Robert Lazennec parle de Jean Cornec lors du centenaire de sa naissance.
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"Dans un entretien avec un journaliste, en 1983, Jean Cornec répondait ainsi à une question qui lui était posée. Cette question était la suivante :
« La laïcité ne doit-elle pas être repensée dans la mesure où elle semble encore synonyme d’antireligion et où l’Eglise a désormais elle aussi ses laïques ? » le mot "laïques" étant écrit : l.a.i.q.u.e.s
Et la réponse de Jean Cornec fût celle-ci :
« La laïcité n’est pas, n’a jamais été, ne peut pas être d’antireligion, même si un cléricalisme exacerbé a pu, dans le passé, entraîner par réaction une confusion entre un anticléricalisme nécessaire et une antireligion regrettable.
La laïcité n’a pas à être repensée. Elle n’a pas une ride. Et l’humanité ne survivra qu’en respectant et en appliquant les principes qu’elle pose ».
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« Elle n’a pas une ride ». C’est sur ce point que je voudrais revenir.
L’histoire, notre passé national, mais aussi les évènements du monde contemporain nous apprennent combien il est difficile de bien vivre ensemble et combien les conflits religieux ou politico-religieux ont été ou sont encore source de violences.
Une des questions qui se pose à nous est toujours la suivante : comment parvenir à vivre ensemble en paix tout en respectant nos différences, notamment spirituelles ? et par différences spirituelles j’entends bien évidemment la spiritualité à dimension religieuse qui occupe une grande place de la spiritualité, mais aussi, car la vie de l’esprit s’y trouve, l’humanisme athée et l’humanisme agnostique, autres figures de la vie spirituelle.
Et bien la laïcité, l’idéal laïque, donne une réponse à cette question du vivre ensemble ; sa finalité c’est bien de faire en sorte que l’on vive mieux ensemble.
Comment ?
La laïcité ne fonde pas le vivre ensemble par une religion, une coutume ou une tradition, mais par des principes de droit qui assurent à la fois la liberté et l’égalité et permettent à chacun de vivre librement ses options spirituelles.
La laïcité c’est la volonté de construire un espace commun, un espace qui rend possible la coexistence des libertés. Et cet espace commun a pour valeurs fondatrices la liberté de conscience pour tous, l’égalité quelles que soient les options spirituelles choisies, et des lois ayant pour visée l’intérêt général. La laïcité c’est cette volonté de créer une communauté de droit sur ces bases là.
Et pour que chacun puisse se reconnaître, se retrouver dans cet espace commun, la laïcité consiste à affranchir l’ensemble de la sphère publique de toute emprise exercée au nom de la religion ou d’une idéologie particulière. Il y a donc séparation Eglise - Etat, ce qui préserve l’espace public de tout morcellement communautariste ou pluriconfessionnel. L’Etat est neutre et cette neutralité confessionnelle est le signe tangible de l’unité du peuple, du laos, et la garantie de l’impartialité de l’Etat. Avec la laïcité il n’appartient pas à la puissance publique de fixer une norme en matière d’accomplissement éthique et spirituel.
C’est ce qu’a apporté la loi de 1905 avec ses deux principes indissociables placés tous deux en tête de la loi :
1 La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.
2 la République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte.
J’insiste sur l’idée de deux principes indissociables, selon la volonté du législateur, car on a tendance aujourd’hui parfois à mettre en avant la seule liberté de conscience en gommant le second principe, celui de la séparation Eglise - Etat, c’est-à-dire en fait en mutilant ce qu’est la laïcité.
Mais il y a encore quelque de plus chose dans la laïcité et je reviens ici à la famille Cornec , tant du côté des grands parents d’Alain, instituteurs dévoués et novateurs évoqués ce matin, que de son père ardent défenseur de l’école laïque.
Je veux évoquer maintenant l’école laïque, institution organique de la République, sans laquelle il ne peut y avoir de laïcité.
L’école laïque, l’école de tous les enfants, école pour laquelle il n’y a ni étranger, ni personne inférieure du fait de son origine ou de sa conviction spirituelle. Une école accueillante à tous qui permet aux enfants de tous milieux, aux enfants différents de se connaître ; là peut s’apprendre le respect de l’autre dans sa différence, là peut s’effectuer l’apprentissage du vivre ensemble. Avec deux buts principaux donnés à cette école :
1/ Le premier but c’est de promouvoir l’instruction pour tous sans tabous ni restrictions
L’école laïque ne fixe aucune limite au travail de la pensée
Henri Pena Ruiz
« Le travail de la connaissance rationnelle s’y enseigne dans toutes les versions connues du patrimoine de l’humanité, de telle façon que soit promue et cultivée la liberté du jugement. Rejetant toute censure à l’égard de tel ou tel domaine du savoir (biologie, histoire, philosophie) l’école laïque lève toute limite au travail de la pensée. Aucun savoir, aucun auteur, aucune démarche intellectuelle, ne peut y faire l’objet d’une occultation, ni être soustrait au libre examen de la raison »
Le but est donc de préparer les élèves à forger leur jugement autonome afin qu’ils puissent évaluer les faits par eux-mêmes. Il faut pour cela développer l’esprit critique ; la voie laïque est donc le souci de l’émancipation personnelle, c’est l’éveil de conscience affranchie des préjugés de l’heure. C’est un mouvement émancipateur de la liberté qui lève les obstacles empêchant de penser par soi- même.
Cette école est neutre évidemment, elle se refuse à privilégier une des options spirituelles présentes dans la société, elle se refuse bien évidemment à tout conditionnement.
Avec l’école laïque on passe ainsi de la liberté de conscience à la notion de conscience libre car celui qui est instruit peut choisir de façon éclairée.
2/ le second but assigné à l’école laïque est de former le futur ; car on ne s’improvise pas citoyen
Bernard Stasi
« Ces valeurs qui doivent nous unir ce sont celles que l’on apprend à l’école. Et c’est en cela que l’école est un espace spécifique qui accueille des enfants et des adolescents auxquels elle doit donner les outils intellectuels leur permettant , quelles que soient leurs origines , leurs convictions ou celles de leurs parents, de devenir des citoyens éclairés, apprenant à partager, au-delà de toutes leurs différences, les valeurs de notre République »
Conclusion
« Etonnante laïcité si jeune encore » écrivait le sénateur Delfau en 2005 :
« Etonnante laïcité, si méconnue, si pleine de promesses, si jeune encore, un siècle à peine… Elle a survécu à toutes les caricatures, et elles sont féroces. Elle semble s’échapper des mots usuels et des formules toutes faites : principes conceptions, règles de conduite, mode d’organisation des pouvoirs. Elle est tout cela à la fois. Mais aussi une culture, une façon d’être à soi et aux autres, un projet de vie.
Elle est, surtout, ce dont notre terre a le plus besoin : le garant de la paix civile au sein des nations et entre les peuples. Elle est ce qui nous protège de la Saint Barthélémy, de l’Holocauste et du Goulag. Elle est notre recours contre toutes les « guerres saintes », ce fléau de l’humanité »
(Du principe de laïcité un combat pour la République »)
Les adversaires de la laïcité ont souvent indiqué que la laïcité était une découverte née dans un contexte bien particulier et nullement transférable ailleurs.
Je pense au contraire que la laïcité garde une dimension universelle.
Le philosophe de la laïcité Henri Pena Ruiz l’a rappelé sous la forme suivante
« Dans un monde où l’on voit resurgir les fanatismes politico-religieux, où l’on voit se multiplier les replis identitaires , où les gains de productivité servent le plus souvent au creusement des fossés qui séparent les hommes quant à leur condition d’existence, je crois que la laïcité peut permettre le bien vivre ensemble, parce qu’elle met d’abord en avant le fait que l’on est homme, qu’il y a une unité de l’humanité ; quelles que soient nos options spirituelles nous provenons de la même source. La laïcité, c’est la conviction que l’humanité est une avant de se partager entre croyants agnostiques et athées.
C’est un idéal qui peut permettre aux hommes de participer à un monde commun, qu’ils soient athées agnostiques ou croyants, un idéal qui peut donner du sens à la vie des hommes, un idéal qui concilie unité et diversité de l’humanité. Idéal qui dit que l’on n’est pas condamné à être prisonnier de ses différences.
En choisissant la laïcité, on ne choisit pas l’hostilité à une religion ou l’hostilité à l’athéisme ; on choisit un monde commun à tous les citoyens par-delà leurs différences, un monde qui permet effectivement à tous les hommes, à tous les êtres humains de vivre ensemble, parce qu’ils savent reconnaître cette unité première de l’humanité qui dit que nous sommes hommes avant d’être croyants de telle religion ou tenant de telle conviction spirituelle »
Mon dernier mot sera pour Jean Cornec
Je reviens à son interview de 1983 évoqué au début de mon propos :
« La laïcité n’a pas à être repensée. Elle n’a pas une ride. Et l’humanité ne survivra qu’en respectant et en appliquant les principes qu’elle pose »."
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