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Genèse de la liberté de conscience : Jean Bodin - Laïcité Aujourd'hui

Genèse de la liberté de conscience : Jean Bodin

, popularité : 18%

Pour la réunion du 23 janvier 2019, par M.D.

Jean Bodin, que ce travail m’a permis de découvrir, jouit d’une renommée universelle.

Ses œuvres, souvent rééditées, sont maintenant traduites en plusieurs langues et font l’objet de nombreuses études aussi bien en Italie et aux États-Unis qu’en France ; Bodin apparaît aux yeux des critiques comme l’un des plus grands philosophes politiques de tous les temps, parce qu’il a renouvelé la notion de Souveraineté. Selon l’ Encyclopaedia universalis, ses travaux sur la Souveraineté, le droit comparé, sa philosophie de l’histoire fondée sur une connaissance positive du fait, « ont provoqué un bond de la réflexion politique tellement prodigieux que nous n’en avons pas, depuis, connu de semblable. »

Par ailleurs, Jacques Sapir voit en lui le précurseur de la laïcité.

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1. Dans quel monde arrive-t-il et vit-il ?

La Renaissance est une période de grande effervescence culturelle et économique :

1539 : ordonnance de Villers-Cotterets : le français devient langue officielle (François 1er), utilisée en place et lieu du Latin, en droit, dans les administrations et les actes juridiques

 La Renaisssance est une période de découvertes et redécouvertes ; notamment redécouverte de la culture antique. Apparition d’une nouvelle élite autour, entre autres d’ Erasme, Thomas More, Guillaume Budé... Bodin est également le contemporain de Nostradamus et de Michel de Montaigne.

 L’université a le quasi monopole de l’éducation et de la diffusion des informations ; on y enseigne le droit et la théologie ; le savoir est réservé aux clercs mais s’élargit car l’imprimerie, découverte en 1453 soit 24 ans avant sa naissance, permet une plus ample diffusion ; cartographie, géographie se développent, comme la connaissance artistique et son enseignement (faculté des arts). La Bible est traduite en grec en 1528 et imprimée, donc à la disposition d’un plus grand nombre en 1530.

 Nous savons que c’est à la Renaissance qu’est apparu le mouvement humaniste plaçant l’être humain et les valeurs humaines au centre de la pensée. Le renouveau en Europe a fait émerger une bourgeoisie bancaire et marchande et apporté une certaine prospérité dont l’ Eglise catholique, entre autres, a bien profité.

Mais, dans le même temps, la France et l’Europe sont le théâtre de profonds déchirements.

Le Moyen Age a échoué dans la réalisation du rêve de l’ unité universelle à savoir :

 Rêve d’une unité de la foi dans l’ Eglise de Rome, or, il règne un fort sentiment anti judaïque : plusieurs mesures d’exclusion politique ou religieuse sont prises à l’encontre des juifs. L ’Eglise est traversée par des crises graves (schismes, hérésies, division entre papes et antipapes), les conflits autour des nouveaux réformateurs (Luther, Calvin, Thomas More) sont incessants…

 Rêve d’une unité politique : or, n’ont cessé de sévir guerres de territoires, guerres religieuses, guerres entre roi et potentats locaux, provoquant une fragmentation du pouvoir politique, de la souveraineté.

Par ailleurs, la pluralité des sources de droit paralyse le fonctionnement judiciaire et installe les inégalités.

 Rêve d’une unité culturelle : autour de la culture enseignée par les clercs et cimentée par le latin... L’ordonnance de Villers-Cotterets et l’invention de l’imprimerie contrarient cette prétention à l’uniformité et à la parole unique religieuse.

Jean Bodin ( 1529-1596) aura connu 6 souverains. Né sous le règne de François 1er (1515-1547), il mourra au tout début de celui de Henri IV (1589-1610). Entre temps : Henri II (1549-1559) ; François II : 1559-1560 ; Charles IX : 1560-1574 et Henri III (1574-1589).

Il aura subi 4 guerres de religion 1562, 1567, 1568 et 1572, le massacre de la Saint-Barthélémy. Il aura également connu les horreurs d’une frénétique chasse aux sorcières à l’œuvre partout en Europe, dans laquelle il a, contrairement à ce que l’on aurait pu attendre d’un homme si réfléchi et cultivé, pris une part active.
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Portrait gravé par François Stuerhelt pour Claude Ménard avant 1620, coll. musées d’Angers.

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2. Biographie

Jean Bodin est né à Angers en 1529 dans un milieu bourgeois.

Il reçoit d’abord une formation chez les carmes à Angers, puis il intègre en tant que novice, le Couvent des Grands Carmes de Paris, où il étudie la philosophie, les langues (dont le Grec et l’Hébreu), la scolastique médiévale et l’humanisme de la Renaissance. Il a peut-être été témoin de l’exécution de l’humaniste Etienne Dolet ( écrivain, poète, imprimeur, philologue, qui est devenu le symbole de la libre pensée) en 1546 pour avoir publié des livres hérétiques.

En 1547-1548, il semble avoir été impliqué dans un procès pour hérésie. Toujours est-il que, vers 1549, il est libéré de ses vœux monastiques grâce à l’intervention de l’évêque d’Angers.

Il étudie alors le droit à Toulouse et devient professeur de droit romain. Pendant cette période il rencontre des juifs qui ont fui l’Europe et qui l’initient à la Kabbale et au néoplatonisme.

Il retourne à Paris en 1561 où il exerce la profession d’avocat alors que débutent les guerres de religion. Il est ensuite avocat au Parlement de Paris, puis substitut du procureur du roi à Poitiers.

En 1568, il est arrêté et incarcéré à la Conciergerie pour "fait de religion" et reste emprisonné jusqu’en août 1570. Il s’est opposé à la suppression du culte réformé et il a appelé à la réunion d’un concile pour réconcilier protestants et catholiques...

En 1568, il publie une Réponse aux paradoxes de M. de Malestroict touchant l’enrichissement de toutes choses et le moyen d’y remédier. Cette controverse est restée célèbre, car elle "introduit l’économie en politique" ; beaucoup y voient la première présentation d’une théorie quantitative de la monnaie.

Cette expertise attire l’attention de Charles IX qui, en 1570, le nomme commissaire à la réforme des forêts de Normandie. Bodin s’acquitte de cette tâche avec zèle, poursuivant sans relâche les spoliateurs du royaume contre lesquels il intente jusqu’à quatre cents procès.

En 1571, il est nommé maître des requêtes et conseiller du Duc d’Alençon. Il occupera cette fonction jusqu’à la mort de ce dernier en 1584. Le jeune duc est alors chef du parti des Malcontents, qui regroupe les opposants à la politique royale et prône la tolérance religieuse. Suspect d’accointances avec les huguenots, Bodin échappe de justesse au massacre de la Saint-Barthélémy.

Il se marie en 1576 à Laon avec une riche veuve dont le frère est procureur du roi. La même année, il publie « Les 6 livres de la République » un ouvrage fondamental de philosophie politique, sur l’art de gouverner, qui sera souvent réédité.

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page intérieure de l’édition originale du traité (1576)

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Délégué par le Tiers État du Vermandois aux Etats Généraux de Blois de 1576, il s’oppose vivement à la reprise de la guerre contre les huguenots et convainc le Tiers État de s’opposer à la levée de fonds voulue par le roi Henri III, afin de ne pas « aliéner les biens de la nation ». En réalité, il s’oppose à la tentative d’imposition par la force, de la religion catholique. Il perd évidemment la faveur du Roi et une enquête est diligentée sur ses antécédents chez les Carmes.

Il publie ensuite une réflexion sur l’essence du droit, Iuris universi distributio (1578), qui est aujourd’hui encore reconnue comme "apportant une contribution essentielle à la formation du droit international public contemporain".

Ayant eu à instruire en tant que juge un procès contre Jeanne Harvilliers, accusée de sorcellerie, il rédige De la démonomanie des sorciers (1580), sorte de guide à l’intention des tribunaux dans lequel il réclame des peines sévères contre toute personne accusée de sorcellerie (en majorité des femmes). Il encourage la délation et préconise la torture, l’objectif étant l’élimination en masse des sorciers, afin d’éviter la mainmise de Satan sur le monde. Crédulité partagée par nombre de ses contemporains aussi éclairés que lui (Ambroise Paré ...).

En 1584, il se retire à Laon, devient conseiller du roi de Navarre et conseiller juridique.

En 1586, ayant prédit la mort d’Elizabeth Ire, il est soupçonné d’avoir participé à un complot.

Dénoncé à deux reprises comme hétérodoxe (= qui s’éloigne de la doctrine officiellement reçue), son domicile est perquisitionné en 1587 et plusieurs de ses livres sont brûlés. Mais à la suite de la mort de son beau-frère en 1587, il devient procureur du roi.

En 1589, reniant ses opinions antérieures, il pousse Laon à se déclarer pour les Ligueurs catholiques..

Devenu suspect à tous les partis, il est de nouveau accusé d’hérésie : son domicile est perquisitionné en 1590 et ses livres sont brûlés publiquement. En 1593, il rompt avec la Ligue et incite les habitants à reconnaître Henri IV comme roi de France. En 1594, il accueille les troupes royales dans la ville.

Il meurt de la peste à Laon en 1596.

Ce n’est qu’ après sa mort, que l’on a découvert bien caché, conservé au péril de sa vie, alors qu’il avait de justesse échappé à plusieurs reprises aux fanatiques et illuminés de tout bord, l’ouvrage intitulé « Colloque de Sept savants de convictions différentes sur les secrets cachés des choses les plus élevées », qui va susciter bien des tumultes et ternir son image chez bon nombre de ses contemporains. En témoignent les termes de cette oraison funèbre de Hackenberg : « il mourut comme un chien, sans aucune piété, n’étant ni juif, ni chrétien, ni turc »...

Pourtant, dès le XVII ème siècle, le livre va connaître un franc succès partout en Europe, les traductions fleurissent et certains voient dans ce testament spirituel les prémices de la laïcité.

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3. Le Colloque : de quoi s’agit-il ?

Analyse extraite de la préface de l’ouvrage de Jean Guirlinger présentant un choix de textes tirés du Colloque (éditions nouvelles Cécile Defaut).

Alors que les guerres de religion menacent de ruine la monarchie française dont deux rois payeront de leur vie leurs engagements, au cœur de la meurtrière « chasse aux sorcières » dont il a été paradoxalement parti prenante, Jean Bodin écrit un livre pour dénoncer l’absurdité de tous ces conflits théologico-politiques et enseigner la tolérance.

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Frontispice du livre de Jean Bodin, De la démonomanie des sorciers (1580).

Le colloque se tient à Venise qui est aux yeux de l’auteur un havre de grâce, multiculturel où s’épanouissent en toute liberté les savoirs.

Un sage, curieux de toutes les connaissances et croyances, invite dans sa demeure remplie des ouvrages les plus avancés sur les sciences, l’art et la littérature, les savants les plus représentatifs de toutes les confessions religieuses, de toutes les sciences et de toutes les convictions philosophiques de l’époque. « Il les invite afin que chacun, sans chercher à détourner ses interlocuteurs de leurs convictions, s’efforce plutôt de les comprendre et de découvrir que cette multiplicité et cette diversité culturelle, loin d’inciter à l’affrontement, à l’exclusion et à la persécution de l’autre, sont le témoignage de la fécondité et de la richesse des ressources intellectuelles de l’entendement humain ».

Cet hôte est un fervent catholique, attaché aux dogmes de l’Église, mais ni sectaire ni intolérant, désireux d’éprouver le bien fondé de sa religion au contact de celle des autres.

Les autres :

un luthérien pour lequel la foi et les Écritures suffisent à faire connaître Dieu sans nul besoin d’Église

un disciple de Zwingli, réformateur suisse opposé à Luther sur tous les plans théorique et pratique et qui mourut lors d’une guerre contre les cantons catholiques

un chrétien renégat converti à l’Islam

un savant talmudiste et docteur de la loi

un juif pour lequel tous manifestent, même dans leurs critiques, un respect quasi respectueux

un physicien c’est-à-dire un chercheur et connaisseur des lois de la nature exigeant dans toute discussion l’usage d’éléments rationnels et rejetant tout élément d’autorité tant d’Aristote que de l’Église, mais reconnaissant les limites de la compétence de la raison dans le domaine de la transcendance « qu’il s’agisse de la liberté infinie de Dieu, que nulle loi naturelle ne peut enchaîner, ou des pouvoirs mystérieux, mais réels, bienfaisants ou malfaisants des Anges, des Démons ou des Sorciers »

Un Sceptique, ironiste qui rappelle un peu Montaigne, pour lequel toutes les religions sont bonnes, ce qui revient à dire qu’aucune ne détient la vérité et qui se réfère souvent à Épicure.

Ces savants se lancent dans un libre examen des textes et dogmes religieux, sans concessions et avec la conscience de braver les interdits, puisqu’il discutent des « arcanes des choses sublimes » ou comme le dit le titre, des secrets cachés des choses les plus élevées, ce qui était non seulement dénoncé comme présomptueux mais interdit parce que dangereux. Aucun cependant ne remettra en cause la croyance aux « démons et merveilles » qui était celle des hommes les plus cultivés de la Renaissance.

Ils commencent par dénoncer l’obscurité des textes et des commentaires de l’Écriture sainte qui les rend difficilement intelligibles au public, se demandant si cette opacité n’est pas voulue pour préserver le monopole d’interprétation aux castes sacerdotales ...

Puis ils s’attaquent aux dogmes.

Sont ainsi mis en question, pour la religion catholique : la divinité de Jésus, son incarnation, ses miracles, sa Passion... Comment dieu pourrait-il prendre chair... ? La Trinité jugée « impie et incompréhensible ». l’Eucharistie : « adorer comme un Dieu du vin et du pain est impie... » ; les tourments éternels : l’enfer est une fiction.
Le Purgatoire : ridicule, ne servant qu’à justifier le trafic rémunérateur des messes, et autres indulgences. Le sacrement de pénitence jugé blasphématoire. L’idolâtrie du culte catholique (l’adoration n’étant due qu’à Dieu).

Concernant les juifs et mahométans, si les sept sages se retrouvent dans le respect des prophètes de l’Ancien testament, la reconnaissance de la valeur universelle du Décalogue, et de la simplicité exemplaire des 5 articles de foi et des 5 commandements de l’Islam, ils remettent en cause l’authenticité du Coran qui ne serait pas une révélation de Dieu faite à Mahomet, mais un pot pourri hétérogène de textes traditionnels... La vie de Mahomet, vicieux et violent est mise à l’index et les ablutions suscitent leurs moqueries.

Pour le Judaïsme c’est le mythe de la chute et de l’exil hors du paradis terrestre qui est dénoncé comme source de nombreuses superstitions, telle la croyance en un péché originel.

Critiquée aussi « l’idée fantastique et folle » de la résurrection des corps ; mais aussi et surtout l’image juive d’un dieu jaloux de son exclusivité et vengeur impitoyable des trahisons et offenses.

Il est également question de l’Athéisme, que tous rejettent violemment, comme un crime, le pire des crimes, car les athées sont les plus méchants des méchants.

Il apparaît clairement dans ce livre, que si Bodin prend plutôt le parti de l’Islam et du Judaïsme, il défend plutôt une religion sans église, qui reconnaît Dieu dans les exigences théoriques et pratiques de la raison ; une religion de la Nature, en nous et hors de nous, sans pour autant nier l’existence d’un supra-rationnel qui est l’œuvre de la liberté absolue de Dieu, cette absolue puissance dont la connaissance dépasse l’intelligence et la science humaine. Il refuse l’idée d’un Dieu jaloux qui prétend s’imposer à tous à l’exclusion de tous les autres Dieux des religions établies.

Quelle que soit la religion d’un homme, si elle lui inspire la recherche de la sagesse, la pratique de la vertu et le respect des croyances des autres, elle est acceptable.

Conclusion : le Prince est sage lorsqu’il tolère en son royaume la diversité des religions.

Conclusion du livre : « Et après s’être embrassés mutuellement en charité, ils se séparèrent. Et depuis ils vécurent ensemble dans une union admirable, prenant leurs repas et étudiant toujours en commun. Mais on ne parla plus de religion, encore que chacun soit demeuré ferme et constant dans la sienne, où ils ont persévéré jusqu’à la fin et dans une sainteté toute manifeste ».

Bodin affirme la légitimité de suivre des voies différentes dans la quête des valeurs, pourvu que ces chemins ne visent que ce qui est désirable : vérité, justice, fraternité.

Constat d’ échec pour les uns, optimisme volontariste pour les autres... Lucien Febvre : « Le XVI ème siècle est « un siècle qui veut croire », « qui cherche en toute chose un reflet du divin ».

Ce n’est pas le siècle de la libre pensée...

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L. Guirlinger : « Jean Bodin est acharné à proposer l’ Universel non comme un cadre culturel spatio-temporel à imposer aux hommes, du haut de l’Autorité sacrée d’une Église, mais comme l’horizon d’une recherche, d’un effort toujours recommencé des politiques inspirés par l’idéal d’une « justice harmonique » et tendus vers la réconciliation de l’humanité entière avec elle-même ». L’ universalisme de J. Bodin n’en reste pas moins fondé sur une métaphysique, à la fois, naturaliste et déiste, que sur des savoirs scientifiques et l’expérience, une ambiguïté inhérente aux structures mentales de son temps... »

Wikipedia : dès son plus jeune âge, Bodin s’est donné pour objectif d’assimiler les principales connaissances de son temps et dominer les grandes disciplines philosophiques et scientifiques, afin d’atteindre ...la contemplation métaphysique ». Il va développer à travers ses livres quelques thèmes constants, tels la théorie des climats, la définition de la République comme un gouvernement légal et l’harmonie du monde intelligible créé par le « grand dieu de la nature » qui a doté l’humanité du libre arbitre.

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4. La philosophie politique de Bodin : République, Etat Nation, Souveraineté

Bodin a une passion pour l’ordre.

On a parlé de son attachement à la religion, une religion sans église. Il exclut aussi tout rôle de la Providence dans la vie sociale et politique et affirme que « la volonté est maîtresse des actions humaines ».
C’est un travailleur acharné à « rechercher jusqu’au fond les preuves de toutes choses ».

Il présente quand même quelques failles que révèlent sa croyance en la sorcellerie et en l’existence des démons, ainsi que sa misogynie exacerbée qui lui vaut une réplique piquante de la reine Elisabeth 1ère d’Angleterre qui l’aurait convoqué pour le mortifier publiquement : « Bodin, apprenez en me voyant que vous n’êtes qu’un Badin ».

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Sur le plan politique :

Depuis Philippe Le Bel, la monarchie française s’est progressivement affranchie des tutelles pontificales et impériales. L’ Eglise et le clergé ont été remis à leur place par le concordat de 1510 et l’ordonnance de Villers-Cotterets. Bodin va contribuer à cet affranchissement, par ses œuvres et essentiellement par sa théorie juridique de la souveraineté encore saluée aujourd’hui, comme étant la première, notamment par Jacques Sapir, directeur d’études à l’EHESS. Avec la disparition du consensus religieux, il est en effet nécessaire d’« affirmer l’autonomie du politique de façon à faire du roi, non un chef religieux, mais un arbitre ». Mais il faut aussi et surtout restaurer l’unité du royaume, installer la paix civile en rétablissant l’autorité et la souveraineté du roi.

Restaurer l’unité présuppose la détermination de ce qui fait la spécificité française, l’identité française. Bodin s’attache à la définir dans son livre sur la connaissance de l’histoire. Il s’ y appuie sur des faits socioculturels mais aussi sur la théorie du sol et des climats après Aristote et avant Montesquieu. La position géographique des Etats ( et non la généalogie) conditionne la forme de leur gouvernement et le caractère de leurs habitants. Mais il montre également que le destin des peuples est largement tributaire de l’action volontaire de leurs dirigeants et de la forme des institutions qu’ils ont su se donner pour faire face au défi de l’existence.

Il s’attache à préciser le concept de nation, non sur des critères de race, mais de civilisation, une vision humaniste et universaliste, saluée par les critiques, en harmonie avec ses croyances religieuses et le récit biblique de l’origine du genre humain. Il affirme l’unité de l’espèce humaine, récuse tout nationalisme, envisageant chacune des nations comme un organe localisé dans le corps humain. L’universalité de la raison qui selon lui fonde le droit l’emporte sur les différenciations naturelles.

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La République et la souveraineté selon Bodin : (Denis Touret)

La République (res publica) est "le droit gouvernement de plusieurs ménages et de ce qui leur est commun, avec puissance souveraine", autrement dit "La souveraineté est la Puissance absolue et perpétuelle d’une République".
La République est "le droit gouvernement" c’est-à-dire le gouvernement moral qui respecte le Bien Commun, l’intérêt général de l’État (légitimité).
Un État dans lequel le gouvernement ne serait pas "droit" outrepasserait ce que requiert l’intérêt général, ne serait pas une République mais une tyrannie.
C’est "le droit gouvernement de plusieurs ménages".

La base politique de l’État n’est pas l’individu mais la famille. C’est Dieu qui a fait le couple et voulu l’autorité du pater-familias.
L’État s’est créé par la coordination nécessaire des forces tribales, l’abandon des autorités particulières au bénéfice d’un souverain qui assure la protection de tous.
C’est le droit gouvernement de plusieurs ménages "et de ce qui leur est commun, avec puissance souveraine".
Point de République s’il n’y a pas, d’abord, de communautés.
Les ménages doivent être rassemblés par un ou des intérêts collectifs. La République est une communauté de communautés.
Mais c’est une communauté qui se distingue de ces composantes par le fait qu’elle est dotée d’un pouvoir de contrainte et de sanction suprême, la puissance souveraine.
La souveraineté ne se partage pas. La souveraineté appartient tout entière au législateur, qu’il s’agisse d’un prince, d’une élite ou d’un peuple.

On est alors soit dans un État monarchique, un État aristocratique ou un État populaire. Les préférences de Jean Bodin vont à la monarchie, pour ce qui est de l’administration de la France, une monarchie dans laquelle le roi est soucieux du bien commun, le défenseur des droits et libertés, respectueux des lois divines et des principes fondamentaux, du Jus gentium (le droit des gens, le droit international) pour ce qui est des relations extérieures de l’État, mais une monarchie concentrée et déconcentrée, unitaire, sinon absolue au sens totalitaire.

La Souveraineté se doit d’être monarchique et de le rester. Elle doit être absolue et illimitée dans le temps afin que soit assurée la continuité du pouvoir, ce que ne peut réaliser qu’une monarchie héréditaire et non élective.
Elle doit être inconditionnelle, mais pas tyrannique.

Seul législateur suprême, le roi promulgue des lois qui ne peuvent l’enchaîner, qu’il peut changer ou abolir ; il a les pleins pouvoirs pour nommer ou révoquer les magistrats, déclarer la guerre ou faire la paix, droit de vie ou de mort, droit de grâce... Le Roy Ladurie voit dans cette théorie, le passage de l’état royal à l’absolutisme (Richelieu et Louis XIV s’inspireront de cette doctrine de la Souveraineté de Bodin), mais ce n’est pas l’opinion de Guirlinguer, qui la trouve anachronique, considérant que Bodin est un penseur de « transition, encore attaché à une conception morale de la royauté, qui exclut l’arbitraire et le cynisme de la « raison d’Etat ». Bodin a combattu la notion de Souveraineté de Machiavel, refusant d’assimiler le caractère illimité de la Souveraineté au « bon plaisir du roi ».

Il assigne des limites au pouvoir royal qui ne sont pas purement humaines mais divines et naturelles et donc pour lui, universelles et constantes. Les « lois fondamentales du royaume », comme la structure politique de l’État, doivent imiter l’ordre de la nature, l’harmonie naturelle établie par Dieu. L’ État doit être fait à la ressemblance politique et sociale du Grand Œuvre de Dieu, la Nature. Le roi n’est pas de droit divin, mais il doit être à l’image de Dieu. Peu importe sa religion, pourvu qu’il en ait une.

Dans la République de Bodin, la justice harmonique est telle que chacun ait sa part à la chose publique, c.a.d. englobe et concilie, sous l’autorité du monarque, les aspirations du peuple et les privilèges des nobles. La République doit « entremêler doucement » nobles et roturiers. Les sujets obéissent au monarque et le monarque aux lois de la nature. "Le roi sera pitoyable aux affligés, prudent dans ses entreprises, hardi en ses exploits, courtois aux gens de bien, effroyable aux méchants, juste envers tous".

Ce qui fait que le peuple et les magistrats eux-mêmes doivent désobéir au monarque quand il prescrit, par exemple, des mesures inhumaines comme le meurtre d’enfants, l’assassinat d’innocents, le pillage et le sac des villes par les soldats. Il y a donc des limites à la puissance du roi.

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Sara Miglietti  : « S’il est vrai ... que Bodin refuse très nettement les conclusions monarchomaques (libellistes opposés à la monarchie absolue synonyme pour eux de tyrannie), comme le démontrent plusieurs passages de la République, il est néanmoins fils de son temps dans la mesure où il accorde au peuple un rôle d’un certain relief dans la vie politique du royaume : un rôle subordonné, certes, de collaboration et non pas de compétition par rapport à la puissance ordonnatrice du prince ; et pourtant décisif, car à chaque fois que la contribution du peuple fait défaut - par exemple au cas où sa naturelle vitalité serait étouffée par les vexations d’un tyran - l’État tout entier tombe vite en ruine. (...)".

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Les monarchomaques

5. Conclusion : la contribution de Bodin à la liberté de conscience

C’est une personnalité complexe, comme chacun de nous, instruit, éclairé, inspiré, engagé au service de la connaissance, de la France, de la paix, de la presque fraternité universelle, de la presque justice, de l’intérêt presque général et du bien presque commun ( sans les femmes). Il a voulu faire quelque chose d’utile de sa vie, pour son pays mais aussi pour l’humanité tout entière. Son testament spirituel sur la tolérance est un beau cadeau fait à l’humanité, sa distinction entre sphère privée et sphère publique est révolutionnaire à l’époque, elle annonce la laïcité.

Il prône la recherche, l’esprit critique et le dépassement de soi.

C’est pour cela que sa crédulité en ce qui concerne la démonologie étonne, sa misogynie aussi... Mais bien des personnages éminents de cette époque partageaient cette crédulité. C’est à la fois un homme de son temps, avec les préoccupations et les travers de son époque, et comme le dit Lucien Guirlinger « un penseur de transition dans un siècle de mutations ».

Un lycée général et technologique porte son nom à Les Ponts-de-Cé (49, Maine et Loire), avec une citation de Bodin sur sa façade :

« IL N’EST DE RICHESSE QUE D’ HOMMES »...

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Sources :

 Wikipedia

 le blog de l’universitaire Denis Touret : https/www.denistouret.fr/ideologues/Bodin.html

 Jacques Sapir dans « Souveraineté, Démocratie, Laïcité

 « Colloque de sept sages de convictions différentes sur les secrets cachés des choses les pus élevées » et la préface analytique de Lucien Guilinger, Editions Cecile Defaut

 Sara Miglietti : « Amitié, harmonie et paix politique chez Aristote et Jean Bodin, revue

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