Lettre ouverte au député Julien Aubert qui souhaite modifier la Constitution et la loi de 1905 (PJ), par Pierre Juston.
Monsieur le député Julien Aubert,
Nous avons pris acte de votre dépôt de proposition de loi visant à modifier la composition de l’article 28 de la loi de 1905. Il est à nos yeux manifeste que votre proposition atteint gravement tout à la fois l’esprit et la lettre de cette loi, et donc le principe même de laïcité qu’elle établit sereinement depuis 110 ans dans notre République.
Votre proposition souhaite en effet établir une sorte de « laïcité à deux vitesses », qui est inacceptable dans sa logique, et incompatible avec les principes de notre République Française.
En procédant de la sorte, vous négligez en réalité l’ensemble des composantes de l’histoire de France pour ne conserver que la partie qui correspond à vos seules convictions, à savoir sa composante religieuse. En ajoutant une nouvelle exception à la loi de 1905, vous la fragilisez dans son esprit, et dans sa substance même. En souhaitant autoriser librement et sans retenue dans des lieux publics l’expression d’un signe ostensible de la manifestation d’une seule des religions issues des croyances chrétiennes (car les crèches que vous rêvez de voir prospérer hors de votre espace privé sont loin d’être partagées par l’ensemble des religions issues de la chrétienté), vous créez de fait une distinction entre les formes d’expression à des convictions : certaines pouvant accéder au rang de « religions montrables et déployables », d’autres restant confinées à l’espace privé, ce qui est leur place. Pour vous, la justification de ce fait tiendrait à un « héritage », catholique en l’espèce, dont vous vous réclamez.
Nous ne le nions pas pour notre part, et la loi de 1905 assume pleinement cette part d’héritage au sein de la Nation, la reconnaît et la protège déjà contre quiconque voudrait la supprimer. Mais la Loi de 1905, en instituant la liberté de conscience, refuse également à raison, qu’une conviction religieuse, quelle qu’elle soit, fut-elle partagée par un grand nombre, soit imposée à tous dans un lieu ou un bâtiment public.
Car la loi de 1905 résume à elle seule l’héritage des deux derniers siècles de notre histoire que, contrairement à vous, nous nous refusons de renier. Nous refusons de renier les idéaux de la Révolution française. Nous refusons de renier les principes des Lumières qui l’ont rendue possible. Nous refusons de renier la mémoire de tous les républicains, qui, en accord avec ces principes d’émancipation et de liberté de conscience, sont tombés pour défendre la laïcité.
La laïcité n’est pas une opinion parmi d’autres, elle est le cadre qui permet la diversité de ces opinions, et la garantie que nul ne soit persécuté pour les siennes
Monsieur le Député, le dépôt de cette proposition de loi qui vise à établir un classement entre des religions, et à en fait reconnaître une religion plutôt que les autres est en totale contradiction avec l’article 1er de la loi de 1905, qui assure à chacun sa liberté de conscience. Il précise également que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte », ce que votre amendement reviendrait à faire. Est-à dire que votre étape suivante est la suppression pure et simple de cette Loi de concorde et d’équilibre, de tempérance républicaine ? Vous avez certes été élu sur une circonscription mais votre mission, en tant que député, est de représenter les intérêts de la nation française et de ses concitoyens, pas de telle ou telle frange fondée sur des convictions religieuses spécifiques.
La laïcité n’est pas une opinion parmi d’autres, elle est le cadre qui permet la diversité de ces opinions, et la garantie que nul ne soit persécuté pour les siennes. Elle est, surtout, la protection accordée à tous qu’aucune opinion ou conviction religieuse ne sera imposée dans l’espace public, lieu du vivre ensemble.
L’intérêt pour le retour des crèches dans l’espace public semble être actuellement une marotte au sein de votre courant politique, en totale contradiction avec le nom qu’il s’est donné récemment... Permettez-nous ainsi de vous envoyer cette lettre, initialement destinée à une députée de votre courant, Laurence Arribagé, qui vous permettra, nous l’espérons, de reprendre le sens de la mesure et de la signification du mot Laïcité, car l’attaquer ou le fragiliser reviendrait en fait à fragiliser l’idée même de République.
Pierre Juston, Doctorant en Droit Public
Guillaume Agullo, Président du Cercle Condorcet Midi toulousain
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