politique laisse un espace, elles s’y engouffrent, ensemble ou en ordre dispersé : financement des écoles confessionnelles (Loi Astier, loi Marie, loi Pleven, loi Debré, loi Guermeur, accords Lang Cloupet, Vatican-Kouchner …la dernière : la loi Carle), financement des lieux de culte, des associations cultuelles, même le denier du culte bénéficie aujourd’hui d’une déduction fiscale …
La laïcité, un principe philosophique :
J’évoquais tout à l’heure l’être unique que nous sommes chacun et l’être social que nous sommes simultanément. Deux approches que la laïcité va prendre en compte en instituant une distinction entre la sphère privée et le domaine public. Cette distinction va permettre de garantir à la fois la liberté absolue de conscience et l’égalité des droits :
Dans la sphère privée, chacun pourra librement choisir et cultiver son option spirituelle ou philosophique, sans être inquiété et sans contrainte extérieure (y compris sans être dépendant de financements).
Dans le domaine public, l’état, en restant étranger aux options spirituelles, pourra échapper aux revendications communautaristes, pourra légiférer sereinement et pourra assurer sa place de garant de l’intérêt général – à commencer par l’instauration de l’égalité entre citoyens, facteur de paix civile -.
Je vous renvoie aux travaux des nombreux théoriciens de la laïcité, H. Pena-Ruiz en particulier.
Penchons nous sur quelques mots : les mots sont porteurs des idées, et derrière les mots se cachent parfois des dogmes (Cléricalisme, liberté religieuse, spiritualité, athéisme, laïcité de combat)
Le cléricalisme : c’est une opinion, mais surtout la volonté d’imposer la prédominance des idées religieuses et du clergé dans la vie publique et politique : l’antithèse de la laïcité. Le mot est exploité, souvent sciemment, pour confondre anticlérical et anti religieux : la laïcité n’est pas antireligieuse ; elle est anticléricale dans le sens où elle s’oppose à l’intrusion du religieux, et au-delà, de tout dogme, dans la politique. Notez que le cléricalisme peut avoir plusieurs visages ; il est non seulement religieux, il peut être étendu à la finance, aux mouvements à caractère ethnique…
Liberté religieuse : aujourd’hui, la hiérarchie catholique a réussi à instaurer dans chaque préfecture une conférence départementale de la liberté religieuse, comme si la liberté religieuse n’était pas comprise dans la liberté de conscience, comme si la liberté religieuse n’était pas garantie par la loi de 1905... Quelle intention se cache derrière ?
Spiritualité : la spiritualité est très souvent assimilée à la croyance religieuse, comme s’il ne pouvait pas y avoir de spiritualité sans passage obligé par une religion…
Je reviens sur le mot athée : le mot laïque est souvent assimilé à athée. Voilà qui fait bondir nos amis de l’Observatoire chrétien de la laïcité et du C.E.D.E.C., des chrétiens pour une église dégagée de l’école confessionnelle. Je vous donne lecture du début du dernier communiqué dont ils sont signataires :
« Au nom de l’universalité des principes républicains, refusant que le communautarisme entre dans la Constitution française, nous déclarons solennellement :
1/ Notre intention de manifester en toutes circonstances et en tous lieux notre irréductible opposition au maintien des dérogations communautaristes transitoires appliquées en Alsace-Moselle, contraires à l’évolution historique de la Nation ;
2/ Notre intention de lutter pour l’inscription dans la Constitution des principes édictés dans le titre premier de la loi de 1905 : liberté de conscience, dont découle le libre exercice des cultes ; principe de séparation interdisant la reconnaissance et le subventionnement publics des cultes … … »
Ce sont des chrétiens qui s’expriment … Vous voyez, il est tout à fait possible de s’affirmer croyant et laïque, même si ce n’est pas facile, tant les hiérarchies les combattent ; mais c’est d’autant plus remarquable … Nous pourrons en reparler.
Depuis peu, les pourfendeurs de la laïcité ont multiplié les attaques, en vain jusque là : laïcité ouverte, libérale, laïcité positive, sereine, laïcité plurielle, intelligente, laïcité raisonnée, impartiale, revisitée … Que n’a-t-on entendu ces dernières années … ? La laïcité n’admet aucun adjectif : elle serait aussitôt dénaturée.
L’expression en cours actuellement chez les cléricaux est celle de « laïcité de combat ». « On nous agresse !!! » laissent- ils entendre. Je répondrais à ces messieurs : la laïcité est un combat, un combat permanent, au même titre que le combat pour la liberté, pour la démocratie, pour l’égalité de droit… ici, un combat pour la liberté de conscience … Ce combat a débuté il y a très, très longtemps… Avec la loi de séparation, il a pris une forme instituée… et depuis plus de cent ans ce modèle nous a montré toute sa pertinence : dans notre pays, la paix intérieure entre les différentes options spirituelles, religieuses ou non, a été réalisée.
Pour terminer …
J’aime à dire que la laïcité est une mise en musique de la Déclaration des Droits de l’Homme… Fondée sur ce qui unit les hommes, tous les hommes, au-delà de leurs différences, solidement ancrée sur ses principes, elle est devenue le socle de notre pacte social. C’est tellement évident que nous l’avons peut être trop oubliée.
Je ne vous rappellerai pas l’importance et le rôle éminent de l’école de la République : en particulier pour l’acquisition de l’autonomie de jugement, le développement de l’esprit critique, … pour l’attention qu’elle porte à chacun, sans distinction d’options spirituelles ou de particularismes, sans discrimination liée à la condition, au sexe ou à l’origine.
Je vous invite à vous interroger, … à vérifier par vous-même combien la laïcité, principe constitutionnel, juridique et philosophique peut être porteur de justice et de paix, et combien, faute de dispositif meilleur, il constitue, pour les générations futures, un modèle à cultiver…
… Un modèle universalisable affirment ses théoriciens…
P.B.