La servitude volontaire

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Pour la réunion du 18 janvier 2023, par P.B.

Un jour, une amie insiste pour que je lise le petit livre qu’elle me présente : « Discours de la servitude volontaire » d’Etienne de La Boétie*.
Spontanément, j’ai pensé que son geste avait un caractère essentiellement provocateur. En effet, depuis des années, nous nous opposons régulièrement à propos de l’individualisme qu’elle cultive au nom de sa propre liberté, individualisme qu’elle oppose à mon engagement, que vous connaissez, au sein de plusieurs associations.
La surprise passée - et après qu’elle eût longuement insisté sur la qualité de l’écriture -, je me suis dit que j’allais tout de même y regarder de plus près, d’autant que le titre m’intriguait quelque peu : Discours de la servitude volontaire : une servitude peut-elle être volontaire ?

JPEG Après quelques recherches, avant même d’avoir ouvert l’opuscule, je me suis demandé ce que pouvait encore valoir aujourd’hui ce texte écrit au 16ème siècle, par quelqu’un qui, selon le témoignage de son ami Montaigne dans Les Essais (« parce que c’était lui, parce que c’était moi »), n’avait seulement que 16 ou 18 ans. Au final, cet opuscule, n’était-il pas qu’une réaction de La Boétie à la violente répression qui avait suivi la révolte contre la gabelle, l’impôt sur le sel, en 1548 ?

Mais quand j’ai également découvert que ce livre avait suscité des commentaires à n’en plus finir … et surtout qu’il avait été interdit sous toutes les dictatures …

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Dès la première page, Etienne de La Boétie s’interroge, et nous interroge :
Il commence par citer Ulysse, dans Homère, et ce sera pour réagir aussitôt :
« Il n’est pas bon d’avoir plusieurs maîtres ; n’en ayons qu’un seul ; qu’un seul soit le maître, qu’un seul soit le roi. ». Par ces mots, Ulysse cherchait à apaiser la révolte de l’armée.

La Boétie réagit : « A la réflexion, c’est un malheur extrême que d’être assujetti à un maître dont on ne peut jamais être assuré de la bonté, et qui a toujours le pouvoir d’être méchant quand il le voudra. Quant à obéir à plusieurs maîtres, c’est être autant de fois extrêmement malheureux. »

« Pour le moment, je voudrais seulement comprendre comment il se peut que tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois un tyran seul qui n’a de puissance que celle qu’ils lui donnent, qui n’a pouvoir de leur nuire qu’autant qu’ils veulent bien l’endurer, et qui ne pourrait leur faire aucun mal s’ils n’aimaient mieux tout souffrir de lui que de le contredire. Chose vraiment étonnante — et pourtant si commune qu’il faut plutôt en gémir que s’en ébahir -, de voir un million d’hommes misérablement asservis, la tête sous le joug, non qu’ils y soient contraints par une force majeure, mais parce qu’ils sont fascinés et pour ainsi dire ensorcelés par le seul nom d’un*, qu’ils ne devraient pas redouter — puisqu’il est seul — ni aimer — puisqu’il est envers eux tous inhumain et cruel. Telle est pourtant la faiblesse des hommes … »

*Certains ont ajouté au titre de son texte un drôle de complément : le contr’un.

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Revenons à ce titre : "Discours de la servitude volontaire". Que peut donc signifier l’expression servitude volontaire ?

Dictionnaire Le Robert. La servitude est l’état de dépendance totale d’une personne. C’est étymologiquement la condition de l’esclave, servus, … Entre le 8ème et le 11ème siècle, il donnera ensuite le mot servage.

Aristote rapprochait les esclaves des animaux : « L’utilité des animaux privés et celle des esclaves sont à peu près les mêmes ; les uns comme les autres nous aident par le secours de leur force corporelle à satisfaire les besoins de l’existence [...] L’esclavage est donc un mode d’acquisition naturel, faisant partie de l’économie domestique. »
Le servage s’est progressivement substitué à l’esclavage. A la différence de l’esclave, le serf était tout de même reconnu comme une personne, avec une famille, des biens.
Il reste que la condition de l’esclave, comme celle du serf, se situe à l’opposé de l’affranchissement personnel, de l’émancipation, de la liberté que nous connaissons et à laquelle nous pensons que chaque être humain aspire.

J’ai pu côtoyer, une ancienne esclave, en Mauritanie. Le temps d’une longue soirée chez Alioune, notre guide – l’esclavage n’a été officiellement aboli en Mauritanie qu’en 1981, et n’a été reconnu comme un crime par le parlement mauritanien qu’en 2007 -. Pour des raisons que j’ignore, mais probablement parce qu’il lui était impossible d’envisager d’autre solution, cette femme était restée dans cette famille qu’elle servait jusque-là. Toujours est-il qu’elle avait visiblement un statut très différent de celui des autres femmes de la maison. Le paradoxe, c’est qu’elle fut la seule parmi les femmes à participer directement à cette soirée. Le repas terminé, - les filles et les autres femmes se sont retrouvées « parquées » dans une pièce, le nez à la fenêtre -, quand le côté festif prit le dessus, lorsque la musique a commencé, elle s’est mise à danser, seule femme, jusque assez tard dans la nuit, et visiblement, elle y a trouvé un très grand plaisir personnel ... Joli retournement !

Dictionnaire Le Robert. Volontaire : servitude Volontaire : La volonté est la faculté de vouloir, la faculté de se déterminer librement à agir ou à s’abstenir, en pleine connaissance de cause et après réflexion.
 Note : nous sommes ici dans le domaine de la réflexion, de la raison, de l’exercice de la liberté et de la responsabilité.

Première réaction de ma part : La servitude volontaire, ces deux mots se renvoient exactement l’un l’autre, ne serait-ce pas un oxymore ? Ne sont-ils pas opposés, antagonistes ? Comment imaginer que quelqu’un puisse se rendre, de son propre chef, esclave de quelqu’un : cela paraît pour le moins incongru, sauf si nous sommes dans un tel contexte, soit de contrainte, soit de tyrannie, que la personne concernée n’ait d’autre choix que d’étouffer complètement ses velléités de liberté … ?

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La Boétie poursuit : « Si deux, si trois, si quatre cèdent à un seul, c’est étrange, mais toutefois possible ; on pourrait peut-être dire avec raison : c’est faute de cœur. Mais si cent, si mille souffrent l’oppression d’un seul, dira-t-on encore qu’ils n’osent pas s’en prendre à lui, ou qu’ils ne le veulent pas, et que ce n’est pas couardise, mais plutôt mépris ou dédain ? … Quel vice monstrueux est donc celui-ci, qui ne mérite même pas le titre de couardise, qui ne trouve pas de nom assez laid, que la nature désapprouve et que la langue refuse de nommer ? »

Comment comprendre cet état de fait ?

La Boétie : « Si cela n’arrivait que dans les pays étrangers, des terres lointaines, et qu’on vînt nous le raconter, qui ne croirait ce récit purement inventé ? » p.3 « La liberté est naturelle, dit-il. Nous ne sommes pas seulement nés avec elle, mais aussi avec la passion de la défendre. »

Quels peuvent donc être les mécanismes d’un tel acquiescement ?

Max Weber nous dit ceci : « Toutes les dominations cherchent à éveiller et à entretenir … la croyance en la légitimité. »**

La Boétie : « Pour que les hommes, tant qu’ils sont des hommes, se laissent assujettir, il faut de deux choses l’une : ou qu’ils y soient contraints, ou qu’ils soient trompés… Ils perdent souvent leur liberté en étant trompés, mais ils sont moins souvent séduits par autrui qu’ils ne se trompent eux-mêmes… Il est incroyable de voir comme le peuple, dès qu’il est assujetti, tombe soudain dans un si profond oubli de sa liberté qu’il lui est impossible de se réveiller pour la reconquérir : il sert si bien, … et si volontiers, qu’on dirait à le voir qu’il n’a pas seulement perdu sa liberté, mais bien gagné sa servitude. »

La Boétie a retourné les données : c’est l’homme qui gagnerait sa servitude ! Il nous admoneste presque !

Pour l’expliquer, certains remontent à Saint Augustin au 4ème siècle lorsque celui-ci invente le péché originel : St Augustin est persuadé qu’il y a quelque chose d’essentiellement mauvais chez l’homme. En croquant la pomme, Adam a péché ; il a transgressé la loi de Dieu ... et la punition est tombée : à l’avenir, les hommes se retrouveront privés de se gouverner individuellement et collectivement. Nous voilà soumis, esclaves à jamais … Une soumission imposée, au titre du divin, …

S’agirait-il de faiblesse ? Encore aujourd’hui, n’entendons-nous pas souvent : « Oui, je le fais, mais je sais bien que je ne devrais pas… » ou, à l’inverse, « Je devrais, mais je ne le fais pas… ». Le philosophe Jon Elster parle de « faiblesse de volonté », qu’il justifie ainsi : l’être humain renonce facilement à un bénéfice important, s’il est lointain ou abstrait (ici sa liberté), au profit d’une satisfaction moins gratifiante, mais immédiate.

Pufendorf avance cet accommodement : « Les gens un peu riches et qui avaient de l’esprit engagèrent ceux qui étaient grossiers et peu accommodés à travailler pour eux, moyennant un certain salaire. Cela ayant paru commode aux uns et aux autres [...] ainsi la servitude a été établie par un libre consentement des parties, et par un contrat de faire, afin que l’on nous donne ».

Ou bien, serait-ce un choix de servilité, à l’image de ces courtisans de Louis XIV, ces nobles qui cultivaient « l’esprit de cour », avides de convoitise, à la recherche de « faveurs » ? Le baron d’Holbach désignait cette attitude comme « La production la plus curieuse que montre l’espèce humaine. » (18 ème siècle).

Se soumettre : sub-mittere, "se ranger sous", abandonner volontairement ses prérogatives. L’aliénation est ce qui frappe le peuple qui a oublié sa liberté naturelle, selon La Boétie.
La servitude correspondrait-elle à une situation arbitraire d’oppression où la loi serait remplacée par une sorte de force intérieure ? Force intérieure sujette à de fausses représentations, représentations génératrices de peur ou dominées par la passion, l’imagination, l’émotion, la tentation, l’oubli, l’erreur … ?

Ou serait-ce plus simplement du fatalisme ? « L’homme est né libre et partout il est dans les fers », dira J.J. Rousseau. « Ce discours -de la servitude volontaire- est, en quelques pages, l’histoire complète de la tyrannie ; car si les noms et les formes changent, le fond ne change point ; il se représente invariablement le même à toutes les époques, dans tous les pays » écrira de Lamennais en 1827.

Le philosophe Laurent Gerbier propose une autre entrée : il désigne la coutume comme raison principale. La servitude volontaire a existé dans tous les pays, à toutes les époques : serait-elle une sorte de constante anthropologique ?

Tocqueville observe que bien des hommes recherchent la liberté pour échapper aux inégalités que créent les rapports de dépendance ; il observe aussi qu’à peine ont-ils renversé une tyrannie, les hommes se trouvent menacés par une autre qui, cette fois, procède pour partie de leur propre consentement. L’être humain serait-il d’un naturel irrémédiablement pessimiste ?

La Boétie pense que les régimes sont fondés sur la peur, cette peur servant à dissimuler l’absence de légitimité des gouvernants. Ainsi, le peuple s’auto-soumet aux pouvoirs en place, par simple habitude, par récurrence historique ….
Plus loin : si bon que soit le naturel, il se perd s’il n’est entretenu, et l’habitude nous forme toujours à sa manière, en dépit de la nature : il n’y a pas de servitude sur terre : ce sont les hommes qui sont à la source du pouvoir qui les opprime : « C’est le peuple qui s’asservit, qui se coupe la gorge » … Ce que le tyran a « de plus, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire. ». Voilà qui donne le frisson !

La servitude peut aussi se comprendre comme moyen pour accéder à un certain pouvoir : le tyran a besoin de tyranneaux soumis. Pour exercer son emprise, l’élargir, qu’y-a-t-il de mieux qu’un système pyramidal ? Dans ce cas, la servitude volontaire réalise bien un intérêt réciproque, et c’est alors un choix, en connaissance de cause.

Le philosophe Alain tempère toutes ces visions : « Tel s’accommode d’une servitude volontaire qui ne voudrait point d’une liberté forcée. » En effet, nul ne peut nous forcer à être libre. Selon lui, des hommes s’habituent et optent pour une servitude qu’ils ont choisie ; ils refusent toute liberté qu’on leur imposerait. Et il interroge à juste titre : une liberté forcée serait-elle encore une liberté ? (Esquisses de l’homme). Voilà qui rejoint La Boétie : La servitude serait choisie ! La servitude volontaire ferait-elle partie de la nature humaine ?

Mais entre le choix de la servitude volontaire et le non choix de la liberté forcée, que reste-t-il de la liberté ?

Et l’éducation ? Obéir … Si la nature de l’homme est d’être libre ou de vouloir l’être, ne serait-ce pas aussi la puissance de l’éducation qui lui ferait prendre un autre pli ?

Aucune de ces explications ne cerne à elle seule la problématique posée ; aucune n’est satisfaisante …

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Prenons ce constat de servitude par l’autre bout : comment procèdent les tyrans ? Comment assurent-ils leur domination ? Comment se font-ils obéir ?

Nous pensons aussitôt à l’expérience de Milgram dans les années 1960 : ce professeur qui ordonne à un homme d’envoyer des décharges électriques de plus en plus fortes à un élève qui se trompe. L’élève est un acteur. Rappelez-vous les injonctions de cet expérimentateur : « Veuillez continuer s’il vous plaît. » « L’expérience exige que vous continuiez. » « Il est absolument indispensable que vous continuiez. » « Vous n’avez pas le choix, vous devez continuer. » Soumission à une autorité « officielle », sûre d’elle et … acceptée, et qui n’est en réalité qu’une fausse représentation de l’autre.

A l’inverse, que dire du syndrome de Stockholm (1978) ? Cette prise d’otages qui a généré de la sympathie, voire de l’identification d’un otage à son ravisseur, sans aucune manipulation de la part de ce dernier ? => Soumission librement consentie, construite …

La Boétie évoque une méthode qu’utilisent habituellement les tyrans : renforcer les activités de « passe-temps »  : « Le théâtre, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, les bêtes curieuses, les médailles, les tableaux et autres drogues de cette espèce étaient pour les peuples anciens les appâts de la servitude, le prix de leur liberté ravie, les outils de la tyrannie. ». Ces activités qui apportent une satisfaction immédiate et n’incitent pas à réfléchir, au point que les hommes en perdent leur capacité à raisonner, jusqu’au désir d’être libres. (Nous retrouvons là le Panem et circenses des romains : du pain et des jeux).

Fiodor Dostoïevski développe des arguments voisins : il parle de manipulation des peuples dans « la parabole du Grand Inquisiteur » : il s’agit de faire « efficacement » le bonheur du peuple, non pas d’assurer sa liberté pour qu’il s’en serve, mais au contraire de le faire avancer vers un bonheur « immédiat, superficiel », d’arriver à créer un troupeau grégaire et passif. Il est décrété que seuls quelques « pasteurs » seront jugés capables de jugements ; ce sont eux qui conduiront les foules. Pour arriver à leurs fins, ils développeront les notions de « mystère » (celui qui détient l’information détient le pouvoir), de « miracle » (le recours au divin) ou d’« autorité » (la force, le glaive). https://fr.wikipedia.org/wiki/Panem_et_circenses

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Une autre méthode consiste à diviser le peuple : La Boétie : « … si tous les sujets du tyran étaient unis, si tous se rejoignaient « contr’un », si le despote se trouvait esseulé, alors la puissance du peuple serait irrésistible … ».
Sous couvert de bienveillance, le tyran tire sa puissance des « tyranneaux », par une hiérarchie à plusieurs niveaux, composée de conspirations complices, « de sorte qu’il asservit les sujets, les uns par les moyens des autres ».

Montesquieu pense avant tout à une corruption par l’argent ou par des honneurs.

Les procédés sont multiples.

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Quelles pourraient être les réponses à la servitude ?

Ne faudrait-il pas tout simplement un état autoritaire, paternaliste à souhait, qui indiquerait le bien ?... Mais l’état est-il toujours infaillible, raisonnable ?

Faut-il combattre le tyran ? Non, dit La Boétie : « Ce tyran seul, il n’est pas besoin de le combattre, ni de l’abattre. Il est défait de lui-même, pourvu que le pays ne consente point à sa servitude ». Il ne s’agit pas de lui ôter quelque chose, mais de ne rien lui donner… Ce sont donc les peuples eux-mêmes qui se laissent, ou plutôt qui se font malmener, puisqu’ils en seraient quittes en cessant de servir. … »
« Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres. Je ne vous demande pas de le pousser, de l’ébranler, mais seulement de ne plus le soutenir, et vous le verrez, tel un grand colosse dont on a brisé la base, fondre sous son poids et se rompre. »

Une autre piste : le sens du temps. S’intéresser au passé et se soucier de l’avenir, voilà qui mène à la liberté. Le recours au passé, comme l’anticipation, sont les deux recours principaux de lutte contre la servitude. « Coupez le sens du temps chez les hommes et ils ne lutteront plus. ». Développez les jeux, une société du spectacle facile, enfermez-les dans le présent et ils ne lutteront plus. Ils seront nourris d’une satisfaction immédiate et souvent factice qui suffira à les calmer.

Un autre moyen : écrire … écrire pour se décentrer, s’interroger, produire sa propre interprétation

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Finalement, ne serait-il pas plus facile et moins risqué de vivre dans la soumission, à l’ombre d’habitudes réconfortantes. Pour mon confort quotidien, exit mon propre pouvoir et les avantages de la liberté …

Guy Arcizet, médecin en banlieue parisienne, en parle ainsi : « Il est beaucoup plus facile d’être soumis, c’est beaucoup plus facile aussi d’être complètement libre, sans penser aux limites de la liberté, c’est-à-dire l’altérité. Pour approuver, pour critiquer, pour nous opposer sans jamais être des affidés d’un pouvoir dominant, il est important que nous soyons libres. Pour être crédibles, notre parole doit être libérée … Pour être créatif et sortir de la pensée convenue …, nous devons prendre le risque de l’affrontement. C’est dans ces conditions que nous pourrons récupérer cette attitude de révolte et de résistance qui manque cruellement à nos contemporains. »

Dans le Discours de la servitude volontaire, La Boétie n’accuse personne  : il établit un constat : la servitude comporte un aspect volontaire, et il le présente en pleine lumière. Au centre de son discours : notre capacité à assumer notre propre liberté ? Mais renoncer à sa liberté, n’est-ce pas renoncer à son humanité ?

La Fontaine reprendra ce thème dans la fable du Loup et du chien.
« Attaché !, dit le loup : vous ne courrez donc pas où vous voulez ?
– Pas toujours, mais qu’importe ?
– Il importe si bien, que tous vos repas, je n’en veux d’aucune sorte, et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. »
Cela dit, maître Loup s’enfuit, et court encore.

La Boétie nous invite à la révolte contre toute domination, toute oppression, toute exploitation, toute corruption. Il prône l’affranchissement, le libre arbitre, l’autonomie du sujet, ce qui implique conscience, détermination, effort. Ne sommes-nous pas là tout près de ce qu’entend permettre le principe de laïcité ?

Serait-il le père de la désobéissance non-violente ? La soumission est dans les têtes, dit-il ; le peuple doit arrêter de se croire inférieur à son gouvernement.

Finalement La Boétie invite le tyran comme l’opprimé à se saisir du miroir pour reprendre le chemin de la liberté.
« Il y a trois sortes de tyrans, précise-t-il. Les uns règnent par l’élection du peuple, les autres par la force des armes, les derniers par succession de race… S’ils arrivent au trône par des moyens divers, leur manière de règne est toujours à peu près la même. Ceux qui sont élus par le peuple le traitent comme un taureau à dompter, les conquérants le voient comme leur proie, les successeurs comme un troupeau d’esclaves qui leur appartient par nature. »

Ne sommes-nous pas là en pleine actualité ? Devons-nous y voir nos présidents successifs, le Président russe, le roi d’Angleterre … ?

Ce « Discours de la servitude volontaire », que La Boétie n’a jamais publié lui-même, aurait-il enjambé cinq siècles ?

*Texte publié par et disponible sur : http://www.singulier.eu
** Economie et société Plon 1995

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Le débat : notes de la secrétaire du jour :

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