ECOLE DES FILLES - ECOLE DES GARCONS
Résumé d’un article de Claude Lelièvre publié par la revue de l’Union Rationaliste : Raison présente ( 1er trimestre 2004)
L’école de Jules Ferry (1832 - 1893). (Troisième République)
Son extraordinaire cohérence repose sur 3 grandes dissociations. Pour des raisons socio-économiques, l’école est séparée de la production, l’école du peuple séparée de celle des privilégiés et l’école des garçons distincte de celle des filles.
Pour ce qui concerne les filles, le souci premier est de les éduquer dans leur rôle de femme au foyer, ce qui n’empêche pas , dès 1880, Camille Sée de créer de écoles secondaires pour elles. Nouveauté, même si elles sont très différentes des écoles pour garçons.
Petit rappel :
Vers le milieu du XVIIe siècle, Coménius ( 1592 - 1670 ) préconisait déjà une école commune à tous, non seulement garçons et filles, mais enfants de toutes conditions : « on décèlera mieux ceux qui sont capables de suivre l’enseignement à des degrés scolaires supérieurs, déclarait-il, si l’on renonce à toute différenciation au cours des premières années, et si l’on fait en sorte que tous fréquentent les petites écoles ». C’était là la première conception d’un système scolaire à proprement parler, puisque toute la population est concernée et que l’enseignement élémentaire et les autres enseignements sont liés.
Plus tard, au XVIIIème, Condorcet (1743 - 1794) s’était lui aussi prononcé pour la mixité des élèves et des enseignants et pour une instruction commune aux filles et aux garçons. Condorcet et l’instruction publique
Jules Ferry ne les suit pas ; il justifie son choix comme ceci : « Tempérer l’égoïsme, voilà la fonction de la femme, au point de vue social le plus élevé. Mais pour exercer cette fonction, il faut qu’elle reste elle-même, c’est à dire qu’elle se tienne à l’écart de la vie active qui gâte le cœur, qui exalte la personnalité ».
Instructions du 27 juillet 1882 : « faire acquérir aux jeunes filles les qualités sérieuses de la femme de ménage ».
Instructions de 1923 : « La théorie de l’enseignement ménager doit inspirer aux jeunes filles l’amour du foyer, en leur montrant que les opérations en apparence les plus humbles de la vie domestique se relient aux principes les plus élevés des sciences de la nature et que, pour reprendre un mot antique : il y a partout du divin ».
Nous sommes à des années-lumières de l’ "égalité" et de la "parité", et l’impact sera très fort : à travers les livres, le matériel scolaire et les conférences pédagogiques, c’est toute une culture qui va être instituée durablement.
Un inspecteur : « Le principe qui doit guider l’institutrice dans cette œuvre d’orientation est qu’il faut préparer dans la fillette, dès l’école, la future ménagère et la future mère de famille ».
Une directrice d’école : « On cherchera surtout à faire des femmes complètes, c’est à dire des femmes au foyer. Ensuite , et ensuite seulement, l’institutrice essaiera de diriger les élèves qui auront besoin de gagner leur vie vers la profession qui convient le mieux à leurs aptitudes. Répétons le, le rôle de la femme est surtout à la maison ».
Le cursus secondaire des filles se fait en 5 ans ; il est plus court que celui des garçons : elles n’ont pas accès au baccalauréat qui ouvre les portes de l’Université (il faudra attendre 1924), mais à un examen spécifique, « désintéressé » professionnellement. La philosophie et les humanités classiques sont réservées aux garçons ; l’essentiel pour les filles porte sur un enseignement des lettres et de langues vivantes modernes. Voici ce que disait Maitrot, le rapporteur des mathématiques de l’époque : « il serait inutile, et même fâcheux de développer chez les jeunes filles l’esprit d’abstraction ; d’autre part, elles n’ont que faire des mathématiques appliquées, elles ne deviendront pas ingénieurs » Quant aux sciences, elles pourraient dessécher les jeunes filles, amoindrir leur grâce et leur sensibilité ».
Aujourd’hui encore les femmes professeurs dépassent les 75% en lettres et langues vivantes ; elles sont bien en dessous des 50% pour les mathématiques, la physique, et surtout la philosophie. Au nom de leur « vocation naturelle », les représentations sont bien ancrées !
« Il est de leur intérêt, du nôtre, de l’intérêt de la société toute entière , qu’elles demeurent au foyer domestique » disait Camille Sée. La notion de droit des femmes semble alors totalement étrangère, ou du moins contenue dans l’expression « l’égalité dans la différence »... ce qui pourrait être un progrès s’il ne s’agissait pas de penser la femme comme l’épouse, l’épouse de l’homme d’affaires ou du politique, donc à la maison, à son service.
Au Etats Unis pendant ce temps, les écoles sont mixtes. Paul Passy ( auteur des articles sur la co-éducation dans le dictionnaire de pédagogie de Ferdinand Buisson ) a été frappé par "leur aspect charmant". « une parfaite convenance y règne » dit-il, très surpris... Mais il ne va pas plus loin : il justifie l’hostilité des français à la « co-éducation des sexes » par la séparation garçons - filles qu’on observe dans leur religion dominante. Cette co-éducation serait peut être quelque chose pour les protestants...
Gabriel Compayré estime, lui, que « la co-éducation ne peut avoir que des conséquences fâcheuses, si du moins on ne veut pas dénaturer le caractère de chaque sexe, efféminer les jeunes gens, viriliser les femmes et détourner les uns et les autres de leur vraie destination dans ce monde ».
Le grand mouvement de la généralisation de la mixité dans l’enseignement est relativement récent puisqu’il date des années 60-70, même si les écoles maternelles et les écoles de campagne étaient généralement mixtes depuis longtemps. Ce qui est surprenant, c’est que la mise « en mixité » s’est effectuée sans débat public, par de simples mesures administrative. Il ne s’agit pas de renier les principes, dit la circulaire du 3 juillet 57 , mais « de servir les familles au plus proche de leur domicile ou dans les meilleures conditions pédagogiques » . Conséquences de cette généralisation : une organisation plus facile par la création de plus grosses écoles, une économie de personnel + des facilités de toutes sortes (ramassage scolaire...) .
Changement fondamental nous dit Antoine Prost : l’école de Ferry mélangeait les âges et séparait les sexes ; aujourd’hui, on mélange les sexes, mais on distingue soigneusement les âges. Ainsi, désormais, de 3 ans à 16 - 18 ans, la plupart des élèves sont élevés, socialisés, éduqués dans et par leur promotion d’âge. Rappelez vous : « Salut les copains ! », le jean unisexe, les baskets, les pulls négligés.. qui annoncent une mutation sociale majeure.
1963 : la mixité devient le régime normal des collèges (CES)
1965 : la mixité devient le régime normal des établissements élémentaires nouvellement créés
1975 - 1976 : la mixité devient obligatoire en primaire et secondaire et « tout enseignement et toute spécialité professionnelle d’un lycée devient accessible aux élèves des 2 sexes, sous réserve des dispositions du droit du travail. »
La mise en place se fait rapidement et sans heurt, rapidement dans le public, presque aussi vite dans le privé, malgré sa répugnance ancestrale contre « le mélange des sexes ». En 1929, l’encyclique Divini illius Magistri du pape Pie XI réaffirmait la condamnation formelle de la co-éducation, considérée comme « fausse et nocive parce que fondée sur le naturalisme et la négation du péché originel ». Cette idée « provient d’une confusion d’idées déplorables qui remplace la légitime communauté de vie entre les hommes par la promiscuité et le nivellement égalitaire ». En 1958, l’église assouplit sa position : la co-éducation n’est pas approuvée, mais des écoles catholiques mixtes peuvent être instituées dans les cas où la nécessité l’impose ». Il faudra attendre 1966 où le Comité National de l’Enseignement Catholique se déclare favorable à la mixité scolaire « dans un monde moderne qui met de plus en plus en relation les garçons et les filles ».
Encore une fois, tout ceci s’est effectué par circulaires, sans débat, sans véritable politique explicitée et décidée par un pouvoir législatif ou exécutif . Quelles étaient exactement les finalités de cette évolution ? Le souci était davantage celui de gestionnaires dans une période de forte croissance démographique . Il n’y a pas eu de traitement raisonné du problème, ce qui fait qu’aucune remise en cause des fondements qu’avait posés Jules Ferry n’a eu lieu publiquement.
Ceci n’est pas sans signification, ni sans conséquence : les stéréotypes sexistes subsistent dans les manuels scolaires malgré les mesures ministérielles prises au début des années 80 (rapport parlementaire publié en 1997). Il est encore facile d’observer que les représentations, les attitudes, les comportements sexistes tendent à perdurer - le plus souvent inconsciemment - dans les classes et les établissements scolaires, tant chez les enseignants que chez les élèves.
Circulaire de 93 : "travailler dès la classe de 5ème sur les représentations et les stéréotypes concernant les formations et les métiers dits féminins ou masculins "
Circulaire de 98 : " lors de l’éducation à la citoyenneté, nécessité de traiter le problème de l’égalité entre les filles et les garçons au travers des questions de droit, de l’histoire, du respect de la dignité d’autrui ..."
Texte de 2000 : « intégrer dans les programmes d’instruction civique la réflexion sur les rôles respectifs des hommes et des femmes, rappeler l’apport des femmes dans tous les champs de savoir, introduire des contenus relatifs à la construction des rôles sociaux »
La conclusion de Claude Lelièvre :
La « mixité sociale » et la « mixité sexuée » à l’ Ecole souffrent de la même carence : une réflexion en profondeur suivie d’applications ; et elles sont toutes les deux au milieu du gué : les retours en arrière sont toujours possibles si un grand débat national ne définit pas rapidement les grandes lignes de la culture de base nouvelle à assurer dans et par l’Ecole.
La laïcité, en séparant la sphère publique de la sphère privée , a ouvert un espace nouveau aux femmes, un espace de liberté. L’éducation nationale n’a pas suivi ...
Toute la réflexion théorique sur la mixité reste à mener ...
Dans une petite école, près de Bénodet, au Perguet 1923 L’avènement de la mixité dans une école de hameau