Paris, 7 mars 1906
Séance du soir de l’Assemblée
Dès le début de la séance que préside M. Doumer, M. Plichon, député rallié du Nord, aborde à la tribune les incidents qui ont marqué l’inventaire de Boeschepe .
Il donne lecture de la rapide enquête à laquelle il s’est livré. Quatre coups de revolver ont été tirés, l’un a frappé au cœur un boucher, M. Ghysel. L’inventaire a eu lieu sans arrêté préfectoral véritable.
M. Plichon : - Le clergé dans mon pays a toujours prêché le calme, mais les populations ont tout d’un coup été exaspérées, parce que n’étant pas intellectuelles, elles n’ont pas compris le sens attaché au mot « inventaire ».
M. Briand : - On les y a aidées !
M. Plichon : - Nul plus que moi ne respecte les agents de l’autorité civile, mais quand on les voit au service de la force brutale, les sentiments changent. On applique la loi avec cruauté ; on nous disait que c’était une loi de liberté, jusqu’ici c’est une loi de meurtre. (applaudissements à droite ) .
Intervention de M. Guieysse
- M . Plichon a fait le procès du gouvernement , et pourtant il faut bien dire les choses telles qu’elles sont .Les provocateurs de Boeschepe sont des ouvriers étrangers . Je demande au gouvernement s’il entend tolérer plus longtemps de pareilles excitations ? Personne au moment du vote de la loi ne s’attendait à pareille résistance, surtout quand on sait que c’est la droite qui a introduit dans la loi la clause de l’inventaire.
M. De Gaillard-Bancel : - C’est absolument inexact.
M. Guieysse : - Il y a une violation flagrante de la loi. Nous allons avoir sur notre territoire, des centres de résistance qui peuvent provoquer les plus grands dangers .
On vous prête l’intention M . Dubief , de surseoir à l’inventaire dans les régions surexcitées. Vous nous direz si c’est exact. La situation est très grave pour le pays et le gouvernement tout entier . Il s’agit de savoir si la résistance des catholiques sur quelques points deviendra la résistance générale. Il s’agit de savoir si le gouvernement capitulera devant un gouvernement étranger ( vifs applaudissements à gauche ).
M. Briand : - Le projet de la commission ne prescrivait pas d’inventaires . Au cours de la discussion générale c’est M. Ribot, qui a dit que l’état devait suivre d’un œil attentif les biens qui devaient passer aux associations cultuelles . Et c’est pour déférer à ce désir que la commission a introduit la clause de l’inventaire.
Auparavant à la commission, nous y avions été inclinés, nous, majorité, parce que nous étions touchés des arguments de M. Berger qui craignait que des fonctionnaires ignorants ne donnent à la brocante des objets de grande valeur.
M. Berger : - Je proteste !
M. Briand : - Vous profitez de la circonstance pour exciter des populations arriérées.
Tapage infernal...
M. Lefas veut parler mais la gauche lui coupe la parole par un crépitement endiablé de pupitres. Au milieu du tumulte M . Lefas prononce des paroles qu’on n’entend pas.
M . Doumer aux interrupteurs : - Aucune des paroles que vous venez de prononcer ne figureront au « Journal officiel » .
M . Briand .-Les paysans de la Haute - Loire qui croient défendre leur foi sont sincères.
M. Gaillard : - Bancel : - Nous aussi.
M. Briand : - L’usage de la violence en les atteignant, n’atteindra pas les vrais coupables. Les coupables, ce sont ceux qui, depuis longtemps, répandent des mensonges. Au moment du danger, ils se répandent en... paroles doucereuses. La responsabilité de ces événements douloureux retombera sur ...
Voix nombreuses à droite
M. Briand .- Cette loi, si elle devient une loi de meurtre, ce sera par votre faute ! Lorsqu’ils verront clair, ils s’apercevront que vous avez abusé de leur crédulité. En tout ceci, il est moins question de religion que de politique. Malgré vous, nous garderons notre sang froid et la loi s’appliquera avec circonspection.
Applaudissements à gauche Voix à droite :.- Ah ! Ah !
Briand : - Oui ! mais elle s’appliquera !
Source : Archives du Finistère O.E. 8.03.1906