Racisme et racismes : la conférence 2021

, popularité : 4%

Nos initiatives habituelles pour célébrer de la loi de 1905 n’avaient pu être développées en 2020, à cause de la pandémie. Cette année, même si elles ont été jusqu’au bout tributaires des décisions préfectorales et des arrêtés municipaux, elles ont pu être reconduites. Certes, les conditions étaient particulières ...

JPEG

Le thème : dans le droit fil de nos travaux ordinaires, et pour l’avoir maintes fois rencontrée, nous souhaitions approfondir la notion de racisme. Pourquoi ?

Depuis des décennies, nous pensions que pour désigner des femmes ou des hommes, le mot « race » avait été écarté de notre vocabulaire, qu’il était réservé aux animaux. Et le voilà qui resurgit sous d’autres formes : nous entendons parler de « racisation », de personnes racées, de personnes racisées ou racialisées, de « rapports sociaux de race » … Notre Constitution se voit même désignée par certains comme une institution raciste systémique ; des antiracistes sont désignés comme racistes, ou c’est l’inverse, … Voilà qui méritait que nous retournions voir d’où vient ce mot, ce qu’il signifie, ce qu’il porte, que ce mot soit au singulier ou au pluriel.

Nous avons organisé cette conférence à la MJC Le Sterenn, à Trégunc, le mercredi 8 décembre 2020 à 20H 30. C’est monsieur Joël Bossard, un juriste, qui s’est saisi du sujet.

Il a intitulé son propos : « Racisme et racismes, de Valladolid à aujourd’hui »
Racismes d’antan et racismes d’aujourd’hui : comment ont-ils été justifiés ? Comment le sont-ils aujourd’hui ? Que deviennent alors ces fondements de la citoyenneté que sont l’égalité et l’universalité ?

« Aborder ce sujet c’est prendre un risque que les préjugés et l’émotion s’invitent au débat et que la raison soit parfois le parent pauvre… ». Après cet avertissement, le conférencier nous a fait voyager dans l’histoire. Il nous a d’ailleurs surpris en commençant par la Genèse et « la malédiction de Canaan ».

JPEG L’Ivresse de Noé par Giovanni Bellini, Besançon.

Extraits :

Genèse et « malédiction de Canaan » : ce récit « a connu diverses exégèses, lesquelles ont eu des répercussions historiques, donnant naissance au mythe de la race hamite et offrant à leurs auteurs une caution religieuse à la dépréciation des peuples d’Afrique noire et à leur réduction en esclavage. »

« Pendant les XVIIIe et XIXe siècles, les traces historiques de ce mythe deviennent plus persistantes, au fur et à mesure que la traite des noirs par les occidentaux se développe et qu’elle devient un phénomène de société polémique.

Au XXIe siècle, cette lecture littérale est devenue minoritaire, mais persiste parmi les juifs orthodoxes et certains musulmans ou chrétiens qui considèrent toujours le récit de la Genèse comme véridique. »

Pourtant, dès 873, le pape Jean VIII avait demandé l’affranchissement de l’esclavage. Il sera suivi par Thomas d’Aquin au XIIIe siècle, puis par le pape Eugène IV en 1435.
« Faut-il voir là l’impact du nouveau testament tournant le dos à l’ancien ?

Tout change, à partir de 1441, lorsque les Portugais mènent leurs expéditions maritimes et militaires le long des côtes d’Afrique et capturent les premiers esclaves. »
Même si dès 1526, Charles Quint avait déjà pris un décret interdisant l’esclavage des Indiens, même si le pape Paul III suivait cette position (bulle Sublimis Deus et lettre Veritas ipsa), la controverse de Valladolid (1550 – 1551) verra le dominicain Bartolomé de Las Casas et le théologien Juan Ginés de Sepúlveda s’affronter : de quelle manière devaient se faire les conquêtes dans le Nouveau Monde ?

« Alors pourquoi tout cela en 1550 ? Tout simplement parce que « l’Espagne avait un devoir moral à diriger, par la force si nécessaire, des populations locales qu’elle voyait immatures, dépourvues de sens moral » ; c’est l’argument de la malédiction de Canaan évoquée indirectement par Sépulvéda. L’Espagne impériale s’érigeait en gendarme du monde. »

« Las Casas a sauvé les indiens, mais l’Histoire a retenu qu’il serait à l’origine de la généralisation de la traite des Noirs vers l’Amérique : empêchés d’employer les Indiens comme travailleurs forcés, les Espagnols auraient noué des contacts avec des négriers pour acquérir des esclaves noirs. »

« Le catholicisme qui s’est éloigné de l’ancien testament s’est totalement englué dans sa position contradictoire anti esclavagiste qui l’oppose aux intérêts coloniaux de la bourgeoisie coloniale.

Alors, renaît, au XVII ème siècle en Europe, l’utilisation par le protestantisme de la Malédiction de Canaan comme justification de l’infériorité des peuples noirs et de la licéité de l’esclavage portée par les milieux protestants de Hollande. »

« Au milieu du XIXe siècle, les partisans de l’esclavage, tels que John Fletcher en Louisiane, ou Nathan Lord, président du collège de Dartmouth, enseignaient que le péché qui a provoqué la malédiction prononcée par Noé était un mariage interracial. Ils laissaient entendre que Caïn avait été également affligé d’une peau noire pour avoir tué son frère Abel, et que Cham avait péché en contractant un mariage interdit avec quelqu’un de la race de Caïn.

Le racisme était bien là … pourtant le mot ne fut jamais prononcé jusqu’alors !! »
« Les deux mots « racisme » et « raciste » font leur entrée pour la première fois dans le dictionnaire français Larousse en 1932. Ceci démontre donc que le racisme n’a pas besoin du mot pour exister … et que le supprimer de nos textes institutionnels ne supprimerait pas le comportement. »

Le conférencier a ensuite développé les doctrines justificatrices du racisme : le mythe du sang pur, la description puis la classification établissant une hiérarchie des races humaines : la naissance du racialisme et du racisme, jusqu’au néo racisme développé aujourd’hui.

« La détermination des fins de l’action antiraciste se heurte à un dilemme fondamental, qu’on peut formuler de la façon suivante :

1) Nous devons agir en vue de rendre possible l’unification de l’humanité, et de faire respecter également tout individu, quelle que soit son origine !!! MAIS cette action en vue de réaliser l’« unité » de l’espèce humaine, par les échanges et les mélanges, ne peut échapper au risque de favoriser l’« uniformisation » de l’humanité (comme le dénonce Lévi-Strauss), bref, de contribuer à « l’indifférenciation planétaire », sur la base d’une totale éradication des identités collectives. Telle est la visée « universaliste », ou unitariste.

2) Mais nous devons aussi agir en vue de « préserver la diversité culturelle » de l’espèce humaine, et de la faire respecter, ce, au risque de mettre en avant les différences ou les identités collectives, et, bien sûr, d’y enfermer les individus de façon contraignante – dérive autoritaire, voire raciste, du principe « différentialiste ». Telle est la visée différentialiste, ou pluraliste, avec son équivocité. Elle revient à privilégier les valeurs incarnées, c’est à dire toutes les formes du lien communautaire.

Le dilemme vient du heurt entre ces deux obligations morales contradictoires, fondées respectivement sur deux principes pratiques distincts : le principe « déontologique » et le principe « conséquentialiste ».

Le principe déontologique exige que l’on ne fasse jamais certaines choses à autrui (lui mentir, ne pas respecter son identité culturelle, etc.), quelles qu’en puissent être les conséquences, même s’il doit en résulter globalement un moindre bien ou un plus grand mal.
Le principe « conséquentialiste » exige que l’on fasse ce qui produira globalement le plus grand bien, eu égard à tous ceux qui sont affectés par cette action. »

Ont été ensuite évoqués : Saskia Sassen (1991), Van Kempen (2002), Joseph Bottum (2014), le workisme, l’intersectionnalité, le passage d’une ethnicisation à une racisation, le décolonialisme …

JPEG Sous les masques, à gauche de la tribune

Lors du débat qui a suivi fut aussitôt reprise « la malédiction de Canaan », par l’auteur d’un livre récent sur le racisme, racisme qu’il a subi lui-même au cours de son parcours de vie, en politique en particulier ...

(Autres interventions : extraits)

Le racisme n’est pas chrétien ou non chrétien : il s’agit d’un phénomène mondial de rejet de l’autre, un rejet souvent fondé sur la peur ...

Le racisme peut aussi être appréhendé comme forme de pouvoir, ou comme moyen économique …

Pourquoi l’universalisme est-il tant rejeté par certains aujourd’hui ? On ne parle plus le même langage !!! Alors, comment faire société ensemble ? …

Il n’y a plus de débats, de mise en commun ; juste des condamnations successives. Les droits de l’Homme sont oubliés par nos responsables …

Et si nous nous référions au citoyen lorsque nous débattons ? Les identités de toutes sortes ne font que cliver la société. La réponse n’est-elle pas dans l’éducation du futur citoyen ? …

Jules Ferry est évoqué dans le contexte de la colonisation … A l’époque, son intention première n’était-elle pas de partager des avancées sociales ? …

Le système scolaire n’a-t-il pas failli ? En particulier dans la formation à écouter l’autre, à être capable de débattre sans exclure, à obéir en connaissance de cause ? Voyez toutes ces rancœurs qui sont aujourd’hui exprimées ...

Il est important de comprendre, puis d’accepter la différence de l’autre, et pour ce faire, de mettre en commun des mots …

Toute société possède un passé, un présent, un avenir. Chaque domaine : culturel, économique, sociétal, historique, … participe à notre projection pour une vie future. Il est important de rechercher ce qui nous est commun à tous pour agir, choisir en citoyen. C’est aussi ce que sous-tend le principe de laïcité.

JPEG

https://www.traditionrolex.com/21
https://www.traditionrolex.com/21
https://www.traditionrolex.com/21