... Je me souviens avoir fait une conférence au Danemark devant des universitaires danois, professeurs de français, qui parlait admirablement notre langue. C’était dans le cadre d’une sorte de séminaire sur la civilisation française, j’avais été invité à faire une conférence en français sur la laïcité.
Et à la fin de la conférence, qui ressemblait à celle que je suis en train de vous proposer, un universitaire danois se lève et dit la chose suivante : " La France a raison, regardez, moi je suis catholique, mais ici au Danemark, c’est l’église luthérienne qui est l’église d’Etat. Et en tant qu’église d’Etat, l’église protestante luthérienne jouit de privilèges qu’aucune autre religion ne possède : financement, statut de droit public etc. Moi qui suis catholique, je n’ai aucun financement public, je ne suis pas reconnu publiquement et finalement on me laisse entendre que moi ma religion est une affaire privée, alors que la religion des luthériens est une affaire publique. Je vis cela comme une discrimination."
C’était tout à fait extraordinaire n’est-ce pas, parce que ce danois catholique, victime du privilège des protestants était l’image exactement inverse de ce que furent les protestants en France quand ils étaient discriminés au nom d’un catholicisme érigé en religion du royaume, même si l’Edit de Nantes d’Henri IV avait essayé de mettre un terme aux guerres de religion. Il restait que l’Edit de Nantes lui-même disait : " moi, roi de France, je tolère qu’il y ait des protestants dans mon royaume "
Rabeau de St Etienne, un des grands révolutionnaires protestants de la révolution française, s’exclama : " Je ne veux pas de la tolérance, je veux être reconnu à égalité. "
Et c’était Mirabeau qui disait : " Qui dit tolérance suppose une autorité qui tolère, et l’autorité, qui aujourd’hui tolère, peut très bien demain ne plus tolérer ".
Tolérer vient du mot latin tolerarer qui veut dire supporter, on dit par exemple de cette poutre qui supporte tout le toit, qu’elle a telle tolérance, en matière de poids qu’elle peut supporter. C’est le sens premier du mot tolérance. Mais la tolérance d’un roi, c’est ce qu’il peut supporter de ses sujets.
Alors moi, je suis catholique, c’est la religion officielle, je veux bien que tu sois protestant, mais attention n’oublie jamais que tu détiens ta liberté de mon bon vouloir. C’est pourquoi la révolution française, là encore, balaiera cela en disant non pas la tolérance, mais la liberté de conscience, sans aucune discrimination entre les citoyens du point de vue de leur religion parce que à ce moment là, grâce aux droits de l’homme, ma liberté n’est pas seconde par rapport au bon vouloir du prince, elle est première, car ancrée dans la reconnaissance des droits et de la dignité de l’homme. Et c’est ça la révolution des droits de l’homme, c’est-à-dire que la liberté ne se négocie pas, elle ne peut pas se marchander, se donner un jour et être reprise un autre ; elle n’est pas seconde : elle est première.
Donc, effectivement, ce beau principe de liberté de conscience va même au-delà de la simple tolérance. Bien entendu cela ne veut pas dire que je suis contre la tolérance parce que je redéfinirais la tolérance non pas comme un principe juridique, mais comme un principe éthique et moral. Être tolérant dans sa relation avec autrui, c’est savoir admettre qu’autrui n’ait pas la même position que moi, le respecter et renoncer à user de violence pour le ranger à ma position. Alors, oui une éthique de la tolérance dans la relation interhumaine est essentielle, elle peut d’ailleurs aller de pair avec une égalité de traitement de toutes les convictions spirituelles.
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