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Djihad et djihadisme - Laïcité Aujourd'hui

Djihad et djihadisme

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Il a souvent été question, dans notre cheminement, de l’importance des mots et de l’interprétation que chacun pouvait en faire.

Aujourd’hui, le mot DJIHAD et l’une de ses déclinaisons : le djihadisme.

Quels peuvent être les ressorts des actions terroristes de ces derniers mois ? Comment entendre les discours des politiques concernant les menaces actuelles ?

Et derrière les engagements individuels de ces combattants volontaires, quels parcours psychologiques ?

Pour la réunion du 7 octobre 2015

Cette première approche a été effectuée à partir des travaux

-  de Mathieu Guidère : professeur d’islamologie à l’université de Toulouse. Revue Le Débat n° 185 mai août 2015.

-  de Marie-Thérèse Urvoy, auteur du Dictionnaire du Coran (Laffont, 2007),

-  de Jean-Baptiste Brenet, professeur à l’Université de Paris 1-Panthéon Sorbonne, (spécialiste d’Averroës),

-  du Larousse, de Wikipédia, de l’encyclopédie Universalis …

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Henri Pena-Ruiz a traité le sujet dans son Dictionnaire amoureux de la laïcité : une approche d’ailleurs très différente de ce qui nous parvient par les médias, et j’avais résumé son chapitre ainsi :

le mot « djihad » signifie exiger de soi-même un effort à caractère spirituel.

Cet effort est décliné sur 3 modes :

-  D’abord, (dimension individuelle) se mettre en chemin vers Dieu, élever son âme.

-  Ensuite, (dans le rapport à l’autre) faire l’effort de bien maîtriser sa parole (le bien, le mal ...).

-  Enfin, (la dimension collective) faire l’effort de se mettre en mouvement lorsque la communauté religieuse est attaquée et qu’il y a lieu de la défendre.

Cette approche me satisfaisait intellectuellement car elle ouvrait à des perspectives possibles (démocratie, république laïque ...). Le mot « djihad » pouvait en quelque sorte se centrer sur sa dimension spirituelle. Dans le film TIMBUKTU, le responsable religieux du village, vêtu de blanc, le signifie au chef des djihadistes lorsqu’ils se rencontrent. Il confortait cette position.

Mais comme disait Charles de Gaulle dans ses Mémoires de guerre : “Vers l’Orient compliqué, je volais avec des idées simples”.

Dans le Dictionnaire du Coran, Marie Thérèse Urvoy écrit ceci : « … il est illégitime d’affirmer que le jihad coranique est uniquement spirituel. »

Par ailleurs, un regard sur « l’histoire islamique révèle que nombre de soufis s’adonnaient au service militaire dans des ermitages-forteresses appelés ribât. » (cf. Rabat)

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Ma démarche : Que disent les dictionnaires, le Coran lui-même, et que nous apprend l’histoire … ?

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Le Larousse : ( djihad : mot arabe : « effort vers un but déterminé »)

-  Effort sur soi-même pour atteindre le perfectionnement moral ou religieux.

-  Combat, action armée pour étendre l’islam et, éventuellement, le défendre. (Le Larousse réfute le sens de « guerre sainte ».)

Wikipédia

-  En arabe, jihâd signifie « effort », « lutte » ou « résistance », voire « guerre menée au nom d’un idéal religieux »... « faites un effort dans le chemin de Dieu ».

-  Le concept de djihad a varié au cours du temps.

Selon Ibn Rushd (’Averroès), l’islam compte quatre types de djihad : par le cœur (c’est la lutte intérieure), par la langue (ordonner le bien), par la main (interdire le mal) et par l’épée (lutte armée).

Il y a aussi le petit djihad et le grand djihad. Le prophète Mahomet aurait dit, au retour d’une bataille : « Nous sommes revenus du plus petit djihad (al-jihad al-Asghar) pour le plus grand djihad (al-jihad al-akbar) ». Lorsqu’on lui a demandé : « Quel est le grand djihad ? », il répondit : « C’est la lutte contre soi-même ».

Que dit Mathieu Guidère ?

Jihad = Effort physique et /ou effort intellectuel. L’effort de l’âme est le djihad majeur, l’effort du corps le djihad mineur. Chez les chiites, il s’agit plutôt de l’effort sur soi-même pour un perfectionnement religieux et spirituel. Chez les sunnites, au-delà de l’effort sur soi-même, il s’agit aussi d’action concrète : un effort tendu vers la recherche de solutions aux problèmes posés à la communauté musulmane.

Juridiquement, dans la tradition, le djihad désigne une action armée visant à l’expansion ou à la défense de l’islam. Offensif ou défensif le djihad ?

D’où vient le mot djihad ?

C’est al-Shâfi’î (767-820) qui, le premier, a exposé la doctrine selon laquelle le djihad doit être une guerre permanente contre les non-croyants et non pas seulement lorsque ceux-ci entrent en conflit avec l’islam. Il se fonde sur ce verset (9,5) : « Après que les mois sacrés expirent, tuez les associateurs où que vous les trouviez. Capturez-les, assiégez-les et guettez-les dans toute embuscade. Si ensuite ils se repentent, accomplissent la Salat (cinq prières quotidiennes obligatoires, second des cinq piliers de l’islam.) et acquittent la Zakat (« l’aumône légale », troisième des piliers de l’islam), alors laissez-leur la voie libre, car Allah est Pardonneur et Miséricordieux. ».

Dans quel cadre le djihad s’exerce-t-il ?

Dans la tradition musulmane, le monde est initialement divisé en seulement deux parties : Dar al-Islam ou « domaine de la soumission à Dieu » où s’applique la charia puis, par extension, les pays à majorité musulmane et/ou gouvernés par des musulmans.

Quant au « Dar al-Harb », c’est le reste : les pays où l’Islam reste à apporter, le mot « Harb » signifiant "guerre" dans divers sens du terme, guerre militaire de conquête, mais aussi "guerre" religieuse aux autres cultes et croyances, c’est-à-dire effort prosélyte et missionnaire.

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DANS LE CORAN

Il faut savoir que les écrits de l’époque sont le plus souvent à caractère parabolique, laissant à chacun sa propre interprétation.

Un exemple : Sourate 9 verset 41. « Légers ou lourds, lancez-vous au combat, et luttez avec vos biens et vos personnes dans le sentier d’Allah. Cela est meilleur pour vous, si vous saviez. » L’interprétation d’un ami : légers peut être lu comme "des personnes sveltes, capables d’être mobiles, adroites, efficaces au combat" … Lourds signifie probablement des "personnes ancrées dans des convictions religieuses profondes".

Marie-Thérèse Urvoy relève 41 fois la racine du mot djihad dans le Coran avec des sens particuliers : 3 exemples :

-  « serment solennels » (5 fois). Serait-ce parfois un devoir, ajouté aux 5 piliers ?

-  « mener le combat pour Dieu », dans 16 cas, avec une unique référence explicitement non violente ».

-  « combattre les infidèles, et être dur contre eux » (2 fois : 9,73 ; 66,99), combattre les non-combattants, ceux qui restent assis …(4,95)

Qu’en est-il de la notion de martyre ?

Elle est aussi ancienne que la naissance de l’islam.

Quant aux attentats-suicides, ils sont récents : ils sont apparus et se sont développés dans le monde au XXe siècle et sont sévèrement condamnés par les autorités de l’islam45. Sur quelles bases s’appuient les oulémas ?

• le suicide, clairement condamné dans le Coran : « Ne vous donnez pas la mort » (Cor. IV, Les femmes : 28-29).

• l’interdiction de tuer des innocents : « Épargner les enfants, les fous, les femmes, les prêtres, les vieillards et les infirmes, sauf s’ils ont pris part au combat »9) (Cor. V, la Table servie : 31-32).

• l’interdiction de provoquer le chaos : « Le chaos est pire que la guerre. Tant qu’eux ne vous combattront pas dans l’enceinte sacrée, ne leur livrez pas la guerre. Si eux vous déclarent la guerre alors tuez-les. Voilà la fin des infidèles » (Cor. II, La vache : 190-191).

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LE DJIHAD AU FIL DE L’HISTOIRE

La première élaboration doctrinale du djihadisme intervient dès les premiers califes (634-661) au nom du principe fondamental de l’universalisme de l’islam. – (Sourate 7 verset 158 « Dis « Ô hommes ! Je suis pour vous tous le Messager d’Allah ») -.

Existe cependant un principe de tolérance, envers les chrétiens et les juifs en particulier. Pour les autres, la conversion est obligatoire, sous peine de mise à mort ou de réduction en esclavage, bien que certains versets appellent à la persuasion (16, 125. Par la sagesse et la bonne exhortation appelle (les gens) au sentier de ton Seigneur. Et discute avec eux de la meilleure façon…).

Parfois le djihad est ordonné exclusivement pour la défense de la communauté (Sourate 2, verset 190. Combattez dans le sentier d’Allah ceux qui vous combattent, et ne transgressez pas. ). Il n’est parfois admis qu’en dehors des mois sacrés (9, 5). Simultanément, d’autres versets ordonnent le djihad en tout temps et en tout lieu (5, 41).

Jusqu’au 10ème siècle, la pratique du djihad est florissante : tous les souverains musulmans se sont engagés dans le djihad, chacun à sa manière, pour étendre le domaine de l’islam. Elle s’est ensuite estompée. A partir du IXe/Xe siècle, des oulémas ont affirmé que la charia n’obligeait pas à s’acquitter du devoir du jihad, sauf si le domaine de l’islam était menacé par des forces étrangères.

Un théoricien : Ibn Taymiyya (1263-1328) Polémiste intransigeant, il s’appuie uniquement sur le Coran et sur le ḥadīth, et fait confiance aux « anciens » (salaf). Il prône une doctrine de conciliation, de « juste mesure » (wasaṭ). A la fin de sa vie, il a néanmoins émis des fatwas sur l’obligation du djihad contre les mécréants, les philosophes et les chiites. Il appartenait à l’école hanbalite, la plus dogmatique et la plus puriste des écoles d’interprétation de jurisprudence de l’islam sunnite. Cette école de pensée est encore la doctrine juridique officielle de l’Arabie Saoudite actuelle.

Du côté des chiites, il faut savoir que pour nombre de tendances, le jihad offensif est interdit jusqu’à l’avènement du Mahdi (le 12e Imam et dernier successeur du Prophète Mahommed sensé réapparaître à la fin des temps pour régner en justice et en paix : c’est l’imam caché).

Selon Mathieu Guidère, le djihadisme d’aujourd’hui s’appuie essentiellement sur cet argument : s’opposer par les armes à l’impérialisme et à l’ordre établi. Sa construction idéologique a été élaborée au fil du temps, à des fins politiques ou militaires à partir du concept initial de djihad inscrit comme pratique cultuelle ( le nœud du problème ne se situe-t-il pas là ? ). Intimement lié à la doctrine salafiste, - le retour à l’islam des origines -, le djihad a pris progressivement le sens de guerre sainte menée pour défendre les musulmans ou pour propager l’islam. Cette idéologie de combat s’est constituée en particulier face à 2 événements géopolitiques : l’implantation des croisés au Proche orient et les invasions mongoles aux 13ème et 14ème siècles (ces 2 événements ont encore été repris récemment dans la propagande djihadiste pour qualifier toute intervention militaire étrangère (cf. intervention américaine en Irak en 2003).

Voir dans Le Débat 185 les différentes phases du djihadisme :

- Le djihadisme anticroisés : le fils de Zengi prenant le titre de moudjahid : combattant de la foi, puis celui de mourabit : gardien du territoire de l’islam.

- Le djihadisme antimongols : Gengis Khan et la fin de la dynastie des Abbassides en Irak ...

-  Le djihadisme à l’époque moderne : l’empire ottoman contesté par les perses chiites et les wahhabites ...

- Le djihadisme aujourd’hui : anti colonial, puis anticommuniste, anti occidental, anti musulman

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Dans les premiers temps de l’islam, le djihad était régulé et soumis à l’autorité d’un prince qui parfois en faisait un fin usage politique soit pour renforcer la cohésion nationale, soit pour détourner l’attention de la population des problèmes intérieurs, soit pour repousser une menace extérieure (du classique en quelque sorte).

A l’époque contemporaine, le djihad se diversifie et se complexifie. Chez les chiites comme chez les sunnites existent un nombre important de groupes et d’organisations djihadistes.

Beaucoup sont classés comme terroristes par les occidentaux. Tous se battent au nom de la religion, de la vérité révélée ou au nom d’une cause nationale. Aujourd’hui, la communication mondialisée et hyper connectée n’est pas neutre dans la prolifération des groupuscules locaux. Portés par le ciberdjihadisme, les provocations à la haine et les incitations au meurtre se multiplient sur Internet ...

Et nous assistons, impuissants, à leurs expressions de plus en plus radicales...

P. B.

Si nous pensons avoir mis à jour quelques points d’ancrage pour notre réflexion, bien des domaines, comme bien des déclinaisons du djihad nous restent à découvrir ...

Emerge cependant l’idée que la religion est bien souvent l’instrument d’ambitions qui n’ont rien de religieuses ...

Quant aux parcours psychologiques de ces combattants volontaires du djihad, ils restent pour nous une énigme.

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