pour la réunion du 10 avril 2013. Présentation L.D.H.
Fraternité
La notion de fraternité, qui figure dans la devise de notre République, semble étrange à nos contemporains... Dans son ouvrage intitulé « Le moment Fraternité », Régis Debray va, d’ailleurs, jusqu’à en faire « la mal aimée de la République » ...
1. Que signifie le mot « fraternité » ?
Larousse et Robert divergent sur le premier sens à donner au mot.
No deposit bonuses https://slots-online-canada.ca/casino-bonuses/no-deposit/ are free bonuses offered by casinos.
Pour le Larousse, il renvoie d’abord à l’univers de la famille : « lien de parenté entre frères et sœurs ». Ce dictionnaire ne donne qu’ensuite, à la définition, une ampleur sociale en parlant de « lien de solidarité entre les hommes, entre les membres d’une société ».
Le Robert au contraire, pose d’emblée la dimension universelle du terme « lien existant entre les hommes considérés comme membres de la famille humaine ».
2. Un peu d’histoire ...
Le mot dans son acception moderne prend son sens clairement dans le contexte de la Révolution française de 1789. Le mot « frère » était utilisé sous l’Ancien régime pour désigner les membres d’un groupe religieux. Dans le contexte de l’Europe des Lumières, il faisait aussi référence à la Franc-Maçonnerie en lutte pour inventer une autre forme de société.
Le sens du mot comme l’indiquent les définitions des dictionnaires, se déploie donc de manière radicale. Il part de la famille comme modèle idéal, pour concerner tous les hommes (lien de solidarité entre les hommes). C’est une affirmation révolutionnaire dans une société qui était divisée en ordres, où l’on pratiquait l’esclavage et où l’interrogation sur le statut de l’autre était problématique, de Montaigne à Montesquieu, de Voltaire à Rousseau.
Cette notion prend alors un caractère universel. Elle est aussi radicalement différente de la charité chrétienne qui est une forme de sollicitude, relation verticale, descendante qui donne du riche au pauvre ce petit peu qui ne modifie pas la nature inégalitaire de la relation entre les hommes.
3. La fraternité s’enracine dans une société donnée et le mot prend sens dans sa relation avec les deux autres termes du triptyque républicain : « liberté » et « égalité ».
C’est un lien qui est construit entre les membres d’une société (Larousse) .Quand les citoyens se rencontraient, pendant la période révolutionnaire, ils se disaient « salut et fraternité ».
Les notions (Liberté, Egalité, Fraternité) de notre devise républicaine prennent sens dans leurs relations même. Le philosophe Charles Renouvier résumait ainsi la philosophie du triptyque républicain :
« Les hommes naissent égaux en droits, c’est-à-dire qu’ils ne sauraient exercer naturellement de domination les uns sur les autres. La loi, dans la République, n’admet aucune distinction de naissance entre les citoyens, aucune hérédité de pouvoir. La loi est la même pour tous.
« S’il n’y avait signé que la liberté, l’inégalité irait toujours croissant et l’Etat périrait par l’aristocratie ; car les plus riches et les plus forts finiraient toujours par l’emporter sur les plus pauvres et les plus faibles. S’il n’y avait qu’égalité, le citoyen ne serait plus rien, ne pourrait plus rien par lui-même, la liberté serait détruite, et l’Etat périrait par la trop grande domination de tout le monde sur chacun. Mais la liberté et l’égalité réunies composeront une République parfaite, grâce à la fraternité. C’est la fraternité qui portera les citoyens réunis en Assemblée de représentants à concilier tous leurs droits, de manière à demeurer des hommes libres et à devenir, autant qu’il est possible, des égaux ».
Pour nous qui suivons assidûment les débats à l’Assemblée Nationale, quelle actualité, quelle réalisme dans l’expression « autant qu’il est possible ».... Cela dit, que dirions-nous aujourd’hui, à la lueur de ce que nous constatons et vivons, de ce que l’Humanité a vécu depuis Renouvier ?
Que la liberté sans fraternité est bien l’affirmation du droit du plus fort, l’ouverture dangereuse d’un libéralisme intégral : liberté de commercer, d’échanger, de faire de l’argent sans tenir compte de l’existence de l’autre. Nous affirmons donc avec d’autant plus de force que la liberté suppose de toute évidence une forme d’égalité entre les hommes, alors que la fraternité en précise l’objectif qui est de permettre une vie harmonieuse en société.
Nous souvenant que le siècle dernier a été éprouvé par des révolutions qui en se réclamant du désir d’égalité ont ouvert sur des formes de totalitarismes de l’URSS de Staline à la Chine de Mao, au Cambodge, nous posons avec vigueur que l’égalité doit viser à la fraternité et préserver la liberté.
Prégnante aussi, dans les mémoires, l’idéologie d’une inégalité de nature entre les hommes, a donné lieu à d’autres dérives totalitaires...Qu’on songe au nazisme. Nous ne le clamerons jamais assez : les hommes sont frères veut dire qu’ils sont d’une même famille, qu’ils ont les mêmes droits.
Le programme économique et social du Conseil National de la Résistance, conçu au lendemain de la deuxième guerre mondiale, est totalement animé de cet idéal qu’éclairera quelques années plus tard, l’article 1er de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme :
« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité »
4. Où en est aujourd’hui cette promesse de justice sociale et de fraternité ?
• Force est de constater que le terme « fraternité « est rarement employé (en dehors peut-être des périodes électorales...).
• Qu’on lui préfère « solidarité », qui offre une traduction plus concrète, plus immédiate, moins prospective. Si on en appelle plus à la solidarité qu’à la fraternité, n’est-ce pas que nous y avons été contraints par une société qui divise ? Se serrer les coudes s’imposait alors pour répondre à la cupidité et aux égoïsmes, pour éviter l’éclatement social, non sans risque quelquefois (rappelons-nous que la solidarité avec les sans papiers a été criminalisée sous le président Sarkozy...)Toutefois, si la solidarité, pour subversive qu’elle soit, quelquefois, est une manière de réparer, voire de dépasser l’individualisme, n’est-elle pas plus restrictive que la Fraternité qui se définit comme universelle, s’inscrit dans le long terme en exigeant la conception, puis la mise en œuvre d’un véritable projet politique de société ?
• Les freins et obstacles à l’émergence de la fraternité sont nombreux dans une société :
où chacun privilégie l’apparence, où chacun s’attache à son image et à l’image de l’autre, où consommer des objets permet d’accéder à un statut social, en d’autres termes où le paraître remplace l’être qui ne s’institue que dans une relation authentique avec l’autre. (cf. le « désir mimétique » du philosophe René Girard)
une telle société qui place la valeur « argent » au-dessus des valeurs républicaines, marginalise les chômeurs et les jeunes qui ne peuvent consommer
une telle société entretient la peur, peur du chômage, peur de l’autre, de l’immigrant qui prend le travail, du délinquant qui rôde et menace. Dans ce contexte, c’est la méfiance et la défiance qui prévalent, c’est-à-dire le contraire de la fraternité. Le premier des droits revendiqués devient le droit à la sécurité.
l’école publique, laïque, conçue pour être, à la fois, un lieu fraternel (assurant l’accueil de tous) et
d’éducation à la fraternité, a été peu à peu abandonnée par les pouvoirs publics .L’école est en crise. Elle est empêchée de jouer son rôle au profit de l’école confessionnelle qui divise.
la perte du sens des valeurs républicaines et de la compréhension de ces valeurs y compris chez les politiques, laisse le champ libre à l’expression des archaïsmes religieux, à leur intrusion sur la scène politique, et aux tentatives d’accaparement des systèmes de solidarité par des prosélytismes religieux (CARE...), L’usage du mot « frère » se restreint alors à un usage communautariste, tel que cela se passe dans les banlieues.
Et bien sûr, au-delà ... Pensons, entre autres, à ces islamistes tunisiens qui justifient leurs revendications en lançant à leurs opposants « nous sommes de la même famille », alors qu’ils n’admettent comme « frères » que ceux qui les soutiennent
Que penser aussi de ce « partenariat stratégique » ( J. Cahuzac dixit) entre la France et le Qatar pour organiser le développement de l’activité économique dans les banlieues, mais aussi pour promouvoir la pratique du sport et de l’art... ?
• Cependant, dans le même temps s’expérimentent des systèmes de fonctionnement fraternels :
au sein d’associations petites ou grosses qui militent pour la promotion et/ou la défense d’un ou plusieurs droits
et d’entreprises qui développent une forme d’économie sociale et solidaire basée sur le respect du travail, de l’environnement, de l’être humain placé au centre du système (et non plus, variable d’ajustement...).
Mais ces efforts restent encore bien isolés et ne font pas encore l’objet d’informations suffisantes pour servir de support à la réflexion sur une véritable alternative économique et sociale, juste et fraternelle.
5. Pour autant, la devise de notre République garde une force révolutionnaire.
La fraternité, cette notion forte, nous pousse à nous émouvoir de la situation d’un travailleur chinois ou africain, à refuser l’exploitation des hommes par les hommes, à interroger les mécanismes de la finance internationale. C’est cet élan vers l’autre, ce besoin de dépassement individuel, ce « mutuel élan de fraternité » (Michelet) qui montre bien qu’elle a valeur universelle.
La fraternité nous touche aussi au pas même de nos portes, quand nous butons sur le corps frigorifié d’un SDF, ou, quand, au coin de la rue, nous croisons le regard apeuré d’un sans papiers qui craint d’être arrêté par des représentants des forces de l’ordre. Vocation sociétale donc…
C’est l’élément affectif d’humanité qui fait de la devise de notre République, une exigence pour tous. Le visage de l’autre, le regard de l’autre, qui dialectiquement en s’adressant à moi, m’interpelle comme un frère...