La liberté religieuse, jusqu’où ?

, par  hdeb , popularité : 4%

D’abord il faut parler d’Adell Sherbert dont le nom va devenir célèbre. En 1963, elle était ouvrière dans une usine textile en Caroline du Sud. Son employeur avait décidé de répartir son temps de travail sur 6 jours au lieu de 5, samedi compris. Mais étant membre de l’église « adventiste du 7ème jour », le travail le samedi lui était interdit. Ce qui lui a fait perdre son emploi. Comme elle n’avait pu en trouver d’autre pour la même raison, elle avait demandé à bénéficier de l’assurance chômage, ce qui lui avait été refusé.

La Cour Suprême a donné tort à l’Etat de Caroline du Sud [1]
car ce refus était une atteinte à la liberté religieuse. De plus la Cour énonçait des règles transposables à d’autres cas similaires :

- Le plaignant a une réclamation concernant une conviction religieuse sincère, et
- l’action du gouvernement constitue une oppression à l’encontre du plaignant et de sa capacité d’agir selon cette conviction.

Si ces deux éléments sont réunis alors le gouvernement doit prouver que :

- il agit en raison d’intérêts impérieux pour l’état, et
- il pourvoit à ces intérêts de la manière la moins restrictive pour la religion.

Ces conditions seront connues sous le nom de «  Sherbert Test ».

En 1972, des Amish du Wisconsin sont poursuivis pour avoir retiré de l’école leurs garçons âgés de 14 ans alors que la limite de la scolarité légale obligatoire est fixée à 16 ans. Ils se défendent en disant que ce serait contraire à leur foi, qu’ils seraient l’objet de la condamnation de leur communauté religieuse et surtout qu’ils mettraient en péril leur salut et celui de leurs enfants. Ils veulent vivre comme les premiers chrétiens, proche de la nature et de la terre. Condamnés à 5$ d’amende chacun, ils appliquent le principe de « tendre l’autre joue », mais un pasteur luthérien prend leur défense et mène leur combat jusqu’à la Cour Suprême.

Appliquant les principes énoncés plus haut, et sans tenir compte de l’intérêt des enfants, elle juge
 [2]
que l’Etat du Wisconsin a violé leur droit fondamental à la liberté religieuse alors qu’ils les préparent correctement pour vivre au sein de leurs communautés rurales.

Mais peut-on rouler au dessus de la vitesse limite parce qu’on appartient à l’église de « Jésus-roule à-160 kilomètres-heures » selon les propos d’un juge ? Durant les années 1980, la Cour Suprême, en donnant de moins en moins d’importance au « Sherbert Test », rend de plus en plus d’arrêts favorables aux états en se fondant sur l’argument que la loi contestée s’applique de manière générale et à tous les citoyens.

En 1990, dans l’Oregon, deux membres de l’église des Indiens d’Amérique sont licenciés par leur employeur, une clinique spécialisée dans les soins aux drogués, pour avoir absorbé un puissant hallucinogène, du « peyote ». Ils soutiennent que cette drogue a été consommée au cours d’une cérémonie religieuse. La possession de cette drogue étant un crime dans cet Etat, on leur refuse les allocations chômage. En première instance, le juge leur donne tort car le motif de licenciement était un mauvais comportement au travail. En appel, la cour casse le jugement en observant que le refus de leur donner accès à l’assurance chômage est une restriction à leur liberté religieuse et en particulier d’user du « peyote ». La Cour Suprême de l’Oregon confirme que l’Etat ne peut violer la liberté religieuse au nom du fait qu’il doit préserver l’intégrité financière de son système de protection sociale. Après avoir hésité, elle décide que la loi qui punit la détention de cette drogue constitue une oppression contre la liberté religieuse et le refus des allocations chômage est une atteinte à cette liberté. Mais la Cour Suprême des Etats-Unis a jugé l’inverse [3]
. Elle reconnaît que dans la pratique religieuse on peut absorber du vin ou du pain ou encore adorer le « veau d’or » sans que l’état n’ait à y interférer. Mais dans ce cas les 2 plaignants usent de l’argument de la liberté religieuse pour échapper à une loi de portée générale qui prohibe la possession de drogue. Aller dans ce sens serait permettre que les religions aient des lois supérieures à celles des états, et donner des excuses pour ne pas respecter les lois. Que restera-t-il des lois sur la polygamie, le travail des enfants, le service militaire, le paiement des cotisations de sécurité sociale ? La Cour leur reproche principalement d’avoir voulu faire la loi eux-mêmes alors que d’autres états ont intégré à leur législation des exemptions pour les pratiques religieuses indiennes. La Cour reconnait qu’en jugeant ainsi, elle peut désavantager des religions minoritaires mais qu’elle est préfère cela à l’anarchie.

Pour les plus religieux, la Cour Suprême a franchi une ligne rouge, et cette limitation de la liberté religieuse est inacceptable.

Au Congrès, la réaction est très rapide : le président Clinton signe en 1993 la loi dite de «  Restauration de la liberté religieuse » [4]
qui permet de revenir au système antérieur du « Sherbert Test » plus favorable aux religions. Pour ce faire, la loi s’appuie sur le 14ème amendement qui stipule que «  aucun État ne fera ou n’appliquera de lois qui restreindraient les privilèges ou les immunités des citoyens des États-Unis (…) ni ne refusera une égale protection des lois à quiconque relève de sa juridiction. »

C’est donc sous ce régime que se juge une affaire de permis de construire. La raison voudrait que l’égalité devant les règles d’urbanisme s’impose à tous. Sauf lorsqu’il s’agit de religion.

En 1997, la ville de Boerne, au Texas, a refusé d’autoriser l’église catholique saint Peter à agrandir son bâtiment situé dans une zone de protection des monuments historiques. L’évêché explique que l’église ne permet d’accueillir que 230 personnes et qu’il faut louer un gymnase pour réunir plus de 1 000 familles au service du dimanche. La ville répond qu’elle ne pourra pas imposer les contraintes architecturales aux autres propriétaires de bâtiments si l’église elle-même s’y soustrait. L’église poursuit la ville, mais pas en contestant la règle d’urbanisme : elle affirme qu’elle interfère avec la pratique religieuse et limite cette liberté.

Une cour fédérale locale juge la loi de « Restauration de la liberté religieuse » inconstitutionnelle car le Congrès a détourné le 14ème amendement pour augmenter ses pouvoirs au delà des limites fixées par la Constitution pour contester une décision qui ressortait du pouvoir judiciaire.

Le cas arrive donc devant la Cour Suprême en 1997. Du côté de la ville de Boerne on compte 16 états et des groupes de défenseurs de monuments historiques, du côté de l’église, au monde des religions se sont joints l’administration Clinton, des membres démocrates et républicains du Congrès, des organisations de défenseurs des droits civils et 5 états dont New York et la Californie.

La réponse de la Cour Suprême est cinglante [5] : la loi de « Restauration de la liberté religieuse » viole les principes de séparation des pouvoirs puisqu’elle permet au pouvoir législatif de remettre en cause les décisions du pouvoir judiciaire. Elle remet en cause aussi les principes du fédéralisme qui séparent les pouvoirs entre le niveau fédéral et ceux des Etats. Donc la loi de « Restauration de la liberté religieuse » ne peut pas s’appliquer au niveau des Etats. Avec cette affaire qui permet à la Cour Suprême des Etats-Unis de restaurer toute son autorité de pouvoir judiciaire, la ville de Boerne a gagné et l’église ne sera pas agrandie.

- Tout en nuances, le sénateur de l’Ohio a déclaré « une fois encore la Cour a rejeté la religion aux marges de la société ».
- L’avocate de la ville a dit : « le Congrès ne peut pas modifier la Constitution unilatéralement ».
- La ville de Boerne, elle, a proposé un compromis : l’église pourra recevoir 850 sièges mais il faudra conserver 80% du bâtiment.

Mais est-ce un retour à la limitation de la liberté religieuse lorsqu’elle conduit à enfreindre une loi de portée générale applicable à tous ?

Connaissez-vous cette église « Centro Espírita Beneficente União do Vegetal » ? Elle distribue une drogue utilisée par les indiens d’Amazonie, l’Ayahuasca. Le fondateur, "maître" Gabriel, a prétendu qu’ayant eu des visions après en avoir consommé, il a décidé de recréer une religion ancienne apparue mille ans avant notre ère et tombée dans l’oubli. Cette église brésilienne, l’UDV, s’est trouvé des adeptes aux Etats-Unis. La drogue a des effets psychotropes très rapides et intenses avec impression de mort imminente. Elle a fait l’objet de peu de recherches médicales. Elle est classée comme l’héroïne ou l’ecstasy. Sa possession est punie par la loi. Les Douanes américaines saisissent régulièrement les cargaisons envoyées aux adeptes de l’UDV. Ceux-ci ont donc porté l’affaire devant la Cour Suprême des Etats-Unis puisque c’est un service fédéral qui saisit de la drogue. Or si la Cour Suprême a bloqué la loi de « Restauration de la liberté religieuse » au niveau des Etats, elle reste en vigueur au niveau fédéral. Et la Cour Suprême [6] de constater en appliquant le « Sherbert test » que bien que cette substance soit inscrite sur la liste des Nations Unies des substances psychotropes, le gouvernement ne justifie pas du caractère international obligatoire d’une interdiction qui conduit à empêcher des citoyens de pratiquer leur religion. Il ne justifie pas non plus du caractère dangereux de sa consommation que l’UDV prétend sans danger. En conséquence, et dans l’attente d’une réponse du gouvernement qui tarde depuis 2006, l’Ayahuasca de l’UDV entre librement aux Etats-Unis au nom de la liberté de religion !

Au niveau local c’est à chaque état de définir sa propre politique dans l’application des lois de portée générale en élaborant ou non des exemptions pour respecter la liberté religieuse. Tandis qu’au niveau fédéral, ce sont les critères du « Sherbert Test » qui permettent de résoudre le conflit entre intérêt général et liberté religieuse.

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