Genèse de la liberté de conscience : Giordano BRUNO

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Pour la réunion du 27 février 2019, par P.B.

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Nous sommes au 16ème siècle, en Italie.

Giordano (Phillipo) Bruno, naît en janvier 1548 à Nola, près de Naples. Il mourra le 17 février 1600 à Rome, rattrapé par l’Inquisition, sous la papauté de Clément VIII.

Le contexte : Copernic vient de décéder 1543 ; Galilée nait en 1564, Kepler en 1561, Newton un siècle plus tard, en 1642. Luther vient aussi de disparaître en 1546. L’imprimerie est apparue un siècle plus tôt en 1450.

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Giordano Bruno est connu pour sa fin terrible :

Gaspard Scioppius (Schopp) décrit cette fin de vie dans une lettre adressée à Rittershusius, le recteur de l’université d’Altdorf en Allemagne (une description que l’on retrouve en annexe du livre Machiavellizatio publié en 1621 et traduite ci-dessous).

Après 8 ans de prison et d’interrogatoires, le 17 février 1600, Giordano Bruno est torturé une dernière fois dans l’espoir d’une ultime abjuration de ses « crimes », puis mis à nu et brûlé vif sur le bûcher érigé sur la place du Campo Dei Fiori (champ de fleurs), ses bourreaux ayant pris bien soin au préalable de lui arracher la langue – ou de la lui clouer sur une planchette ou de le bâillonner, selon les sources - pour l’empêcher de proférer des dernières « paroles affreuses ».

Comment en est-il arrivé là ?

Giordano Bruno a beaucoup voyagé. Séjournant dans la région de Wittenberg, la ville de Luther, il s’opposa à la hiérarchie protestante et fut excommunié en 1589. Départ pour Frankfort, Zurich, retour à Frankfort. Finalement il accepte l’invitation de Giovani Mocenigo, un jeune et riche seigneur de Venise - le doge était « tolérant »  -, qui souhaitait recevoir son enseignement en mnémotechnie, l’art de la mémoire, et en art d’inventer (Bruno se rapprochait ainsi de la chaire de mathématiques de l’université de Padoue qu’il convoitait. C’est Galilée qui l’obtiendra).

Au bout de quelques mois, Mocenigo a trouvé qu’il progressait bien peu en mnémotechnie. Dans le même temps, Bruno a souhaité se rendre en Allemagne pour faire imprimer un livre. Résultat : Mocenigo le retient, le séquestre, et bien vite, avec tout ce qu’il disait avoir entendu en sa présence, il le dénonce à l’inquisition vénitienne le 23 mai 1592 comme hérétique … Bruno condamnait les messes, ne croyait ni à la transsubstantiation, ni à la virginité de Marie (la transsubstantiation étant la conversion du pain et du vin en corps et sang du Christ lors de l’Eucharistie, ceci par l’intermédiaire du Saint Esprit), il se moquait ouvertement des miracles de Jésus,… et en plus, il considérait l’univers comme infini … Pas même le soleil n’est « au centre du monde », comme l’affirmait Copernic : l’univers est infini, déclare Bruno. "Il n’y a aucun astre au milieu de l’univers, parce que celui-ci s’étend également dans toutes ses directions". « Il est donc d’innombrables soleils et un nombre infini de terres tournant autour de ces soleils, à l’instar des sept « terres » que nous voyons tourner autour du Soleil qui nous est proche. » (la Terre, la Lune, les cinq planètes alors connues : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter, Saturne) , L’Infini, l’Univers et les Mondes. 1584 Bruno dépasse là ses contemporains Kepler et Galilée. Révolue l’idée de sphère céleste, le monde est désormais sans clôture !

Mais penser l’infini, c’était rivaliser avec Dieu, seule entité véritablement porteuse d’une infinie perfection. Bruno est donc dénoncé par son hôte, arrêté et jeté en prison.

Un procès est instruit à Venise. Les documents originaux furent demandés par Napoléon, mais perdus après leur transport à Paris. Un résumé fut retrouvé en 1940 dans les archives personnelles du pape Pie IX.

Une simple description en 1621, un résumé retrouvé seulement en 1940, voilà qui allait entretenir les doutes : Théophile Desdouits, journaliste et professeur de philosophie du XIXe siècle, a contesté la description de Gaspard Scioppius. Il a même émis l’hypothèse que Giordano Bruno aurait pu n’être exécuté qu’en effigie (contesté aussi par l’abbé Coeur, Bayle, Hayn, Le Quadrio...). Arkan Simaan, historien des sciences (AFIS association française pour l’information scientifique), rétablira les faits à partir de documents officiels datant de février 1600.

Lors du procès, s’attachant à séparer le côté scientifique des questions de foi, Bruno est quasiment acquitté par le tribunal. Comme l’usage le voulait, Venise avise Rome qui exige son extradition dans la ville sainte pour qu’il y soit à nouveau jugé par le Tribunal du Saint-Office. Il y arrive en février 1593 et le voilà dans les geôles pontificales pour des années.

Entre pressions et torture, Bruno décidera, lors de la solennelle cérémonie expiatoire du 21 décembre 1599, de ne pas se repentir : « Je ne veux pas me repentir. Je n’ai pas à me repentir. Il n’y a pas de matière sur laquelle me repentir et j’ignore sur quoi je dois me repentir ». Son sort était alors scellé.

Son parcours (court résumé)

Son père est un « homme d’armes » dans l’armée du vice-roi d’Espagne (le royaume de Naples est alors sous souveraineté espagnole). Sa mère possède quelques terres. Bruno reçoit une instruction humaniste à l’école de Nola ; il poursuit des études secondaires à Naples où il découvre la mnémotechnique qui constituera l’une de ses disciplines d’excellence. Il est dit qu’il était capable de réciter 7000 passages de la Bible ou encore 1000 poèmes d’Ovide !

A 17 ans, il entre au célèbre couvent de San Domenico Maggiore qui possédait l’une des plus grandes bibliothèques, là où Thomas d’Aquin avait fini ses jours. A l’époque, les couvents constituaient les lieux de culture par excellence et Giordano est très curieux. Il se conduit d’abord en dominicain modèle, vivant selon la devise « verba et exempla » : « par le verbe et par l’exemple » et est ordonné prêtre en 1573.

Très cultivé, il sera promu Docteur en théologie à 27 ans. Mais rapidement le carcan théologique lui pèse et il commence à devenir impertinent, enclin à la polémique ; il va jusqu’à défendre son droit à lire des auteurs condamnés pour hérésie. Puis il se met à renier le concept de la vierge Marie, le concept de la Trinité ... Il aime l’hermétisme et la magie. Il se passionne pour la cosmologie.

A la suite d’une querelle avec un autre dominicain, il est excommunié : il s’enfuit dans le nord de l’Italie (Gênes, Savone, Turin, Venise, Padoue …) où il vit en donnant des leçons particulières. C’est le début d’un périple de 16 années à travers toute l’Europe …

JPEG document ICEM

1579 : il est correcteur d’imprimerie à Genève, haut lieu de protestantisme. Il se convertit au calvinisme. Suite à un conflit, il est arrêté, excommunié et il doit à nouveau s’enfuir. Il sera professeur de philosophie à Toulouse, puis philosophe attitré à la cour du roi Henri III, « lecteur extraordinaire » au collège des lecteurs royaux, qui deviendra le Collège de France. (extraordinaire = dispensé d’aller à la messe)

JPEG Portrait d’ Henri III

C’est à cette époque qu’il publie « De l’ombre des Idées », un traité consacré à l’art de la mémoire et une comédie « Le Chandelier ».

Mars 1583, il suit l’ambassadeur de France à Londres. Mais à Oxford, les idées nouvelles de Copernic et les siennes font scandale. Il est rejeté.

JPEG Copernic

En 1584, il publie en italien 3 œuvres majeures : « Banquet des cendres », « Cause » et « L’univers, l’infini et les mondes », qui portent sur sa conception de l’univers et sa philosophie de la nature. Puis 3 autres sur sa conception de l’homme et de la morale : « L’expulsion de la bête triomphante », « La cabale du cheval Pégase », « Des fureurs héroïques ».

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1585, le voilà revenu à Paris pour défendre ses idées. Il organise « une dispute » publique « contre plusieurs erreurs d’Aristote » où il défie les Docteurs parisiens ; la dispute tourne à son désavantage.

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Comme les guerres de religion se sont apaisées dans le Saint Empire, il se rend à Wittenberg, puis Prague, à Helmstedt où il embrasse la foi luthérienne … ... et se fait une nouvelle fois excommunier... C’est alors qu’il accepte de devenir le professeur particulier de Giovani Mocenigo à Venise. Vous connaissez la suite …

Le personnage dans son époque

G. Bruno : philosophe et cosmologue, dit le dictionnaire. Lui-même, comme Erasme, se désigne “Citoyen et serviteur du monde”. Dominicain, calviniste, luthérien, excommunié 3 fois, il fut essentiellement condamné comme ancien dominicain apostat et comme athée alors qu’il était panthéiste.

Il fut surtout un libre penseur, un génie éclectique, toujours en éveil, un philosophe audacieux, novateur et impertinent, un précurseur des sciences modernes. Il imagine un univers infini dont Dieu serait l’âme. Là où Copernic pensait que le Soleil était une étoile unique, Bruno considère qu’il en existe des centaines de milliers. Quand Galilée découvrira les satellites de Jupiter, Kepler lui écrira ceci : « Il ne faut pas oublier que nous devons tout à Bruno, et que, si aujourd’hui nous pouvons faire ces recherches, c’est grâce à lui. »

Giordano Bruno n’a pas été reconnu comme savant : à l’époque, il lui était difficile de prouver par l’expérimentation tout ce qu’il avançait. Ses conclusions étaient uniquement le fruit de sa pensée et de sa réflexion. Voilà qui arrangeait nombre de ses détracteurs.

Bruno a voulu mener une existence conforme à sa “destinée divine”, fondée sur la vérité, la “vraie foi” (par opposition à la “sotte foi”), la “fortitude” (courage et vigueur physique), celle qui porte devant elle la lumière de la raison, de la justice, de la tolérance...

Bruno en arrivera à penser que Dieu n’est pas en dehors de l’univers, mais qu’il fait partie intégrante de toute matière : le panthéisme était né. Dieu est la “cause infinie” qui produit un monde infini. (Dieu est tout, il est dans tout ce qui existe, c’est l’intégralité du monde). Spinoza s’en inspirera. "Nous le savons, disait-il, il n’y a qu’un ciel, une immense région éthérée où les magnifiques foyers lumineux conservent les distances qui les séparent au profit de la vie perpétuelle et de sa répartition. Ces corps enflammés sont les ambassadeurs de l’excellence de Dieu,... Ainsi sommes-nous conduits à découvrir l’effet infini de la cause infinie ; et à professer que ce n’est pas hors de nous qu’il faut chercher la divinité, puisqu’elle est à nos côtés, ou plutôt en notre for intérieur, plus intimement en nous que nous ne sommes en nous-mêmes."(Banquet des cendres).

Bruno a repoussé les dogmes et refusé toute moralité fondée sur l’espoir d’une récompense ou sur la crainte d’un châtiment après la mort. Voilà qui l’oppose de front à la théologie chrétienne. Et à qui lui demandait :

- Que répondre si on soutient que vous êtes un cynique enragé ?

- Je l’accorderai sans difficulté, répondait-il, sinon totalement, du moins en partie (Cause, principe, unité)

Pour la hiérarchie catholique, il représente le mal, l’horreur ; à l’époque il est inconcevable de nier l’existence de Dieu et sa place dans l’univers, d’autant plus insupportable lorsque cela vient d’un prêtre. Il avait été membre de l’Institution ; ne pas le châtier à la hauteur qu’il méritait pour ses « crimes » était impensable : la discipline interne à l’institution en dépendait.

Arrivé à Rome, l’acte d’accusation s’était allongé. S’y retrouvaient : ses positions théologiques hérétiques, sa pensée antidogmatique, le rejet de la transmutation que le Concile de Trente venait de confirmer, le rejet de la Trinité, sa négation de la virginité de Marie ...

Giordano Bruno était désigné comme un maître en matière d’hérésie, un “hérésiarque”.

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Concernant la liberté de conscience :

Le parcours de Giordano Bruno m’apparaît bien différent de ceux que nous avons déjà étudiés, en ce sens que Bruno n’entendait pas fonder un nouveau courant religieux. Il n’était pas fondamentalement opposé à la religion. Antidogmatique certainement. Il pensait simplement ceci : « On n’a rien à redouter de la censure des bons esprits, religieux au vrai sens du terme... Car après avoir bien réfléchi, ils s’apercevront que cette philosophie non seulement contient la vérité, mais qu’elle est de surcroît favorable à la religion. » Donc il n’écarte pas la religion, il ne l’abolit pas : il pense même qu’elle est utile pour cadrer les comportements et la morale. Elle peut donc tout à fait coexister avec sa philosophie. Les deux devraient même converger.

Il devra cependant subir torture et tourments. Il lui arrivera de faire un petit pas vers la rétractation, mais il se reprendra toujours :

« Je ne recule point devant le trépas et mon cœur ne se soumettra à nul mortel ».

Dans une dernière lettre adressée au pape, Bruno expose clairement le paradoxe de son procès entre morale et connaissance : « La conscience est le résultat de la liberté, tandis que la morale et le comportement dépendent de l’autorité. On m’a opposé que je ne pouvais prouver ce que j’affirme. J’ai répondu qu’on ne pouvait pas plus prouver le contraire, que les Saintes Ecritures ne prétendent pas décrire le Monde, mais seulement exposer la morale divine à tous les hommes… ». Ici encore il sépare le domaine de la science de celui de la religion, la liberté de conscience de ce qui relève du dogme.

Clairvoyant, il avait fini par réaliser qu’il serait exécuté. Il conclut ainsi :

« Le débat ne sera pas clos par mon bûcher mais au contraire, ouvert, après lui, et peut-être par lui, à l’humanité entière. »

A la lecture de sa condamnation au bûcher, Bruno fera ce commentaire :
« Vous éprouvez sans doute plus de craintes à rendre cette sentence que moi à la recevoir ». Il eut un délai de 8 jours pour se rétracter, mais Giordano Bruno n’abjurera pas.

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Conclusion

Une vie de recherches scientifiques et personnelles, une errance à travers l’Europe, ponctuée de disputes et de tourments.

Un combattant du droit à la libre pensée : très vite, il s’était autorisé à remettre en cause ce qui lui avait été enseigné, à avoir un regard critique sur toute autorité intellectuelle, quelle qu’elle fut. Pour lui, la seule autorité, l’ultime autorité, ne peut être que sa propre raison.

L’historien Luigi Firpo dit ceci de lui : « Bruno reste le défenseur du droit de l’Homme de croire à ce qu’il pense, et non d’être obligé à penser par force ce à quoi d’autres voudraient qu’il croie ». Ce sont ses recherches, ses visions et non une intention délibérée qui ont mis à mal le dogme et les croyances de l’église …

Remarque : le délit, voire le crime de blasphème figure encore dans la législation de nombreux pays, y compris en Europe.

Giordano Bruno a choisi de mourir en homme libre ; Galilée, 44 ans plus tard, fera un autre choix …

Sur cette place de Rome Campo Dei Fiori est aujourd’hui érigée une statue en son honneur.

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Sources principales :

https://www.icem-pedagogie-freinet.org/sites/default/files/N24_Giordano.pdf

http://www.ledifice.net/7296-5.html

http://www.publius-historicus.com/bruno.htm

https://fr.wikipedia.org/wiki/Giordano_Bruno

https://www.astrofiles.net/astronomie-giordano-bruno

https://clio-cr.clionautes.org/giordano-bruno-la-vie-tragique-du-precurseur-de-galilee.html

http://www.biblisem.net/etudes/desdbrun.htm

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