pour la réunion du 15 janvier 2025 par P.B.
Le thème a déjà été effleuré en janvier 2024. Une forte demande est réapparue ces derniers mois. Comment comprendre ce phénomène qui progresse dans notre pays : le wokisme ? Quel lien avec la laïcité ?
La matière sur le sujet est foisonnante. Comment mettre un peu d’ordre dans tout cela ? L’éventualité d’une deuxième séance de réflexion est d’emblée envisagée …
Le sujet est introduit par des extraits d’une interview de J.F. Braunstein dans Le Télégramme, par P. Coudurier.
https://www.letelegramme.fr/france/jean-francois-braunstein-le-wokisme-est-une-religion-intolerante-et-proselyte-1682447.php
Qu’en est-il exactement ?
D’abord, d’où vient ce mot ? Quelle est son origine ?
woken, participe passé du verbe wake.
La plupart des sources renvoie à la communauté afro-américaine, où le mot, en argot, signifiait littéralement "éveillé".
Dans les années 1920, Marcus Garvay, militant noir d’origine jamaïcaine, prophète rastafari, avait pour slogan « Wake up Africa ! Wake up Ethiopia ! » « Réveillez-vous Afrique ! Réveillez-vous l’Ethiopie ! ». Prenez conscience des injustices, des discriminations dont vous êtes l’objet ! Un appel à la vigilance et à l’action.
Dans les années 1960, le mouvement des droits civiques aux États-Unis a repris le mot dans le même sens : il appelait chacun à une prise de conscience sociale et politique. Il pointait en particulier les injustices raciales, la pauvreté, les discriminations (raciales, sociales et économiques), les inégalités, les oppressions systémiques. Martin Luther King invitait ses compatriotes à « être une génération engagée », engagée pour créer une société plus juste et plus égalitaire. Son célèbre discours "I Have a Dream" est un exemple emblématique de cet appel à l’éveil moral et social (1963) ; discours que l’on peut traduire par : Arrêtez de courber l’échine, tenez-vous droit, les droits sont les mêmes pour tous !
Le mot woke resurgit, en 2014, lorsque Michael Brown, un jeune Afro-américain de 18 ans non-armé, est assassiné par la police à Ferguson (Missouri). Une nouvelle génération de militants antiracistes, plus présents sur les réseaux sociaux, va dénoncer le « racisme systémique » des Etats-Unis envers les Noirs. Woke deviendra un cri de ralliement.
En 2016, le mot va se répandre dans le monde après la sortir du documentaire « Stay Woke : The Black Lives Matter Movement ».
Boostés par les réseaux sociaux, le mot woke concerne aujourd’hui un éventail bien plus large, incluant des préoccupations sociales, notamment en matière de genres, d’égalités, de droits des minorités, de justice climatique, etc. Les sujets se sont diversifiés, sont devenus de plus en plus sensibles, donc plus complexes. Les positions se sont petit à petit radicalisées, à partir de postures morales souvent radicales.
Note : Le mot woke, éveil, fait aussi penser à l’histoire religieuse des Etats Unis, et à toute une succession de « réveils religieux » chez les protestants.
Selon Le Monde https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2021/09/23/quatre-questions-pour-cerner-les-debats-autour-du-terme-woke_6095681_4355770.html,
le terme a été dévoyé de son sens originel ; il est devenu une expression fourre-tout, utilisée dans les débats publics en France pour dénigrer des idées progressistes.
Le mouvement woke a pris l’image d’un mouvement essentiellement contestataire.
Les premières recherches m’ont fait croiser la discrimination positive (nous en avons déjà plusieurs fois parlé) et la "cancel culture".
Parlons-en d’abord : pour ce faire, j’ai choisi de m’appuyer sur les 3 première minutes de ce reportage de L.C.P. , en reprenant les termes utilisés par les étudiants.
https://www.youtube.com/watch?v=CXY0glmXihY
Wokisme et cancel culture sont liés dans la mesure où ils concernent des préoccupations sociales similaires, mais la cancel culture est une forme plus active et plus militante des principes "woke".
La suite du reportage (6 mn) a été visionnée et le débat a commencé pour ne plus s’interrompre durant plus d’une heure !
Le débat : nos réflexions ont porté sur :
Ce que révèlent les mots
Le regard des sociétés à travers des prismes
L’incompréhension
Les mono-identités face à un universalisme et ses valeurs, qui serait imposé aux minorités
Le niveau de connaissance, l’esprit critique nécessaires pour regarder l’autre à la fois comme son égal et comme différent.
Une BD de Lou Lubie est évoquée : Racines
Ce sont généralement les extrêmes-droites qui exploitent le terme woke pour le « diaboliser ». La gauche est divisée … au risque de fragiliser l’universalisme républicain.
La « déstructuration » de la société avec pour conséquences l’abandon des repaires habituels. Ex : l’abandon de la lutte des classes. L’exemple nous a été donné par un ancien élu de Seine St Denis : la déconstruction de la classe ouvrière avec la disparition de sa culture et d’un certain vivre-ensemble
La « French théorie ». Nathalie Heinich la décrit ainsi : « Outre-Atlantique, l’idéologie woke s’inspire largement et explicitement des penseurs français de la « déconstruction », qui ont largement alimenté le courant dit « post-moderne » à partir des années 1990 : Derrida pour la déconstruction des discours, Foucault pour la déconstruction des pouvoirs, Lyotard pour la déconstruction de la notion de vérité, etc. Importés pour l’essentiel dans les départements de littérature des universités nord-américaines, ils nous sont revenus comme produit d’exportation sous le qualificatif valorisant de « French theory », donnant ses titres de noblesse académique à l’idée qu’il n’y aurait pas de différence de nature entre le savoir et l’opinion, la science et l’idéologie, et qu’il serait donc parfaitement légitime de constituer en disciplines universitaires les « études » (« studies ») dédiées à la description et à la dénonciation de toutes les formes de discrimination, qu’elles soient basées sur la race, le sexe, l’orientation sexuelle, la religion, etc." Note : la liberté universitaire doit être absolument préservée.
Les renforcements identitaires
Le wokisme qui s’en prend aux universitaires, aux intellectuels (refus du progrès ?)
Et si nous étudions plutôt qui sont les anti-wokistes et leurs arguments ?
N’y a-t-il pas une exploitation des débordements pour déconstruire la pensée ?
L’inquiétude que suscite cette exploitation (par les gens de pouvoir en particulier).
Ne serait-ce qu’un moment de l’histoire voué à disparaître ?
Il faut ici saluer le travail des secrétaires. A la question posée : remettons-nous le couvert lors de notre prochaine réunion de travail ? La réponse fut unanime : bien sûr !