Tribune publiée le 22/05/2025 (Marianne)
"M. Retailleau, il est temps de dire clairement que nous devons combattre l’islam politique sous toutes ses formes"
Par Kamel Bencheikh
Monsieur le ministre,
Il y a des combats qui honorent une nation. La défense de la République en est un. Vous avez récemment affirmé, avec force, votre volonté de lutter contre l’islam politique, et il faut saluer cette intention sans réserve. Car l’islamisme n’est pas une croyance parmi d’autres : c’est une machine de guerre idéologique, un cheval de Troie au cœur de notre démocratie, une entreprise de domination qui n’a pour but que la soumission des consciences et la mise à bas de notre pacte républicain.
Mais dans votre déclaration, vous avez restreint le périmètre du danger au seul mouvement des Frères musulmans. Ce serait une erreur, monsieur le ministre – une erreur grave. Car limiter l’islamisme à la seule confrérie des Frères musulmans, c’est regarder l’incendie par la serrure. Le feu court partout, sous d’autres noms, d’autres formes, parfois plus insidieuses encore. L’islam politique est un système d’emprise global, un projet de société qui récuse nos lois, nos libertés, notre égalité entre les femmes et les hommes, notre humanisme même. Le réduire à un groupe, aussi structuré et influent soit-il, revient à fermer les yeux sur la multiplicité de ses visages.
L’islam politique
Le fondamentalisme ne se porte pas toujours en barbe longue et en discours martelé. Il peut aussi parler doucement, s’infiltrer dans les associations, dans les écoles, dans les esprits. Il ne porte pas toujours la bannière des Frères, mais défend toujours la même idéologie : celle de la charia comme horizon juridique, celle de l’infériorisation de la femme comme évidence, celle de l’effacement de la liberté au profit du dogme. Monsieur le ministre, la France n’est pas l’Égypte. Elle n’est pas l’Arabie saoudite. Elle n’est pas un État religieux – elle est une République. Et dans notre République, il n’y a pas de « bonne » ou de « mauvaise » version de l’islam politique. Il y a la loi commune ou la loi du clan. Il y a la liberté ou l’obéissance. Il y a la laïcité ou le sacré érigé en Code civil.
Vous avez, comme d’autres avant vous, pris exemple sur des régimes qui, tout en prétendant combattre les Frères musulmans, continuent d’imposer la charia comme fondement juridique. N’est-ce pas là une contradiction profonde ? Comment croire à leur combat contre le fondamentalisme quand leur propre droit nie l’égalité la plus élémentaire ? Quand une femme n’y est qu’un tiers d’homme, un mineur permanent sous tutelle masculine ? Ce n’est pas cela qui doit inspirer la France. Ce n’est pas cela qui doit guider notre politique.
Nous ne pouvons pas nous contenter de combattre un courant quand c’est toute une idéologie qu’il faut affronter. L’islam politique est un spectre plus large, plus diffus, qui dépasse les frontières partisanes ou les affiliations précises. Il s’insinue dans les habitudes, les discours, les revendications identitaires. Il se loge dans chaque exigence communautaire, chaque voile imposé, chaque refus de la mixité, chaque prêche de haine murmuré dans les arrière-salles d’une mosquée officieuse.
Religion et pouvoir
La République ne peut pas dire : « Nous luttons contre les Frères musulmans », comme on désignerait un coupable pour détourner le regard de tout un système. Car en agissant ainsi, elle envoie ce message désastreux : que tant qu’on ne s’en réclame pas officiellement, on peut islamiser les esprits à petit feu, remettre en cause nos principes sous couvert de spiritualité.
Mais ce combat, nous devons le mener non contre les croyants, mais contre les confusions. Car c’est là que les islamistes prospèrent. Ils brouillent les lignes : entre foi et idéologie, entre religion et pouvoir. Ils crient à l’islamophobie pour mieux faire taire les résistances. Ils usurpent la voix des musulmans pour imposer la loi des mollahs.
Alors, que fera l’État si demain un islamiste déclare qu’il n’est pas « frériste » mais prône exactement la même vision du monde ? Attendra-t-il qu’il agisse sous un autre nom pour réagir ? Où place-t-on la limite ? Sur la carte d’adhésion ou dans l’idéologie ? Et comment ne pas perdre le sens même du mot « laïcité » si l’on accepte dans l’espace public des pratiques fondées sur la charia, sous prétexte qu’elles ne sont pas estampillées Frères musulmans ?
Pas de soumission
Il est temps, monsieur le ministre, de dire clairement que c’est l’islam politique sous toutes ses formes que nous devons combattre. Non pas l’islam en tant que foi personnelle, mais l’ambition totalitaire de transformer la religion en loi commune. Car depuis que l’islam est devenu, en 622, à Médine, un pouvoir politique, il n’a cessé de mêler le spirituel et le temporel. Et c’est là le nœud du problème.
Notre mission n’est pas d’attendre une réforme incertaine dans des pays où la charia structure l’État. Notre devoir, c’est ici. C’est de préserver ce bien commun magnifique qu’est la laïcité. C’est d’empêcher que des principes religieux ne dictent notre vie collective. C’est d’offrir à tous les citoyens, croyants ou non, un cadre où l’on peut vivre libre, égaux, et dignes.
La République ne se soumettra jamais. Elle éclairera. Elle instruira. Elle protégera. Et elle dira sans trembler que le fondement de notre vivre-ensemble, ce n’est pas la parole révélée, c’est la loi votée. Pas la charia, mais le Code civil. Pas l’obéissance à Dieu, mais la liberté des hommes. Veuillez agréer, monsieur le ministre, l’expression d’un amour indéfectible pour la France laïque, et d’un engagement total contre les forces qui veulent l’asservir.
Par Kamel Bencheikh