Woke (suite)

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Réunion du 5 février 2025

Pour engager le débat (par P.B.)

Le 15 janvier, nous avons tenté de lever l’incompréhension que suscitent les mots woke et wokisme. Ensemble, nous avons beaucoup débattu, nous avons brassé beaucoup d’idées, mais force est de constater que chacun attendait davantage de clarifications.

J’avais choisi de dégager le chemin vers une définition du mouvement woke en écartant les notions voisines que sont la discrimination positive et la cancel culture. Pour y arriver, après un court historique, je m’étais appuyé sur le tout début d’un documentaire de LCP.

Si l’origine du mouvement woke fait consensus (la lutte contre le racisme, la demande de justice), la suite est restée très entremêlée ….

Rapidement après nos échanges, je me suis interrogé : était-ce la meilleure entrée ? Face à la complexité du sujet, quelles auraient pu être les autres entrées, … en particulier pour aborder ce qui se passe aujourd’hui ? Les discriminations ? les inégalités ? le sexe, le genre, la religion, la race, l’écologie … ? Les identités, les mono-identités pour certains ? Le réflexe victimaire, le retournement victimaire ? J’ai même pensé aux aspects psychologiques que révèlent les diverses prises de positions … ou l’exploitation politique du sujet …

J’avais imaginé que nos premiers échanges nous mèneraient naturellement vers une définition. Même approximative, cette définition nous aurait permis d’étudier ses déclinaisons dans les différents domaines où le wokisme est dénoncé actuellement. Il n’en a rien été.

Nous avons parfois buté sur les mots.
Déjà submergé par les documents que j’avais collectés la dernière fois, j’ai poursuivi mes recherches. J’ai vite découvert que la littérature sur le sujet était encore bien plus foisonnante que je ne le pensais.
Les questions ont redoublé :
La définition humaniste des années 60 tient-elle encore aujourd’hui ? Comment a-t-elle été retournée par les mouvements d’extrême droite, aux E.U. d’abord, puis par une partie du monde politique, pour stigmatiser et dénigrer les personnes qui se veulent « progressistes » ?

Pour comprendre, ne devrions-nous pas nous intéresser plutôt aux arguments des anti-wokistes, comme l’a suggéré J.Y. ?
Concernant le racisme, ne devrions-nous pas aborder la question de l’inconscient collectif, comme l’a suggéré E. ?
Faut-il « déconstruire », effectuer l’analyse des tenants des sociétés occidentales et de notre société en particulier ? pourquoi pas, mais aussitôt arrive la question suivante : pour reconstruire sur quelles bases ?

Devons-nous bousculer nos repères habituels centrés sur les fondements de notre République : la citoyenneté, l’universalité, la liberté de conscience, le libre arbitre … ? La DDHC devra-t-elle écartée ? Certains pays l’ont fait …
Vous connaissez ma référence fréquente à la « loi du lieu » : dans quel champ de pensée faut-il placer la notion woke ? Où se situe la rationalité dans tous ces discours ? J’y vois personnellement beaucoup de ressenti !

Les débats ont porté sur :

M. rappelle le travail effectué par François Héran (sociologue, anthropologue) et combien le contexte historique est à prendre en compte, citant en exemple l’écriture du Coran, héritier des autres livres saints. Il rappelle comment, autour de 1960, les noirs américains ont réclamé une juste place dans la société, cassant par là-même les modes de pensée de l’extrême droite.
D. s’interroge sur les liens entre wokisme et laïcité, et sur la nature d’une éventuelle menace. Est-ce une nouvelle façon de penser ? Quelle est la place de la tolérance dans ce discours ?
H. La notion woke a été retournée. Quand s’est effectué ce retournement ? Ne voit-on pas là le ressenti prendre le pas sur la raison ?

Dz se réfère à un documentaire sur la colonisation (sur Arte) et pointe combien la recherche de la vérité est importante. L’éveil est nécessaire tant pour le développement de l’esprit critique que pour préserver la possibilité du doute (histoire officielle, infos, respect des valeurs fondamentales …). Elle rappelle combien l’esprit de revanche peut pervertir l’égalité des droits, et rappelle cette injonction qui se développe : « Tu te tais ! parce que tu ne peux pas sentir les choses à ma place ! »
JL insiste sur l’importance de l’histoire et invite à relire les philosophes des Lumières. Le risque est grand de voir le mot woke exploité et instrumentalisé politiquement.
M. revient sur la place du doute (Descartes : que sais-je ?), l’opposition entre la foi et le doute. Celui-ci invite à cultiver l’esprit critique, à se construire son propre jugement. Relire les Lumières, Montaigne …

R. évoque ses échanges avec ses enfants qui ont des priorités très distinctes de celles de la génération précédente. Ils lui renvoient une « histoire tronquée », « manipulée », l’arbitraire de certains points d’appui du monde occidental, la place de la femme, la liberté, l’état de la démocratie … … et la nécessité de la déconstruction …
Dz rappelle l’importance de la République, de la liberté, de l’égalité, de la fraternité. « On n’a quand même pas tout mal appris ! ». L’historien répond aux questions par des faits objectivés.
N. parle des manipulations qui mènent au complotisme. L’histoire n’est pas figée, elle évolue. Les sociétés sont en permanence à la recherche d’un idéal commun.
D.  : d’où la nécessité de la transmission de l’esprit critique, l’importance de savoir repérer les erreurs
N. Notre système le permet !

D. La déconstruction n’a jamais cessé : les philosophes des Lumières n’étaient-ils pas des « déconstructeurs » à leur époque ?

JY retrace quelques-unes des dates-clés. Il évoque Derrida, la French Theory, et fait une mise au point au sujet de la déconstruction : nous avons complètement dérivé : la déconstruction n’a rien à voir avec le wokisme qui serait une théorie, ni surtout avec la désorganisation sociale des zones désindustrialisées. Il nous informe que le mot « wokisme » est peu utilisé par les anglo-saxons ; d’ailleurs, ce mot est à distinguer du mot woke.
Dz  : pourtant des décisions sont prises en son nom !

JY cite A. Policar : \… Woke circule dès l’abolition de l’esclavage pour décrire l’expérience des Noirs dans une société marquée par le racisme et la ségrégation… L’idée d’un nécessaire réveil des Noirs est développée dans un texte de Booker T. Washington en 1896, Awakening of the Negro…
C’est à partir de 2008 que le mot connaît une certaine notoriété grâce au morceau de RnB Master Teacher d’Erykah Badu, I stay woke. Il dit l’importance de rester en alerte devant les menaces que subit un Noir quotidiennement (mais pas seulement : l’expression est aussi un appel à la vigilance dans les rapports amoureux)
Le slogan, repris par Black Lives Matter, après la mort de Michael Brown, abattu par un policier blanc à Ferguson en 2014, gagne en popularité avant d’être récupéré par les conservateurs américains pour le dénigrer et, plus généralement, disqualifier ceux qui en font usage. C’est ainsi que s’impose wokisme, lequel suggère l’existence d’un mouvement politique homogène chargé de propager l’idéologie woke …

Désormais, le wokisme désigne péjorativement ceux qui sont engagés dans les luttes antiracistes, féministes, LGBT ou même écologistes. C’est un mot qui, comme le note Valentin Denis, « ne se caractérise pas par son contenu, mais par sa fonction  : stigmatiser des courants politiques souvent incommensurables tout en évitant de se demander ce qu’ils ont à dire ». Il est, en France, considéré comme le nouveau danger qui menacerait l’école républicaine. En réalité, il s’agit de stigmatiser ceux qui dénoncent les discriminations fondées sur la couleur et qui font un lien entre celles-ci et notre passé colonial et/ou esclavagiste. Dans la rhétorique réactionnaire des nouveaux inquisiteurs, on pratique une stratégie d’éradication lexicale visant à éliminer du vocabulaire des sciences sociales des termes tels que racisme systémique, privilège blanc, racisation, intersectionnalité, décolonialisme, cancel culture, etc., termes supposés être dénués de toute rationalité. À de nombreux égards, la querelle ressemble à celle de la political correctness du début des années 1990…

On a tendance à l’oublier, mais la political correctness, après avoir été utilisée par les militants de gauche, fut, aux États-Unis, avant tout l’occasion d’une offensive des conservateurs et de l’extrême-droite contre le pouvoir supposé des minorités. En France, le terme s’était imposé, dans la méconnaissance du contexte américain où tout était parti de certains campus universitaires au sein desquels on se réclamait de Sartre, de Foucault, de Derrida ou encore de Deleuze. Il est supposé désigner un ensemble hétérogène composé de marxistes, de multiculturalistes, de féministes, de postmodernistes, etc., tous accusés, entre autres vices, de puritanisme, de censure, de dictature des minorités.

M. A-t-on affaire à une méthodologie ? Poser des questions, s’interroger, éviter toute réponse fermée, n’est-ce pas là une attitude woke ? S’interroger sur les termes de démocratie, sur la place de la femme... Pour Derrida, la déconstruction n’a rien de négatif.
Toutes les religions manipulent ! Le rôle de la République, c’est de libérer.
JY : le wokisme n’existe pas, même en tant que méthode. C’est une mauvaise traduction de l’esprit critique. Il est arrivé avec Zemmour, candidat à la présidentielle. Il remplace le « politiquement correct », l’« islamo-gauchisme ». Il évoque la situation en Belgique où le terme wokisme est apparu avec les élections de 2022/23 par la droite nationaliste. A propos des liens entre colonisation, racisme, représentation de la sexualité et position de la femme, il renvoie aux travaux de Pascal Blanchard.

An. Les minorités : leurs expressions, leurs revendications culturelles et politiques évoluent et de nombreux universitaires travaillent sur le sujet. Il y a remise en cause de certains intellectuels. Différents courants se développent, qui bousculent la D.D.H.C. (un champ nouveau de réflexion s’ouvre, … qui disparaîtra peut-être …). Ce n’est pas une création de l’extrême droite.
JY  : Exact, mais les critiques du woke sont utilisées pour démolir le reste. Y a-t-il danger ? Qu’est-ce qui est le plus dangereux actuellement ? Ce que je sais, c’est que ceux qui en parlent le plus ne sont pas mes amis !

N. Deux éléments se produisent simultanément qui font craindre le pire : la faiblesse de la démocratie et la déconstruction voulue par le mouvement woke.
JL Il s’agit de revendications, pas de victimes. Il s’agit d’acquérir des droits supplémentaires ; mais il ne faut pas que ce soit au détriment des autres. Le problème est surtout politique : l’instrumentalisation du mot. Ce n’est pas seulement l’extrême droite qui est à l’offensive !
MLM. Je suis perturbée par le mouvement wokiste : il ne crée que des victimes (races, genre, etc). Cette victimisation permanente nous mène à quoi ?
Il y a danger pour les individus, comme pour le vivre ensemble.
M. Qu’est-ce qu’on veut faire ensemble sur ce territoire. On est amenés à vivre ensemble...
Alors, que peut-on vivre ensemble ? Ce que portent la nation et la citoyenneté.

Ro. rappelle les massacres de Sétif (1945) et la revendication de l’inscription de la citoyenneté française (des algériens) sur la carte d’identité.
R. Qu’en est-il de la démocratie dans tout cela ?
JY rappelle sagement la nécessité de réfléchir.

F. « Parler du wokisme ne permet-il pas d’éviter de parler d’autre chose ? Dans quel but ?"
Il confirme que nos enfants ne pensent pas comme nous (écologie …). Nous sommes plutôt conservateurs ; dans le même temps, nous nous étonnons que les plus jeunes tendent à se radicaliser

Citation Alain Policar In Raison présente N°221 / 2022 P115 & 166
https://shs.cairn.info/revue-raison-presente-2022-1-page-115?lang=fr

Nous avons consulté, entre autres ... :

 https://shs.cairn.info/revue-raison-presente-2022-1?lang=fr
 https://www.college-de-france.fr/fr/agenda/grand-evenement/genre-et-sciences/signifier-les-rapports-de-pouvoir-les-etudes-de-genre-le-concept-intersectionnalite-et-les-campagnes
 file :///D :/Woke/Workisme_Le%20monde%20Soci%C3%A9t%C3%A9%20Universit%C3%A9s.pdf
 rhttps://www.lexpress.fr/idees-et-debats/michel-wieviorka-non-la-france-n-est-pas-envahie-par-le-wokisme_2157311.html
 https://start.lesechos.fr/societe/culture-tendances/wokisme-mode-demploi-pour-tout-comprendre-1388940
 https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-tour-du-monde-des-idees/le-woke-ou-la-trahison-des-ideaux-des-annees-1960-3118049

P. : un débat très vivant qui a beaucoup clarifié la notion de woke et qui appelle à poursuivre la réflexion

D. : je trouve ce compte rendu très complet. C’est vrai que la discussion a été riche. On ne peut pas vraiment parler de débat, puisque nous étions assez d’accord ... ça m’a éclairci les idées et j’en ai gardé le sentiment que les adversaires et les partisans fanatiques du wokisme sont d’accord pour lutter contre l’esprit critique, la liberté de penser et la raison, et qu’ils s’en prendront tôt ou tard à la laïcité.

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