Le chantier qu’a entrepris de lancer le ministre de l’éducation nationale est d’une ampleur bien plus vaste qu’il n’y paraît au premier abord : il renvoie à cette période où la morale a été détachée de la théologie, ainsi qu’à son évolution. Il touche le cœur de notre vivre ensemble et vise un avenir meilleur.
Pour ou contre l’enseignement d’une « morale laïque » à l’école ? D’abord, une telle question a-t-elle lieu d’être ? Nous sommes dans le registre de l’ « éducation » « nationale » et la morale est déjà présente à l’école de la République, école laïque, ne serait-ce qu’à chaque fois que les adultes interviennent vis-à-vis des comportements des élèves dont ils ont la charge…
Ces interventions à caractère éducatif sont-elles actuellement suffisantes ? Un enseignement programmé de la morale doit-il remplacer et/ou s’ajouter aux réflexions occasionnelles qu’induit le contexte de vie à l’école ? (La morale ne s’enseigne pas, elle se vit, disent beaucoup !)
Quel est l’objectif recherché par le ministre ? Quel serait le contenu d’un tel enseignement, en regard des finalités de l’école ?
Et pourquoi aujourd’hui, alors que cet enseignement a été plus ou moins abandonné dans le passé ? Serait-ce une réponse à cette perte de repères constatée chez les générations montantes, perte de repères qui engendre des comportements qui perturbent les habitudes, … qui distend de plus en plus le tissu social,… qui pousse au communautarisme … qui porte parfois atteinte à la paix sociale … ?
Il est à noter que, ces derniers temps, les deux termes : « morale » et « laïque » ont souvent été détournés de leur sens premier ; ils portent de telles connotations que la réflexion s’en trouve complexifiée (d’une part : fonction moralisatrice, référence aux dogmes de toutes sortes … d’autre part : antireligieux…). Le contexte (discours du Latran, de Ryad…) a amené le ministre à associer ces 2 mots. Il en a surpris beaucoup, de tous bords. Il reste que dans le cadre que constitue notre république indivisible, démocratique, laïque et sociale, la morale ne peut être enfermée dans une quelconque idéologie particulière. Il importera, dans les discussions à venir, de remettre d’abord chaque mot à sa juste place.
Le constat : beaucoup de jeunes développent des comportements peu réfléchis, débridés, se conformant sans aucun recul à l’impression dominante du moment.
L’école de la République a pour mission de former des individus autonomes quant à leurs jugements, ainsi que des citoyens éclairés.
.L’enseignement de la morale peut contribuer à cette émancipation.
A quelques conditions : que cet enseignement
soit une incitation à la réflexion, une aide à la structuration de la pensée personnelle, à l’acquisition d’un esprit critique, loin de tout endoctrinement (note : la plupart des enseignants y sont déjà très attentifs). Un moyen : cultiver davantage, renforcer la laïcité à l’école : elle constitue le cadre où peuvent s’épanouir toutes les valeurs, les droits et devoirs (réflexion à poursuivre) qu’entend promouvoir notre modèle républicain (cf. D.D.H.C., préambule de la Constitution de 1946 …) ; ceci suppose un retour de la formation des enseignants, y compris dans ce domaine.
ne perde pas de vue que la morale, construction de la raison, varie dans le temps et selon les lieux, et même si ( parce qu’elle ?) elle se veut universelle, elle est toujours en évolution, en construction. Les élèves doivent acquérir cette dimension.
permette à chaque enfant d’acquérir des outils pour ses choix personnels. Il ne s’agit en aucune façon de promouvoir une morale dictée par un Etat quel qu’il soit.
Quant à la forme de cet éventuel enseignement (discipline, leçon, programme, examen ... ?? Et le maître ou le professeur reste l’artisan de sa pédagogie…), il nous semble que si le fond est toujours resté présent, la forme est entièrement à inventer.
Note 1 : Pour nombre d’enfants, l’école restera l’un des seuls endroits où il aura la possibilité de travailler pour lui-même la question de la morale.
Note 2 : le ministre de l’éducation nationale a en charge les établissements publics et privés sous contrat. Il devra résoudre cette question : comment un établissement privé confessionnel pourra-t-il inscrire la morale laïque dans son projet d’établissement - cf. son « caractère propre » -, dans son projet pédagogique ? Comment pourra-t-il le mettre en œuvre avec sincérité ?
L’ambition du ministre nous semble a priori des plus louables, en particulier quand son souci du juste précède la recherche du bon et du bien, quand les devoirs sont placés en référence aux droits de chacun… (cependant, quand, dans le même temps, le gouvernement se refuse de revenir sur des lois telles que la loi Carle ou sur le statut toujours provisoire et dérogatoire d’Alsace Moselle, nous restons très interrogatifs …)