Pour la réunion commune avec la L.D.H., section Françoise Bosser, le 17 mars 2011
Egalité de droit et équité
par MDz, pour le groupe L.D.H.
Intro :
Le mot « équité » revient de plus en plus souvent dans la bouche des économistes et des hommes politiques, particulièrement chez les tenants du libéralisme économique, dont certains soutiennent que le « système France meurt doucement de sa névrose égalitaire » (lu sur le site de la Fédération Française du Bâtiment).
C’est probablement la raison pour laquelle, en 2002, les auteurs d’un site de philosophie politique ont demandé aux candidats à la présidence de la République de répondre à la question suivante « La distinction entre l’égalité et l’équité est devenue un lieu commun du discours public : faut-il en conclure que l’égalité est morte ? »
Les candidats qui ont répondu n’ont heureusement pas soutenu cette thèse, car égalité et équité figurent en toute complémentarité ( même si l’équité n’est pas mentionnée comme telle), dans les textes fondateurs de notre République ... Il en est de ces principes comme de tous les autres, à l’heure actuelle : le sens en est devenu fort imprécis et la tendance, en période de crise, est de « jeter le bébé avec l’eau du bain »...
Revenons donc aux sources du sens :
Que recouvre l’égalité de droit ? Qu’est-elle, que n’est-elle pas ?
1) Ce quelle recouvre : « L’amour de la démocratie, dit Montesquieu, est celui de l’égalité ».
• La devise républicaine « Liberté, Egalité, Fraternité », fixe le cadre dans lequel doit se construire la République française qui s’affirme « laïque, démocratique et sociale ». Elle définit l’éthique,les intentions, la ligne de conduite, que se fixe la République française dans ses relations avec les citoyens, dans son mode de gouvernement. La Constitution en décrit les modalités d’application et les conditions du respect. Elle s’appuie sur la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui stipule dans l’article 1 : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune » , sur le préambule de la constitution de 1946 qui ajoute des droits économiques et sociaux, affirme entre autres, dans l’article 3 que « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme. », et aussi sur la charte de l’environnement de 2004.
• Ce que l’on entend par « égalité en droits », c’est l’égalité, de traitement, l’impartialité et l’ égal accès à la loi de tous les citoyens sans distinction aucune. Il ne peut y avoir de citoyens « plus égaux que d’autres », il ne peut y avoir de « privilège naturel », l’égalité en droits est un principe fondateur de la « souveraineté populaire ».
• On ne nie pas qu’il existe, de fait, dans la réalité, des différences entre les individus, on affirme que lorsque les élus républicains, les représentants de la nation prennent des décisions, des mesures, mettent en place des actions, ils ne doivent pas perdre de vue l’intérêt général. Ils doivent constamment se poser la question de « l’utilité sociale, commune » des distinctions qu’ils établissent. Pour reprendre une formule largement galvaudée, le droit à la différence est reconnu mais ne doit pas entraîner de différence dans les droits.
• Pour résumer, dans l’esprit des concepteurs, l’égalité des droits ou en droits est le principe éthique qui doit présider à la construction sociale, qui doit surplomber le fonctionnement social.
2) Ce qu’elle n’est pas dans l’esprit des concepteurs :
• égalitarisme « absolu », c.a.d : uniformité, refus de l’altérité, nivellement par le bas.
• Pourquoi ? Parce qu’elle se définit en lien avec cet autre droit imprescriptible qu’est la liberté ; seule l’égalité des droits peut rendre effective la liberté définie à l’article 4 de la déclaration de 1789 : « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne peut nuire à autrui. Ainsi l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société, la jouissance de ces mêmes droits ; ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi ». Egalité des droits et liberté ne se conçoivent pas sans l’esprit de responsabilité.
• Elle ne s’oppose pas à la notion de mérite (élitisme républicain). L’individu a le droit de penser à lui-même, à chercher à progresser y compris matériellement, à condition que ses actions ne soient pas nuisibles à autrui. La fin ne justifie pas les moyens...
L’objectif de la République laïque, démocratique et sociale, est d’assurer le meilleur vivre ensemble. L’idée forte est que cela n’est pas uniquement de la responsabilité des élus, mais de chaque citoyen. Chacun doit contribuer par sa réflexion, sa participation, son travail, sa contribution financière ... Le résistance à l’oppression est un droit imprescriptible du citoyen... Mais également, la République dispose d’une police pour l’aider maintenir la paix sociale, une police au service des citoyens.
L’idéal républicain nécessite un supplément d’âme de la part de chacun, citoyens élus et simples citoyen, le sens de la mesure et de l’intérêt général.
Qu’est-ce que l’équité ?
« L’équité correspond à ce que vit l’humanité, l’égalité à ce qu’elle vise »
• L’équité est le moyen de parvenir à l’égalité en compensant les handicaps et inégalités sociales. Dictionnaire Robert : « Notion de la justice naturelle dans l’appréciation de ce qui est dû à chacun ; vertu qui consiste à régler sa conduite sur le sentiment naturel du juste et de l’injuste". Hugo : « le monde matériel repose sur l’équilibre, le monde moral sur l’équité »).
• L’équité renvoie donc à l’idée de justice : il faut juger et traiter de manière égale des situations identiques mais accorder des droits spécifiques aux groupes sociaux dont la situation est jugée désavantageuse. C’est une égalité proportionnée à la situation des individus. Elle suppose, de ce fait, la conception d’une justice qui n’est pas inspirée par les règles du droit en vigueur et qui peut même être contraire à ces règles, l’équité s’oppose à la rigueur de la loi. »
Qu’y-a-t-il donc au-dessus de la justice ? L’équité. », écrit Victor Hugo dans « 93 ».
• Les membres les moins avantagés de la société peuvent être traités différemment, à partir du moment où cela reste à leur bénéfice et au bénéfice de la collectivité toute entière. C’est ce principe qui permet d’associer la notion d’équité aux politiques d’interventions économiques et sociales comme les politiques de discrimination positive*.
• Avec l’équité se situe toute la marge de manoeuvre du politique qui doit rester dans la mesure et veiller à ne pas créer une différence des droits, à rester dans le domaine des « inégalités justes » et non créer des « inégalités injustes ». L’équité est la règle et le fondement des devoirs des hommes les uns envers les autres...
• La notion d’équité est liée à celle « d’égalité des chances ». "L’égalité des chances, c’est le droit de ne pas dépendre exclusivement de la chance, ni de la malchance. C’est le droit égal, pour chacun, de faire ses preuves, d’exploiter ses talents, de surmonter, au moins partiellement, ses faiblesses. C’est le droit de réussir, autant qu’on le peut et qu’on le mérite. C’est le droit de ne pas rester prisonnier de son origine, de son milieu, de son statut. C’est l’égalité, mais actuelle, face à l’avenir. C’est le droit d’être libre, en se donnant les moyens de le devenir. C’est comme une justice anticipée, et anticipatrice : c’est protéger l’avenir, autant que faire se peut, contre les injustices du passé, et même du présent." André Comte-Sponville - Guide républicain, 2004
Dans le discours de Comte-Sponville, on peut lire son refus du déterminisme social. L’individu est invité à se forger un mental de battant, à se prendre en mains pour changer son avenir,son statut, ses perspectives et celles de sa famille, mais il ne faut pas oublier que cela n’est pas à la portée de tous et que le coup de pouce de l’Etat et de ses services publics et sociaux est aussi nécessaire.
Pourquoi les libéraux prônent-ils l’équité au mépris de l’égalité ?
Lu sur le site de la Fédération du Bâtiment, sous la plume de J.M. Lefèvre :
Pour éviter le déclin, l’Etat doit prendre sa place et ses responsabilités dans la compétition planétaire... « Il s’agit simplement de promouvoir, d’organiser et d’assurer l’équité. Et ça commence par la volonté affichée d’encourager et de stimuler en permanence l’esprit de challenge. Il s’agit aussi de reconnaître aux meilleurs le mérite qui leur revient, sans les suspecter ni les culpabiliser, et de les rétribuer en conséquence...
D’un point de vue plus régalien, la République doit ensuite garantir l’équité des conditions de la compétition, et une fois bien établis les cadres et les règles de la compétition, l’État doit les faire respecter avec la plus totale intransigeance.
Lu sur un autre site « égalitarisme et injustice sociale » :
« Car la "justice sociale", ces mots dont se gargarisent tous les constructivistes à longueur de temps, n’est pas cette politique qui consisterait à "aider les plus démunis" en taxant les plus "riches", la "justice sociale", tout au contraire, c’est de laisser à chacun les mêmes chances quelles que soient ses origines, sa fortune et sa condition. Cest de laisser chacun libre d’améliorer son sort, sans punir la réussite en en volant les fruits au profit de ceux qui n’ont pas réussi eux-mêmes. Car la réussite n’est jamais le fruit du hasard. Réussit celui qui fait des efforts, pas celui qui ne fait rien. Sanctionner la réussite, c’est donc sanctionner l’effort. Et c’est cultiver le renoncement et l’immobilisme.
Les différences entre les êtres, et donc entre les citoyens, résultent soit de la naissance soit de la carrière. Elles ne sont en rien injustes par nature. Elles sont justifiées dans la plupart des cas, c’est à dire à la seule exception des situations nées de pratiques frauduleuses. Les situations inférieures des uns ne sont en rien le fait des autres, et les autres, c’est à dire la collectivité, n’en sont en rien responsables. Ils ne doivent donc pas être tenus, ni d’en supporter les conséquences, ni d’y apporter réparation. La solidarité est une valeur extrêmement positive. Elle n’a de sens que si elle n’est pas contrainte. »
Les libéraux qui ne conçoivent la vie que comme un challenge, une compétition vers toujours plus de réussite sociale, vers les « sommets », prônent l’équité, parce qu’elle intègre les notions « d’inégalité juste », de mérite, de résultat (logique de résultat), d’effort... Que l’on peut facilement y rattacher des valeurs morales spécifiques, l’adapter au pragmatisme matérialiste... Alors que l’égalité des droits est un principe philosophique et éthique qui contraint à la mise en oeuvre d’actions, à la prise de décisions qui soient bénéfiques à tous.
Ce discours n’est évidemment pas nouveau. Par exemple, en 1940, le Maréchal Pétain disait : « « Le régime nouveau sera une hiérarchie sociale. Il ne reposera plus sur l’idée fausse de l’égalité naturelle des hommes mais sur l’idée nécessaire de l’égalité des "chances", données à tous les Français de prouver leur aptitude à servir... Ainsi renaîtront les élites véritables que le régime passé a mis des années à détruire et qui constitueront les cadres nécessaires au développement du bien-être et de la dignité de tous. » (Source : article d’Alain Bihr et Roland Pfefferkorn – Monde diplomatique de septembre 2000 ).
Quant à notre président actuel, il disait en 2005 : « Il est injuste de vouloir donner la même chose à chacun alors que précisément la République doit conduire à reconnaître les mérites et les handicaps de chaque personne. À l’égalité formelle, je préférerai toujours l’équité. Celui qui travaille plus doit gagner davantage. Celui qui cumule le plus de handicaps doit être davantage aidé » (Source : l’Observatoire des inégalités) -
Autrement dit, chacun pour soi et charité pour les plus défavorisés. On ne partage pas... Fi de la solidarité et de la fraternité.
On se rend compte, à partir de ces déclarations et constats qu’en fait, « pour être résolument positive, c’est à dire , ne pas devenir l’un des nombreux outils de l’injustice, « l’équité doit convier le peuple à en fixer les modalités » ; les règles ne doivent pas être fixées par les dominants.
Où en est notre société ?
Bernard Teper l’a dit et répété en décembre 2009 : les valeurs de la République sont actuellement surplombées par celles du libéralisme économique et la citoyenneté est de plus en plus confisquée.
Une société n’est équitable et humaine, que si tous les grands domaines que sont la justice, l’éducation, les soins, les médias, la vie politique, se montrent « égalitaristes » c’est-à-dire, s’ils placent riches et pauvres, forts et faibles sur le même plan d’égalité, s’ils demeurent des services publics accessibles à tous sans distinction aucune. S’ils ne tombent pas sous la coupe, sous le joug d’intérêts privés.
Or, une pensée unique ultra libérale nous présente comme incontournable et inévitable, un système dans lequel le marché , les actionnaires et les agences de notation font la loi et dont la marchandisation est la règle. Un système qui place en permanence les citoyens en situation de concurrence, isole les individus, encourage l’individualisme et défend une inégalité réelle à tous les niveaux : au niveau des principes, comme au niveau du fonctionnement et du droit. Privatisation, dérèglementation, flexibilité, démantèlement des services publics, inégalité devant l’impôt, gel des salaires., travailleur-« variable d’ajustement ».... » Guerre des classes »...
Pour s’imposer, ce système asphyxie la démocratie en ne respectant plus la séparation des pouvoirs, en assujetissant la police et la justice, en assimilant sûreté et « tout sécuritaire », en bafouant l’égalité des droits, en maltraitant les étrangers, en s’autorisant des comportements et propos xénophobes...
De contre vérités en contre réformes, ce système qui joue sur les émotions, tire les citoyens vers le bas, s’adressant à leurs « tripes » et non plus à leur cerveau. Il en résulte un éloignement des valeurs républicaines, une perte de sens, un désordre intellectuel et mental qui fait que les mots se vident peu à peu de leur sens et que la confusion règne. ( ex : laïcité. dont on oublie qu’elle est avant tout « totale liberté de conscience »...)
La L.D.H. dénonce avec vigueur ces dérives depuis maintenant deux ans. Nous ne voulons plus de cette confusion des genres. Nous rappelons que si « Les gouvernants tiennent leur légitimité du suffrage universel, lls n’ont pas reçu mandat de remettre en cause les libertés, d’organiser la fragmentation sociale, de désigner des groupes sociaux entiers comme boucs émissaires de l’insécurité et que rien ne peut justifier qu’un nombre croissant de nos concitoyens se trouvent placés en situation d’illégalité pour vivre, de travailler dur pour se retrouver menacé par la pauvreté, d’être en situation de risque dès qu’il s’agit de défendre ses droits ».
Devant l’évidente perte de repère de tous, y compris des politiques nous proposons à la société française, un nouveau « pacte pour les droits et la citoyenneté ». A travers ce pacte, nous revendiquons une conception du Politique qui place au coeur de l’éthique démocratique la garantie des libertés individuelles et collectives, la lutte contre les inégalités et la construction de nouvelles solidarités. Sur cette base nous interpellons les responsables politiques en leur demandant de débattre et de s’engager clairement. Afin d’éclairer les choix des citoyens.
Conclusion :
Alors que les peuples du Maghreb revendiquent leur liberté au nom de nos principes républicains, il serait incompréhensible que les citoyens français se montrent incapables de les défendre et de les promouvoir.
Il nous revient, à nous, associations civiques, de fédérer toutes les énergies et de les associer dans des actions qui montrent toute la fausseté du discours actuel et tendent à rétablir l’égalité des droits et l’équité dans les droits.