Sport et neutralité

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Pour la réunion du 30 avril , par P.B.

Le document préparatoire :

Y a-t-il lieu d’imposer la neutralité religieuse dans les compétitions sportives ?

J’avais fait appel à vos soins pour documenter ce sujet : j’ai reçu un flot de documents qui est venu s’ajouter aux multiples articles publiés partout dans la presse. Par cette rédaction, incomplète, j’ai voulu vous faire approcher la complexité à laquelle j’ai été confronté.

Pourquoi ce sujet aujourd’hui alors qu’il s’agit d’une question très ancienne ? Le Sénat, sur proposition des Républicains, le 18 février (avec le soutien du ministre François-Noël Buffet, rattaché au ministère de l’Intérieur), a adopté un texte interdisant le voile dans l’ensemble des compétitions sportives, y compris amateur. Ce texte sera bientôt à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

La Ministre des Sports, Madame Marie Barsacq, ne cautionne pas cette position ; elle justifie le port du foulard islamique sur le terrain en ces termes devant les députés :
"L’objectif du ministère des Sports, c’est de donner l’accès à la pratique sportive à tous et toutes, et nous avons aussi la conviction que le sport est un outil d’émancipation pour tous et toutes". "Ces sujets sont compliqués", "La laïcité ne se résume pas au fait de porter ou non le voile", "l’entrisme ne se résume pas au port du voile", ... "les sujets de radicalisation dans le sport sont un autre sujet … »

Le député RN Julien Odoul, (auteur avec la députée macroniste Caroline Yadan d’un rapport alertant sur les "multiples et inquiétantes dérives communautaristes et islamistes" dans le sport) lui demande de ne pas faire l’autruche.

Marine Le Pen (sur CNews), le 13 mars) : "Elle a un petit peu 20 ans de retard parce qu’aujourd’hui, tout le monde admet que le voile est considéré par les fondamentalistes islamistes comme un outil politique".

Même condamnation du côté des Républicains. "Pas de voile dans le sport. Le principe de laïcité doit être strictement appliqué dans les compétitions sportives. Transiger, c’est se soumettre", a affirmé, sur X, Laurent Wauquiez

Octobre 2015 : note confidentielle du renseignement territorial (SCRT) révèle que le sport amateur est devenu un vecteur de communautarisme et de radicalité.

Mai 2022, un rapport détaillé fourni par l’Institut des Hautes études du ministère de l’Intérieur (IHEMI) juge qu’il n’existe pas de « phénomène structurel, ni même significatif de radicalisation ou de communautarisme dans le sport ».

Selon Patrick Karam, vice-président de la région Île de France et inspecteur général de la Jeunesse et des Sports. « Si tous les radicalisés ne sont pas sportifs, explique-t-il, tous ceux qui sont en revanche passés à l’acte, quasiment tous ceux qui ont commis des attentats, étaient dans un club sportif »

Les chiffres montrent que le phénomène reste peu important, même si selon Médéric Chapitaux (sociologue), 4 clubs de football ont été fermés pour séparatisme.
Faut-il le négliger pour autant ?

Oups ! Le garde des sceaux menace de démissionner. Le Premier Ministre reprend la main : avec son gouvernement, il soutient la proposition de loi du Sénat.

Prenons nos entrées habituelles : l’histoire, la philosophie, le droit

L’HISTOIRE :
  Les origines de l’olympisme : les athlètes courent nus, toutes les différences sont laissées au vestiaire.
  L’accès très progressif des femmes aux activités sportives.
  Rappelons l’initiative concarnoise de Pierre Guéguin, maire, instaurant une première activité sportive (gymnastique) pour les jeunes femmes, dans les années 1930.

LA PHILOSOPHIE :

  Le CIO, Comité international olympique, fait de la participation universelle des jeunes filles et des femmes une ligne de développement clairement affirmée ces dernières décennies. Que toutes les femmes de toutes origines participent aux JO est un objectif affiché et répété. Cela doit-il se dérouler quelles que soient les conditions posées ? Quitte à ce que le C.I.O déroge totalement à ses propres principes pourtant gravés dans le marbre de la Charte olympique.

Catherine Louveau, sociologue, Annie Sugier, Présidente de la Ligue du Droit International des femmes
https://decolonialisme.fr/femmes-voilees-dans-le-sport-une-offensive-concertee

Quels que soient ses formes, ses pratiques et ses lieux de développement, le sport est encensé pour ses vertus et ses « valeurs » : éducatif, socialisant, porteur de fraternité et de paix, il est aussi décrit comme une « grande famille », un monde de référence où l’on est « tous égaux » (métaphore de la ligne de départ).
Le mouvement sportif institué est fondé sur ces valeurs réitérées, au premier rang desquelles « l’universalité » du sport. (revue Quel Sport)

LE DROIT :
La règle 50 de la Charte olympique assurent la neutralité du sport sur les lieux de pratique.
A ce double titre, sont interdits, à l’occasion de compétitions ou de manifestations organisées sur le territoire de la Fédération ou en lien avec celles-ci :
 tout discours ou affichage à caractère politique, idéologique, religieux ou syndical,
 tout port de signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale,
 tout acte de prosélytisme ou manœuvre de propagande,
 toute forme d’incivilité.
Toute personne contrevenant à ces dispositions fera l’objet de poursuites disciplinaires et/ou pénales.

En l’état actuel du droit français, il revient à chaque fédération concernée de décider d’user de son pouvoir réglementaire pour poser une telle interdiction dans le cas où cela s’avérerait nécessaire pour assurer le bon fonctionnement du service public dont elle a la charge ou la protection des droits et libertés d’autrui.
Dans l’arrêt Alliance citoyenne et autres qu’il a rendu le 29 juin 2023 dans l’affaire dite des « hijabeuses », le Conseil d’État a ainsi jugé légale l’interdiction édictée par la Fédération française de football (FFF), au motif qu’elle serait nécessaire pour assurer le bon déroulement des matchs « en prévenant notamment tout affrontement ou confrontation sans lien avec le sport »
https://www.leclubdesjuristes.com/societe/laicite-dans-le-sport-une-exception-francaise-10025/

L’avis d’Eric Tanguy, président de la Fédération française de volley-ball :
Dès l’instant qu’il y a une règle, on la met en application, surtout lorsqu’on accepte de conduire la délégation de service public, telle qu’elle est confiée à notre Fédération. (…) Quand on s’engage à respecter les principes de la République, notamment celui de la laïcité, il faut aussi le mettre en œuvre… ».
Nous sommes une République laïque, pas un pays du multiculturalisme… La France, elle, assure à chaque individu les mêmes droits et libertés, qui ne dépendent ainsi pas du bon vouloir de telle ou telle communauté. Nous les considérons comme incessibles.

Celui de Philippe Diallo, président de la FF de Football (l’an passé sur France Info) : « Mon devoir, c’est d’assurer une forme de neutralité dans la pratique sportive. La Fédération a mis un cadre, comme à l’école. Il ne peut pas y avoir une modification de nos horaires, de notre organisation, qui soit liée à la mise en œuvre d’une pratique religieuse, quelle qu’elle soit » … C’est pour protéger les libertés de tous vis-à-vis de tout discours ou affichage « politique, idéologique, religieux ou syndical », qui n’a rien à faire dans le sport (FFF, Article 1.1 de ses statuts).
Rien que du sport, démocratique, laïque et convivial, ... un choix de société.

LICRA : Le sport joue le même le rôle que celui que Jean Zay avait donné à l’école. Il doit rester, pour reprendre ses mots, « l’asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas » ... La licra entend faire reculer la haine et les préjugés, le fondamentalisme et la radicalisation.

J’évacue volontairement les récupérations politiciennes qui biaisent et polluent le débat.

Le problème est mal posé, dit F. Thiriez, le 25 mars 2025
« Ce n’est pas le principe de laïcité qui justifie l’interdiction des signes religieux dans le sport. La loi de 1905 n’a rien à voir dans l’affaire. L’obligation de neutralité religieuse qu’elle impose ne s’applique qu’aux fonctionnaires et agents publics, pas aux « usagers » que sont les sportifs, à la seule exception des joueurs des équipes de France, assimilés par le Conseil d’État à des agents du service public (CE, 29 juin 2023, Alliance citoyenne). Opposer le principe de laïcité aux jeunes filles qui veulent porter le voile pour faire du sport est donc non seulement erroné, mais contre-productif, tant la notion est mal comprise, voire rejetée, par le public. L’interdiction de tout signe religieux dans le sport, comme de tout message politique ou syndical, a un tout autre fondement. Ce sont les valeurs universelles du sport, telles que rappelées par la Charte olympique : l’égalité, la non-discrimination, la dignité de l’être humain, quelle que soit sa race, son sexe, sa religion ou ses opinions. C’est cette même charte qui, dans son article 50, prohibe clairement tout signe religieux ou politique dans les enceintes sportives, concrétisant ainsi la belle idée de la « trêve olympique » : avant d’entrer sur le terrain, chacun laisse ses « armes » au vestiaire, entendons par là tout ce qui peut diviser ou afficher une différence.

Une interruption du match pour satisfaire à une prescription religieuse valant pour certains joueurs lui donne force de loi. De plus, c’est l’assignation des autres joueurs à celle-ci, sinon des supporters, comme de tous les téléspectateurs.

Des questions en suspens :

  Le signe religieux qu’est le voile : vêtement ordinaire ou question de dignité de la femme ? Inclusion ou exclusion ? Interdiction ou protection ? Soumission ou émancipation ?
  Qui est concerné : Joueurs, joueuses, arbitre, encadrement … les officiels ? Voir la position de la FFHB où l’arbitre se retrouve seul en bout de ligne pour gérer des situations fort délicates.
  Le lieu : la règle s’appliquerait au stade dans son ensemble ou seulement pour les vestiaires ou la zone de jeu ?
  Le temps : en compétition seulement, à l’entraînement, en loisirs ?
  Le cadre : club, fédération nationale, fédération internationale : L’UEFA (Union des associations européennes de football) autorise les poses pour rompre le jeûne du Ramadan, ce n’est pas le cas de la FFF.
  Une règle unique pour toutes les différentes fédérations ? (Quid pour Fédération sportive et culturelle de France liée à l’Eglise (F.S.C.F.) ? ),
  Une règle unique pour les seules fédérations sous délégation de service public ?
  Le vêtement : le bon sens voudrait qu’il corresponde au sport pratiqué, jusqu’où ? (à l’inverse de la tenue islamique, les beach-volleyeuses et leur mini maillot de bain en compétition)
  Au nom de l’éthique du sport, on comprend que le port du voile ne puisse être accepté. Le hijab n’est pas un couvre-chef ordinaire. Il est la manifestation ostentatoire, non seulement d’une appartenance religieuse, mais aussi d’une séparation voulue entre les hommes et les femmes et d’une soumission explicite de celles-ci aux premiers. Il n’est rien de plus contraire aux valeurs fondamentales du sport telles que l’égalité et la dignité de la femme.
 La République assure la liberté de culte => un terrain de sport peut-il être un lieu d’exercice d’un culte ?
 L’inclusion par le sport peut-il être conditionné à une contrainte religieuse ?
  Qu’en pensent les femmes elles-mêmes ?

Les débats :

Au vu de toutes ces approches, comment concilier histoire, droit et philosophie, sans que les intérêts politiciens ne viennent s’en mêler ? Les débats ont pris toutes sortes d’entrées.

 La dimension éthique du sujet : elle appelle à la neutralité, mais les usages, les règles et le droit s’entrecroisent.
 Il y a 3 ans : 5 pour mille environ des associations signalaient un problème … Le sujet semblait marginal.
 - Lors des derniers Jeux Olympiques, la trêve a été respectée : chaque athlète a laissé ses armes et tout signe distinctif au vestiaire : ni signe religieux, ni signe politique.
 La neutralité des pratiques protège les libertés dans le sport. Les règles sont faites pour inclure, non pour exclure ; les querelles des hommes ne devraient pas y pénétrer.
 Les avis divergents des hommes et femmes politiques inquiètent.
 L’entrisme de la religion ne commence-t-il pas par le biais des créneaux horaires demandés exclusivement pour les femmes ou par la remise en cause des règlements intérieurs concernant les vêtements ?
 En regard des vêtements, la question de la sécurité selon l’activité est posée : jusqu’où imposer ?
 Le parallèle avec les circulaires Jean Zay (1936-1937) pour l’école est retenu : qui aujourd’hui autoriserait l’entrée de la politique partisane ou le prosélytisme à l’école ?

 L’entrisme dans le sport est difficile à évaluer.
 La délégation de service public, porteuse d’argent public, ne crée-t-elle pas des contraintes ?
 Pourquoi des règles différentes selon les fédérations ? -> La Ministre n’y est pas favorable.
 La position de l’ONU : favorable au port de vêtements à caractère religieux dans le sport. Qu’en penser ?
 Le voile est un problème particulier ; dans le Coran, à aucun moment, il n’est dit que les femmes doivent porter un voile. Il y est question de pudeur, pas de code vestimentaire, ... seulement d’atours. Lecture est faite des deux principaux versets à ce sujet pour mesurer l’ampleur et le poids des diverses interprétations.
Sourate 24 verset 31 et Sourate 33 verset 59
.

Nous n’avons pas à culpabiliser !

 Dans bien des disciplines sportives, les bijoux : colliers, boucles d’oreilles et c... sont ôtés avant le match.
 Un souhait : développer la neutralité dans le sport, comme le propose la LICRA qui affirme que le sport est "un asile inviolable où les querelles de hommes n’entrent pas".
 Comment édicter une règle à caractère nécessairement universaliste, facilement acceptable par tous et toutes, religions comprises, pour un espace-temps de neutralité, de solidarité, de paix ?
 Cette question du voile n’est-elle pas dans la continuité des pressions et des contraintes qu’ont connues les femmes depuis la nuit des temps ?
 Le sport est désigné comme absolument nécessaire au développement physique et à la socialisation de l’adolescent.
 La neutralité se heurte au communautarisme et au mimétisme, chez les plus jeunes en particulier.
 Ne serait-il pas bon de garder le mot "laïcité" pour ce qui concerne la sphère de l’autorité publique (administration, école, hôpital ...) gérée par la loi de 1905, et de privilégier le terme "neutralité" pour le domaine sportif géré essentiellement par la loi de 1901 ?

  Une contribution : La violence dans certains propos appelle à prendre du recul. Le sujet a une dimension éthique importante et doivent donc être convoqués les aspects correspondant aux usages (les normes usuelles locales et internationales qui divergent), la morale (qui mobilise entre autre les religions, mais aussi notre humanisme), et enfin la règle ou le droit qui, comme les normes ou l’approche morale n’est pas unique - voir la position onusienne-... Une fois encore je me demande si le sujet c’est le sport, la laïcité, les femmes ou les musulmans (derrière lesquels je vois pointer un racisme anti arabe).
Attention à ne voir que le doigt qui indique la lune.

Un sujet complexe, qui demande à être encore approfondi, même si la plupart des pratiquants s’accordent sur une neutralité nécessaire. Si une règle générale devient nécessaire, il en faudra du courage à nos représentants politiques !

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