Trafic des opinions , réseaux sociaux (1)

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pour la réunion du 17 avril 2024, par J.Y.R.

De la toxicité des données et de leurs supports pour la démocratie

D’après « Toxic Data » de David Chavalarias

Selon Sun Tzu, dans son traité sur « L’art de la guerre », Vème siècle avant J.C., la meilleure victoire est celle obtenue sur un adversaire qui se rend sans même avoir pu combattre. Il recommande des tactiques et des stratégies usant de la ruse, de la manipulation et de l’espionnage, comme autant de moyens légitimes de dominer l’ennemi.

Le colonel Yan Couderc - Historien de l’armée de terre - déclarait, le 5 décembre 2022, sur France-Culture « qu’apparu dans nos sociétés modernes, il y a tout juste cinquante ans, le succès de Sun Tzu vient surtout du monde civil, et il n’est même pas arrivé par la Chine : il nous est arrivé par les États-Unis ». Objet d’un engouement actuel, les préceptes de Sun Tzu sont appliqués dans d’autres disciplines que la stratégie militaire : notamment le management ou encore les relations interpersonnelles.

Ces stratégies ont pour objectifs de désorienter l’adversaire et le mettre en position de défaite par la stratégie de la tromperie et de la ruse, saper son moral et sa cohésion par la stratégie de la division, décourager l’ennemi de se battre par la stratégie de la dissuasion, attendre le bon moment pour frapper et éviter de se précipiter dans la bataille par la stratégie de la patience et s’adapter aux changements de la situation et pour éviter de se laisser enfermer dans une stratégie rigide, par la stratégie de la flexibilité.

Les groupes d’influence qui manipulent les réseaux d’opinion utilisent largement ces stratégies mettant en cause la démocratie et rendant les dictatures plus stables. La manipulation est amplifiée par l’exploitation des connaissances de la psychologie moderne en particulier des biais de prise décision.

Samuel Kahneman (Psychologue, Prix Nobel d’Economie en 2002) dans son ouvrage Thinking fast and slow » 2011 propose une « Théorie de deux systèmes de pensée ».
Le Sytème 1, rapide, automatique et peu coûteux en ressources cognitives serait responsable de la plupart de notre pensée. Il est très efficace, mais très dépendant des émotions. Il est responsable de nombreux biais cognitifs, tels que le conflit, l’ancrage et la pensée par défaut.
Le Système 2, nécessite du temps pour réfléchir, utilisé pour les tâches qui nécessitent plus d’efforts tels que le calcul complexe, la prise de décisions difficiles, la mise en ordre ou en cohérence des idées etc.

Les relations ordinaires et nos pensées continues sont essentiellement gérées en mode Système 1, donnant de la facilité et de la fluidité aux échanges. La contrepartie est son exposition aux biais cognitifs. Ces biais sont des raccourcis mentaux automatiques qui peuvent nous conduire à des erreurs de jugement. Liés au mode de fonctionnement de notre cerveau, ils sont cause d’une déviation de la pensée logique et rationnelle par rapport à la réalité.

On peut décrire nombreux biais cognitifs dans de multiples domaines : Perception (illusions), Statistiques, Causalité, Relations sociales etc. JPEG

Exemples d’illusions ou d’effets de biais :
- Optique : image du damier : les lignes sont toutes parallèles
- Auditif : KRS one Youtube - « Assassins de la police ou Tha’ts the sound of da police »
https://youtube.com/watch?v=8odt6a_fzk0
- Causalité : jouer systématiquement ses numéros « porte chance » plutôt qu’au hasard (ex.date de naissance) ou le vendredi 13 parce qu’il y aura plus de joueurs et des gains plus élévés (…mais plus de perdants.
- Logique : la majorité des personnes se trompent à résoudre ce problème d’arithmétique : « Une raquette et une balle coûtent au total 110€. La raquette coute 100€ de plus que la balle. Quelle est le prix de la balle ? »

Voici quelques-uns des biais cognitifs les plus courants :
- Biais de confirmation : Tendance à rechercher des informations qui confirment nos croyances existantes et à ignorer celles qui les contredisent.
- Biais de halo : Tendance à sélectionner les informations pour confirmer la première impression, renforce le biais d’ancrage
- Biais d’ancrage : Tendance à accorder trop d’importance à la première information reçue, ce qui peut influencer nos décisions ultérieures.
- Les biais de groupe : tendance à favoriser les membres de son propre groupe par rapport aux membres d’autres groupes
- Les biais d’affectivité : tendance à être influencé par ses émotions lors de la prise de décision.
- Les biais de négativité  : les choses négatives ont un effet plus important sur l’état et les processus psychologiques que les choses neutres ou positives.
- Biais de disponibilité : Tendance à surestimer la probabilité d’événements qui nous viennent facilement à l’esprit
-  Biais d’auto complaisance  : Tendance à se voir de manière plus positive que la réalité, et à attribuer nos réussites à nos propres compétences et nos échecs à des facteurs externes.
Etc.

Ruse, biais cognitifs et manipulations des consciences :

Les biais cognitifs sont largement exploités pour séduire ou tromper les clients ou ceux vers qui ils sont utilisés : la publicité pour faire passer plus facilement les messages, les sociétés de jeux de hasard qui profitent des biais liés à la méconnaissance des lois statistiques, les médias pour attirer l’attention et rendre important ce qui ne l’est pas nécessairement, la politique pour accroître l’efficacité des discours.

Les manipulations des consciences, Panem et circenses :

En 1995, Brzezinski, ex-conseiller de Jimmy Carter membre de la commission trilatérale, lors du premier « State Of The World Forum » proposa le terme Tittytainment, un terme désignant un mélange d’aliment physique et psychologique qui endormirait les masses et contrôlerait sa frustration et ses protestations prévisibles, cocktail de divertissement abrutissant et de satisfaction suffisante des besoins primaires pour inhiber la critique politique chez les 80% de laissés-pour-compte du libéralisme et du mondialisme estimant que seulement 20% de la population serait nécessaires pour faire tourner l’économie.
En 2004, Patrick Lelay, ex-patron de TF1 déclarait « Nos émissions ont pour vocation de rendre le cerveau disponible : de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages (publicitaires). /…nous vendons à Coca-Cola, du temps de cerveau humain disponible.

Propagande ou publicité : mêmes méthodes
Empiriquement la propagande ou la publicité ont toujours utilisé des méthodes basées sur la tromperie, le doute, la division en s’appuyant sur les émotions : la peur, l’espoir de bénéfices immédiats, la conformité au plus grand nombre ou l’individualisme.

Scientifiquement, les travaux en psychologie, neurosciences, sociologie, etc. permettent d’optimiser l’efficacité et l’efficience de ces méthodes.

Technologiquement, l’internet, les réseaux sociaux, la production de BigData, l’intelligence artificielle en démultiplient l’efficacité et permettent la détection des émotions et l’analyse prédictive des comportements.

La guerre cognitive est devenue possible met à mal le libre arbitre lui-même et sape les bases de la démocratie.
Cette guerre cognitive est déjà là. Pour Asmah Mhalla1 , les technologies de l’hypervitesse, omniprésentes dans notre vie quotidienne, transforment chaque individu en soldat, à son insu ou non.

Cette transformation s’opère à travers une multitude de canaux, brouillant les frontières entre le civil et le militaire et créant un nouveau champ de bataille : le cerveau humain.
Dans la deuxième partie, à travers quelques exemples on essaiera d’illustrer la situation actuelle de l’exploitation rationnelle et industrielle des faiblesses cognitives, par les réseaux sociaux et les médias. On essaiera de voir comment ça fonctionne et à qui cela profite ?

1 Asmah Mhalla : Technopolitique, Comment la technologie fait de nous des soldats - Le Seuil fév.2024

Partie 2 le 15 mai 17 h 15, à la Maison des Associations

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