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Morale et République 2 - Laïcité Aujourd'hui

Morale et République 2

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pour la réunion du 11 avril, par H.D. avec la collaboration du groupe de travail Laïcité Aujourd’hui

Morale et République

Au sein de notre groupe Laïcité Aujourd’hui nous avons consacré plusieurs réunions à l’étude de ce sujet. Commençons par cerner le problème. La morale se définit comme la science du bien et du mal, et la République s’entend ici comme notre modèle politique et social, avec son histoire au sens le plus large et sa législation actuelle. Nous nous intéresserons donc plus particulièrement à la morale républicaine laissant à la liberté de conscience le droit pour chacun de choisir les valeurs et les règles qui guident sa vie. Beaucoup de questions ont été posées, nous allons tenter d’apporter une réponse aux plus importantes d’entre-elles.

Le rapport entre la morale religieuse et la morale républicaine

Nous avons consacré un long moment au rapport qui paraît exister au premier abord entre morale religieuse et morale laïque en raison de points communs évidents. Ce point ne peut être résolu sans un détour historique pour comprendre quand s’est faite l’articulation entre ces deux conceptions en apparence si proches.

La découverte de l’Amérique en 1492 fut aussi l’occasion d’y rencontrer des êtres à qui, après d’âpres discussions, il fallut bien reconnaître la qualité d’humains. Au 16ème siècle, en Europe, l’état de servage était en passe d’être totalement remplacé par le statut d’homme libre, tandis qu’aux Amériques, se mettait en place une société esclavagiste exploitant la main d’œuvre « indienne » puis les captifs africains. Sur ce cas concret, le concept de liberté ne pouvait manquer d’être étudié.

Or, ces hommes « indiens » avaient été trouvés dans l’état de liberté car ils n’avaient pas de maître. Il a donc fallu accepter après d’autres difficiles débats, une conception toute nouvelle : la liberté est « l’état naturel de l’homme ». Et du fait de cet état naturel, l’homme avait le droit à la protection de cette liberté. Or concevoir la liberté comme état naturel de l’homme mettait en évidence que l’ordre établi pourrait n’être qu’une oppression. Ni le Pape ni les Rois n’avaient été capables avec leurs propres lois, humaines, souvent injustes et variables, d’empêcher la destruction des « Indes » et de protéger l’humanité, une, indivisible et détentrice de droits naturels. Au nom de la justice, seule une loi supérieure à celles des Églises et des Rois pouvait protéger l’humanité. Cette loi, appelée « droit naturel », repose sur la conscience que l’humanité est née libre et a droit à la protection de cette liberté. Cette conscience confère à l’être humain sa dignité. Dire que « l’humanité nait libre et doit le demeurer », c’est énoncer une loi universelle.
Or dans le même temps, se déroulaient les guerres de Religion entre catholiques et protestants au cours desquelles anabaptistes et juifs ne furent aucunement épargnés. Le motif de ces guerres mit en évidence le caractère despotique des lois religieuses. Les expériences de tolérance qui purent faire illusion, furent interrompues par de nouveaux cortèges d’horreurs et de souffrances. Il était évident que c’était le despotisme de toutes les Églises qui était incompatible avec la liberté personnelle et en société. En définissant la liberté de conscience comme élément nécessaire à la liberté personnelle tenue du droit naturel, les religions étaient renvoyées dans le domaine des opinions.

La grande réflexion philosophique, partant d’Espagne, dura deux siècles, pendant lesquels la philosophie se sépara définitivement de la théologie, et s’acheva avec les Lumières et la Révolution française. Elle porta sur des concepts nouveaux : liberté, liberté de conscience, droits de l’homme, conscience humaine, dignité humaine, universalisme. Sur ces bases, la morale ne pouvait plus reposer ni sur un consensus religieux ni sur une autorité morale commune. L’homme n’est libre en société que s’il obéit à des lois, lois à l’élaboration desquelles il a participé, et non à d’autres hommes. En inscrivant la Déclaration des droits de l’homme de 1789, dans notre Constitution, les lois de la République trouvent leur origine dans le droit naturel.

La morale républicaine en quelques mots :

La morale républicaine est donc plus qu’une transposition laïcisée et rationalisée des morales religieuses. Issue du droit naturel, la morale de la République est toute entière dans sa devise : liberté, égalité, fraternité, et le texte de référence est simplement sa loi.

La liberté implique la responsabilité, du seul fait du respect d’autrui et de soi-même. Cette responsabilité se décline en de nombreux aspects liés à la vie sociale. Prenons par exemple, cette phrase toujours prononcée lors du mariage (article 212 du code civil) : « les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance ». Notons que le texte original de 1803 était : « les époux se doivent mutuellement fidélité, secours, assistance » et que le mot respect a été ajouté en 2006 en référence aux violences au sein du couple.

L’égalité entre les citoyens est liée à la lutte contre l’injustice. L’égalité est en droit lorsque chacun est soumis aux mêmes lois, aux mêmes devoirs et bénéficie des mêmes droits. L’égalité est politique lorsque une femme ou un homme font chacun une voix. L’État doit corriger les inégalités naturelles ou sociales, par exemple, grâce à l’accès au savoir au sein d’une école publique de grande qualité.

La fraternité implique la solidarité, mais la dépasse en invoquant l’amour que chacun doit à son prochain considéré comme son frère. Contrairement à la charité qui assiste, la fraternité responsabilise le citoyen car elle contient l’implication dans les problèmes des autres, le combat contre l’indifférence et le rejet de la discrimination. La défense de l’intérêt général qui peut conduire à aller à l’encontre de son propre intérêt, démontre un haut degré dans la fraternité. Une des finalités de la fraternité est la Paix.

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Comment la morale républicaine peut-elle nous être commune ?

Les français ont ce sentiment parce qu’elle leur est enseignée dès le plus jeune âge sous la forme de valeurs par leurs parents et par l’école, constituant ainsi un mode de pensée commun aux citoyens qui fonde l’esprit de la Nation.

A l’aube du XXème siècle, dans une société paysanne et ouvrière où la solidarité est une nécessité et alors que se créent et prospèrent toutes les stigmatisations, les « anti-isme », (sémitisme, protestantisme, maçonnisme, cléricalisme), l’école laïque de la 3ème République fait la promotion de l’universalité. Elle enseigne que l’être humain est doté d’une conscience ce qui le distingue de l’animal et lui confère une dignité fondamentale. Elle ne reprend pas les théories scientifiques de l’époque qui prônent l’inégalité des races et la supériorité du sexe masculin ce dont les institutrices sont sûrement nombreuses à douter. L’humanité est présente dans tous les êtres ; le maître met en doute le modèle de l’individu mauvais par essence. Par exemple, l’alcoolique (le fléau de l’époque) qui peut être le meilleur des pères lorsqu’il n’est pas ivre, est un malade auquel il faut porter secours s’il se met en danger.

L’école insiste sur le fait que chaque enfant naît dans un état de société qu’il doit aux anciens, créant une solidarité avec eux. Elle met en évidence l’importance des savants et du peuple, dont l’alliance a permis que le niveau technique et intellectuel s’améliore et que les progrès s’accumulent. Bien qu’elle contribue à bouleverser les traditions, l’école prend soin de maintenir les liens avec les générations précédentes, ce qui impose de les respecter et de les écouter car elles ont été les acteurs du progrès. De cette solidarité naissent ainsi des obligations. A toute activité se voit associée une dimension morale : juste prix, juste poids, travail bien fait. Puisqu’on a reçu, il faut donner. L’échange n’est jamais uniquement matériel.

Toutefois, il subsiste des inégalités et l’école suggère que le progrès démocratique est nécessaire pour atteindre une harmonie sociale. Les bienfaits de la société ne sont pas un dû mais une dette vis à vis des efforts des anciens et chacun a le devoir d’être un agent du progrès pour une société plus juste, plus pacifique. Les « ne pas mentir, ne pas voler », de la morale personnelle s’inscrivent dans une démarche collective vers le progrès. Le progrès social viendra du progrès moral de chacun. Mais l’école insiste aussi sur le fait que le progrès démocratique exige un équilibre : une augmentation des droits ne se fera qu’au prix d’une augmentation des devoirs. Le progrès social passe aussi par la représentation politique. Le suffrage universel permet à la société d’évoluer sans recourir à la violence révolutionnaire. Les enseignements adressés aux garçons et aux filles sont les mêmes, ce qui dénote une volonté d’émanciper les femmes, mais l’école n’évoque pas la question du droit de vote.

« École du vice », accusée de démoraliser la France, d’engendrer un « peuple de lâches », ces critiques de l’école laïque se sont tues en 1918. La victoire est celle de la République et de son école, mais la ruine du pays et les pertes humaines marquent suffisamment les esprits pour que cet enseignement décline pendant les 50 années suivantes tout en laissant un souvenir idéalisé parfois, inventé souvent puisque la génération des parents d’aujourd’hui ne l’a pas suivi.

Supprimé en 1969, l’enseignement de la morale a pris un nouveau visage sous la forme du « vivre ensemble » au cycle 2 et de l’éducation civique, au cycle 3. L’enfant est au centre du programme actuel, dans une société fondée sur l’individualisme et la compétition, dans un environnement de consommation et de technologie, dans une société des émotions et du désir.

L’élève découvre d’abord que les contraintes de la vie collective sont garantes de sa liberté, que la sanction, lorsqu’elle intervient, ne relève pas de l’arbitraire de l’adulte mais de règles librement acceptées. Il apprend à refuser la violence et à débattre des problèmes à des moments planifiés. L’enfant se construit dans la recherche d’un équilibre entre ce qu’il doit faire, ce qu’il peut faire, et ce qui lui est interdit, afin de développer une attitude responsable. Il apprend à agir en commun dans le cadre d’un projet. Il apprend des règles de sécurité personnelles (en particulier pour sa santé et contre la maltraitance) et collectives. L’élève découvre d’autres acteurs de la société, hommes et femmes, qui méritent respect et obéissance (chauffeur de bus, agents de circulation, bibliothécaires). Il apprend à respecter l’environnement, celui de l’école et l’espace public qui sont le bien commun de tous. Il prend conscience d’appartenir à une communauté nationale et à ses symboles : hymne, drapeau. Mais il apprend aussi la diversité du monde et des cultures, l’unité de l’humanité qui conduisent à des solidarités.

Plus tard, l’élève prend conscience de l’articulation entre liberté personnelle, contraintes de la vie sociale et affirmation de valeurs partagées. Il apprend à respecter l’autre et à accepter la différence : entre sexes, entre cultures. Il apprend à lutter contre les formes quotidiennes de rejet. Les élèves se familiarisent avec la démocratie, avec l’engagement dans la vie publique. Il apprend que « même si la réalité n’est jamais conforme à l’idéal, celui-ci doit continuer à être affirmé pour guider les comportements et structurer l’action » à travers des exemples comme l’esclavage ou l’inégalité homme-femme. Il retient qu’il est des valeurs universelles avec lesquelles on ne peut transiger : la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen, la Convention internationale des droits de l’enfant.

Rappelons-nous donc que nul ne vit avec le code en tête. Ce sont les parents, l’école, les associations qui ont un rôle essentiel dans la transmission de la morale républicaine.

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L’évolution de la morale républicaine : en bien ou en mal ?

Dans ce siècle d’évolutions de l’enseignement de la morale républicaine que nous venons de survoler, et malgré la grande différence de conditions de vie, se retrouvent les mêmes thèmes : liberté, équilibre droits / devoirs, égalité et justice, universalité, solidarité. Malgré la référence à l’idéal, le progrès, en particulier social, semble faire moins sens ? La désignation des voies et moyens est laissée à d’autres. Dans un temps où il est si souvent fait appel aux bons sentiments, au respect, mais aussi à la concurrence, comment éveiller la fraternité ?

“Nos jeunes aiment le luxe, ont de mauvaises manières, se moquent de l’autorité et n’ont aucun respect pour l’âge”, ce propos est souvent attribué à Socrate (-500 ans avant notre ère) pour illustrer le fait que chaque génération trouve les suivantes moins fermes sur la morale oubliant que bien souvent nous, les anciens, avons été de diverses manières les moteurs de l’évolution observée.

En réalité ces propos ont été mis dans la bouche de Socrate par Platon dans La République, et ne concerne pas du tout cette question. Platon y dénonce l’excès de liberté qui conduit à l’anarchie puis à la tyrannie. Le comble de cette situation étant "quand ceux et celles qui ont été achetés ne sont en rien moins libres que ceux qui les ont achetés et quand s’exerce l’égalité des droits et la liberté dans les relations des hommes avec les femmes et des femmes avec les hommes" ! Un millénaire et demi plus tard, quelques années avant la Révolution, on en était encore à s’interroger sur la question, certains comme Turgot, jugeant que la liberté n’est pas une qualité humaine mais une conséquence de la propriété : plus je possède plus je suis libre ! Cette notion n’aurait-elle pas retrouvé une certaine actualité avec l’explosion de la publicité et du marketing ? Si l’enfant passe plus de temps devant la télévision qu’à l’école, nous avons là un problème.

Entre idéaux et réalité, la politique.

Ces dernières années, la pratique politique a exploité au maximum les faiblesses de la Constitution en l’adaptant selon les circonstances. La séparation des pouvoirs n’est plus toujours effective entre le pouvoir exécutif et pouvoir législatif, qui n’est plus qu’une chambre d’enregistrement, et entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire, soumis à une avalanche de lois répressives et à des injonctions d’agir. Le détournement du résultat du référendum européen de 2005 est un exemple de falsification d’une décision démocratique. Les lois en viennent à être fondées sur l’émotion ressentie par l’opinion publique. L’équilibre entre droits nouveaux et obligations nouvelles est rompu depuis longtemps. Il est vain d’espérer de l’État puisque le crédo de ceux qui le dirige est de se servir du régime pour se servir. La corruption se répand au sein de la République parmi les fonctionnaires et les élus jusqu’au plus haut niveau de l’état. La « raison d’état » n’est pas toujours conforme à la morale républicaine, loin s’en faut, cette expression cachant souvent des actes qu’elle réprouve et dont les auteurs gardent le secret sous le sceau d’un « secret défense » qui ne défend que des intérêts indéfendables.

Se pose la question des contre pouvoirs. Le terme est évocateur de corps sociaux qui paraissent utiles face à une démocratie dévoyée. Le premier auquel on pense est la presse. Or elle se trouve entre les mains de groupes industriels ou financiers intimement liés au pouvoir. Les informations sont pré-mâchées, les mêmes intervenants permanents, les notoriétés souvent indues, les affrontements pour le spectacle et les renvois d’ascenseur obligés. Il s’agit donc d’une dénomination trompeuse.

Un autre problème est la visibilité ou la transparence, c’est selon. Par exemple, le lobbying économique et religieux n’est connu que de ceux qui le pratiquent et de ceux qui acceptent de s’y soumettre. Son influence, souvent découverte après que la décision politique a été prise, reste cachée pour ne pas être soumise à la critique démocratique. Les moyens consacrés à ces actions posent encore la question de la corruption, voyages, vacances, emplois pour des proches, l’actualité en résonne tous les jours. L’alternance démocratique n’est qu’une solution temporaire, le lobbyiste comme la puce ayant tôt fait de se trouver une nouvelle victime.

L’histoire de la République n’est pas exempte d’injustice et de variabilité. La liberté des hommes impliquait la liberté des peuples et de ce fait interdisait la conquête et son moyen, la guerre. Robespierre l’exprimait en terme de « fraternité universelle », de « devoir d’entraide entre les peuples », né de la conscience d’appartenir au genre humain et de fraternité sur Terre. Vœux fracassés en 1793. Le peuple d’Haïti, lui, paye encore aujourd’hui par sa misère, sa révolte contre l’esclavage de cette même année 1793. Dès 1795, l’esclavage et la colonisation furent justifiés au nom du climat qui dans les régions chaudes, le Sud, amollit les peuples et les rend incapables par rapport à ceux des régions tempérées, le Nord. Bonaparte rétablit l’esclavage en 1802, qui attendit 1848 pour être aboli. Comme la France se lança ensuite dans sa politique coloniale, le droit naturel connut une longue éclipse dans notre Constitution jusqu’en 1948 où il réapparut au sortir de la guerre. Sans jamais avoir quitté, heureusement, les manuels scolaires.

En cette période où la politique est au centre de nos préoccupations, réjouissons-nous de voir revenir dans le débat la République et ses valeurs, liberté, égalité, fraternité, laïcité, non pas comme des mots creux mais comme objets d’explication sur leur sens profond et de vifs débats.

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Sources :

Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789
http://www.legifrance.gouv.fr/Droit-francais/Constitution/Declaration-des-Droits-de-l-Homme-et-du-Citoyen-de-1789

Art. 1er. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.

Art. 2. […] (l)es droits (naturels) sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression.

Art. 4. La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi.
Art. 5. La Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas.

Art. 6. La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.

Les lumières et le droit naturel, Florence Gauthier

https://ddd.uab.cat/pub/hmic/16964403n1/16964403n1p109.pdf

République, mon amour ! Gérard d’Andréa (Robert Laffont)

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