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Traité sur l'intolérance - Laïcité Aujourd'hui

Traité sur l’intolérance

, popularité : 16%

pour la réunion du 8 février 2023, par MLM

Je ne sais si vous avez lu ce petit livre de 90 pages à peine (paru en janvier 2023), mais je le trouve d’une grande puissance, et je voudrais partager avec vous mon enthousiasme.

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Richard MALKA est né en 1963. Après un bac scientifique, il se tourne vers le droit, un métier où il peut allier logique et création. Il prête serment au bureau de Paris à l’âge de 23 ans. Très vite il acquiert, en tant qu’avocat de clients prestigieux, une notoriété certaine dans le monde des médias et de la justice, de la magistrature.
Il commence sa carrière en 1992 au cabinet de Georges Kiejman et il est très vite chargé du dossier de Charlie Hebdo lors de la relance du titre et d’un dessin polémique de Riss sur Caroline de Monaco (un dessin horrible où Caroline demande l’annulation de son mariage au Pape, les jambes ouvertes et le reste aussi avec 10 évêques autour, qui disent « la matrice princière n’a pas été utilisée » !)

Déjà, à l’époque, R. Malka disait que le dessin est devenu « le bras armé de la laïcité ». La robe de l’avocat fait « le moine soldat », mais au nom de la laïcité.

R. Malka est un homme « libre » de parole et de principes, « solitaire » comme il aime dire, mais au service d’une noble cause collective. Il est intervenu dans de nombreux débats et procès en lien avec la laïcité et la liberté d’expression.

Les éditions Grasset publient en 2019 un recueil de plaidoiries prononcées par Me G. Kiejman et Me R. Malka en défense de Charlie Hebdo dans le procès des caricatures de Mahomet, sous le titre : « Eloge de l’irrévérence » ; le procès a lieu en 2007, les 7 et 8 février. La une du journal montrait le prophète, débordé par les extrémistes, se tenant la tête entre les mains « C’est dur d’être aimé par des cons. ».
Face à eux, des associations qui demandaient la censure du journal : la mosquée de Paris et l’U.O.I.F. (Union des Organisations Islamiques de France, devenue Les Musulmans de France en 2017). Ces plaidoiries sont des éloges superbes à la liberté de pensée, déconstruisant le totalitarisme en chemin, moquant les censeurs, défendant comme une valeur superbement belle le droit de rire, non des êtres, mais de leurs idées, tendant aux lecteurs des armes démocratiques pour continuer de rêver, d’éveiller, de croire ou de ne pas croire, ou de croire en rien.

Richard Malka a aussi défendu le fait religieux dans l’entreprise privée. Tout le monde se souvient de l’affaire Baby Loup en décembre 2010. Il a obtenu du conseil des Prudhommes le licenciement d’une salariée voilée. « Notre décision sera inscrite dans l’histoire de la laïcité en France », disait-il en novembre 2013 à la cour d’appel de Paris.
5 ans après le début de la procédure, la cour de cassation confirme la décision. C’était un procès difficile : d’un côté l’islamophobie d’une certaine population, de l’autre, il a montré les dangers qu’encoure la laïcité. Depuis, la crèche a fermé ; elle était ouverte 7 jours sur 7 et 24 h sur 24 dans un quartier sensible.

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R. Malka a été l’avocat de la République laïque contre les Frères Musulmans (en 2016) ; en 2019, il obtient la relaxe de la journaliste Isabelle Kersimon, accusée de diffamation pour avoir questionné sur la fiabilité des statistiques du C.C.I.F. (Collectif Contre l’Islamophobie en France) et souligné les liens du collectif avec les Frères musulmans.

En 2020, il est l’avocat de Mila et signe une tribune en défense du droit au blasphème. Les cyberharceleurs ont écopé d’un triplement de leurs peines ce 31 janvier 2023. Ils n’avaient aucun regret et minimisaient leurs actes.
« Un arrêt qui contribuera, je l’espère, à faire prendre conscience que menacer de mort est un délit ».

En janvier 2022, le 12 février, un an après Rachel Kahn pour son livre « Racée », il reçoit le 31ème prix du livre politique pour son ouvrage « Le droit d’emmerder Dieu », l’intégralité de sa plaidoirie au procès des attentats de 2015 contre Charlie Hebdo. Je vous le conseille vivement !
« A nous de rire, d’aimer, de dessiner, de lire, de jouir de toutes nos libertés, de vivre la tête haute face à tous ces fanatismes ». Plus qu’une plaidoirie, c’est un éloge à la vie, éclairée et joyeuse ... et libre !

CHAQUE MOT PESE, CHAQUE MOT FRAPPE.

En recevant ce prix, il a déclaré : « Il y a quelque chose de plus important que la justesse d’une opinion, c’est le droit de l’exprimer ! ». Deux personnes ont fait appel de ce procès en 2020. Le 12 septembre 2022 s’ouvre le procès aux assises de Paris, dans la salle Voltaire. Le 12 octobre 2022, la condamnation est confirmée pour les deux appelants ; l’un s’est pourvu en cassation.

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Cette dernière plaidoirie est le sujet de ce livre, difficile à résumer, un très beau travail historique et anthropologique sur ce qu’est advenu l’islam entre le VIIème et le XIIème siècle, déchiré entre raison et soumission. Une méditation puissante, pour que chacun sache, comprenne, échange et s’exprime. Sur le bandeau du livre : « Il y a un islam des lumières et un islam des ténèbres dont le principal ennemi est l’islam des lumières. Il y a un islam des philosophes et un islam des prédicateurs, un islam de la réflexion et un islam de l’imitation, un islam des mutazilites et un islam des salafistes ».

C’est la lutte contre l’obscurantisme, contre le communautarisme, contre cette radicalisation des idées et des opinions, notre combat depuis des années.

J’ouvre de grands guillemets maintenant car comme je vous l’ai dit dès le début, il est très difficile de résumer, de « traduire » le texte : celui-ci est très fort, et n’implique aucun commentaire !

Le procès a lieu dans la salle Voltaire de la cour d’assises de Paris : Voltaire, le pourfendeur des religions, l’esprit libre des révolutionnaires … l’auteur du traité sur la tolérance … qui osait dire que « le christianisme était la religion la plus ridicule, la plus absurde et la plus sanguinaire qui ait jamais infecté le monde ».

L’accusé du jour s’appelle la religion : c’est le mobile du crime et il est explicite : le respect du Coran et la vengeance du prophète ; c’était la vision dogmatique des frères Kouachi. On ne triomphe d’une peur qu’en combattant la cause. La peur provoque chez l’être humain 2 réactions : la violence et la soumission ; et il cite encore Voltaire : « Il est honteux que les fanatiques aient du zèle et que les sages n’en aient pas. »

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Pour Richard Malka, la vision de l’islam des Frères Kouachi remonte au VIIIème siècle : une première école de pensée se forme dans deux villes : Bagdad et Bassora, c’est la pensée des Mutazilites, pénétrés par l’idée selon laquelle ne pas agir selon la raison contredit la nature même de Dieu ; mais toute action entraînant une réaction, un autre courant va grandir : rigoriste et radical, prétendant appliquer le Coran à la lettre, ce sont les Hanbalites. Le wahhabisme saoudien et le salafisme en sont les émanations les plus extrêmes de ce courant littéraliste. Une controverse théologique de plus de mille ans.

Pour ces derniers, le Coran est incréé, c’est-à-dire directement issu de Dieu. Le croyant ne doit qu’obéir, imiter, et ni la raison, ni la justice, ni le bien, ni le mal ne peuvent être opposés au texte ; surtout ne pas penser !

Pour les Mutazilites au contraire, le Coran n’est pas incréé puisqu’il est passé par la méditation d’un homme Mahomet, il y a donc un champ large d’interprétation et d’adaptation du texte. Mais ils ont perdu.

A cette question du blasphème, c’est-à-dire de la possibilité de la critique, ce qui heurte frontalement la thèse du Coran incréé dépend la vision de l’islam qui l’emportera. Et cette salle Voltaire se retrouve à l’épicentre de la controverse, car la France est le porte-étendard, en raison de son histoire, du droit de la critique des religions.

Il y a dans le Coran des centaines de promesses de châtiments pour les mécréants mais c’est Dieu qui châtie, c’est donc au ciel que la sanction intervient. Dieu ne délègue pas aux hommes ! Les frères Kouachi se sont arrogé une prérogative qui n’appartient qu’à Dieu, ce sont eux les mécréants.
Et Delphine Horvilleur dit ceci aussi : « Si on ne tient pas compte du contexte, on ne peut pas comprendre une littérature, aussi sacrée soit-elle » et elle ajoute « Toute lecture est déjà une interprétation, qu’on le veuille ou non. »

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Pour être complet, il faut parler du jihad, le fameux verset de l’épée : « Tuez les infidèles partout où vous les trouverez… ». C’est la justification de tous les meurtres commis au nom du Prophète, et c’est, pour certains, une justification de la violence. Et on manipule le passé, et, qui plus est, le verset suivant (le 6 de la sourate 9), dit exactement le contraire : il incite à protéger les infidèles et leur accorder l’asile car ils ne savent pas. Ces versets n’ont pas une validité « détemporalisable et délocalisable » précise Jacqueline Chabbi. Ils correspondent à une histoire qui a eu lieu il y a mille quatre cents ans en Arabie et on leur fait dire ce qu’ils ne disent pas !

Il faut aussi parler des hadiths, des paroles ou des actes attribués au Prophète. Ils sont 500 ou 600 000 et certains légitiment la violence et sont invoqués par les fanatiques. Les sunnites ne reconnaissent pas les mêmes que les chiites ; chaque courant de l’Islam a les siens et rejette ceux des autres. Pour les mutazilites, le seul guide de la vraie foi devait être la raison ; ils plaçaient le libre arbitre au-dessus de tout. Autant dire que chacun peut y trouver ce qu’il veut et chaque apprenti prédicateur peut instrumentaliser à souhait.

Au 10ème siècle, il a été décidé que l’effort de réflexion devait se refermer, et tout s’est figé. C’est la fin de la pensée au profit de la pure imitation de textes peu fiables, incompréhensibles hors contexte, ou contradictoires. Les portes du savoir ne doivent jamais se fermer, ni en religion, ni à l’université. Le salafisme, le wahhabisme et ses milliards, les Frères musulmans ont confisqué une religion pour en imposer une vision politique. Pour y parvenir, ils émettent des fatwas contre de prétendus blasphémateurs.

Hamadi Redissi, professeur de sciences politiques à l’université de Tunis, déplore que l’Islam sectaire wahhabite soit devenu l’Islam. Le questionnement de l’Islam n’est pas de l’islamophobie : c’est une condition de sa survie et de la nôtre.

Accusation de blasphème, d’islamophobie, cette arme de censure massive inventée, selon Salman Rushdie, pour permettre aux aveugles de le rester et pour interdire toute critique de la religion au prétexte d’un hypocrite respect dont le vrai nom est « Peur ».

On est arrivé à une crispation du seul fait de prononcer le mot « Islam » parce que, comme le dit Gilles Kepel politologue et professeur à l’université de Paris et à l’école normale supérieure, « l’arme du blasphème était l’objet d’une surenchère entre Daesch et Al Qaïda, entre l’Iran et l’Arabie saoudite, entre les sunnites et les chiites, qui se disputaient la mobilisation de leurs coreligionnaires dans un djihad universel contre l’occident judéo-chrétien. ». C’est une recette aussi vieille que l’humanité que de mobiliser la colère de son peuple contre un ennemi extérieur pour pouvoir le maintenir en servitude.

Aujourd’hui l’idée que le « vrai » Islam serait celui des salafistes ou des Frères musulmans s’impose. Ne pas oser le dénoncer, ce n’est pas être intolérant, c’est « abandonner les hommes à leur malheur ». L’arme fatale est l’accusation de blasphème. La liberté d’expression est la clé de tout, du passé et de l’avenir de l’Islam ; mais le plus fou de tout reste que la répression du blasphème est en grande partie une invention des hommes ! Les islamistes trahissent le Coran, les frères Kouachi n’ont pas vengé le prophète. Le mot blasphème n’est pas dans le Coran. Sourate 4 verset 140 : « La seule chose que doit faire un homme (face au blasphème), c’est de ne pas écouter" ... c’est tout, rien de plus. On n’égorge personne.

Les salafistes se réfèrent à un monde et à un texte qui n’existe que dans leurs fantasmes, et du coup, la liberté d’expression ou de création est leur hantise et ils interdisent tout : les libertés, le rire, la musique ; ils ne cherchent qu’à exprimer leur haine de la vie et leur passion du néant. Cette idéologie est une machine à broyer les peuples et d’abord les musulmans eux-mêmes.
Les salafistes s’inventent aussi des raisons coraniques à leur antisémitisme ; or les textes de Mahomet sont une protection des juifs. On peut parler de falsification de l’histoire.

ILS ONT TUE A L’ HYPERCASHER !

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En 1936, Thomas Mann, prophétique, avertissait l’Europe des dangers qui la guettaient : « Dans tout humanisme, il y a un élément de faiblesse qui vient de la répugnance pour tout fanatisme, de sa tolérance et de son penchant pour un scepticisme indulgent, en un mot : de sa bonté naturelle. Ce dont nous aurions besoin serait d’un humanisme militant, convaincu que le principe de liberté, de la tolérance et du libre examen n’a pas le droit de se laisser exploiter par le fanatisme sans vergogne de ses ennemis. »

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Quant à moi, je suis admirative de ce discours de Richard Malka avec les risques qu’il prend. On ne peut qu’admirer ses idées.

Il est évident que cette plaidoirie, cette vision peut poser problème. Elle a été le sujet d’un entretien sur Figarovox (20.01.23) (publié sur le site très engagé Le Salon Beige) entre R. Malka et Rémi Braque, présenté comme philosophe érudit en langues moyen-orientales
https://www.lesalonbeige.fr/lislam-peut-il-etre-tolerant-le-courage-de-me-malka-nest-pas-le-gage-dune-complete-clairvoyance/

Selon R. Braque, les présupposés, les idées reçues de R. Malka concourent étrangement à présenter l’Islam sous un jour naïvement aimable.

Malka : l’islamisme, ce n’est pas ça l’Islam - la position des mutazilites – la religion n’est que ce qu’en font les hommes – le christianisme n’est guère mieux que l’Islam – l’espoir d’une autre lecture que celle des extrémistes

Braque : Islam = deux conceptions hétérogènes, mais de même nature : l’islam un islamisme patient – les mutazilites n’étaient pas non plus des enfants - les croisades = un fait historique, le djihad = une obligation permanente – dans le Coran, il y a toujours quelque chose de bon à prendre, restent les versets qui appellent à la violence – il est irrationnel de penser Islam des Lumières.
« Quant à la situation actuelle, il y a effectivement quantité de musulmans qui regardent leur propre islam avec des yeux qui ne sont pas ceux de Chimène, et qui n’hésitent pas à critiquer les dérives radicales. Seulement, il faudrait que des non-musulmans les soutiennent au lieu de se taire par crainte d’être traité d’islamophobe. »

Le billet de Raphaël Enthoven dans Franc Tireur n° 65 (08.02.23)

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