La laïcité, un havre de paix pour le croyant

, par  Pierre Bleuzen , popularité : 9%

A la Chambre des Députés, lors de sa présentation de la loi de Séparation, Aristide Briand avait assuré aux "fidèles" qu’ils seraient "à l’abri" dans le "nouveau régime des cultes".
Qu’en a-t-il été ?

Pour la réunion du 23.01.08

.............LA LAICITE, UN HAVRE DE PAIX POUR LE CROYANT..............

Déclaration des Droits de l’Homme, octobre 1789

Article X - Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi.

Cet article a été traduit dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 par ceci : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites. » (article 18)

La Déclaration des Droits de l’Homme, comme son nom l’indique, est centrée sur la personne, l’individu, l’Homme avec un grand H. Elle se veut universelle.

Il appartient ensuite aux gouvernants de chaque pays de se l’approprier (ou non ) et de se donner les moyens de la mettre en pratique, ce qui n’est pas forcément très simple.

En effet, si l’application d’un droit tel que la liberté de conscience peut nous paraître évident, dès qu’une situation met en présence plusieurs droits, fussent ils fondamentaux, il n’est pas rare que les choses se compliquent. Nous l’avons bien vu lors de nos débats concernant le port du voile à l’école…

Tout droit s’exerce à l’intérieur d’un cadre. Il revient à la puissance publique en place de l’élaborer, puis de le faire ratifier par les citoyens ou les instances prévues à cet effet.

Quel va être ce cadre, ce référent commun qui va permettre à chacun de faire valoir son droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion dans son pays ( droit inaliénable selon l’Assemblée générale de l’O.N.U. ) ?

La France, forte des avancées du siècle des Lumières, a choisi d’instituer le principe de séparation des Eglises et de l’Etat. Depuis maintenant plus d’un siècle, dans le domaine de la liberté de conscience et des pratiques religieuses, c’est la loi de 1905 qui constitue pour nous ce référent commun.

Lorsque le texte a été présenté à la Chambre des Députés, les inquiétudes étaient vives chez les croyants de l’époque, essentiellement des catholiques : qu’allait devenir leur église ? Allait-elle être totalement dépouillée, disqualifiée ( dans le domaine des décisions politiques probablement…) ? Le croyant allait-il être menacé,... persécuté peut-être ?

Dès sa présentation du texte de loi à la Chambre , le 4 mars 1905, Aristide Briand avait annoncé qu’il n’en serait rien .

Je vous donne 5 petits extraits de son discours :

« En vous présentant ce rapport, nous avons pour objectif de prouver que la seule solution possible aux difficultés intérieures qui résultent en France de l’actuel régime concordataire est dans une séparation loyale complète des Églises et de l’ État. Nous montrerons juridiquement que ce régime est le seul qui, en France, pays où les croyances sont diverses, réserve et sauvegarde les droits de chacun. »

« Le régime nouveau des cultes qui vous est proposé touche à des intérêts si délicats et si divers, il opère de si grands changements dans les coutumes séculaires, qu’il est sage, avant tout, de rassurer la susceptibilité éveillée des « fidèles » en proclamant solennellement que non seulement la République ne saurait opprimer les consciences ou gêner dans ses formes multiples l’expression extérieure des sentiments religieux, mais encore qu’elle entend respecter et faire respecter la liberté de conscience et la liberté des cultes […]. »

« En votant ce rapport, vous aurez accordé à l’Église ce qu’elle a seulement le droit d’exiger, à savoir la pleine liberté de s’organiser, de vivre, de se développer selon les règles et par ses propres moyens, sans autre restriction que le respect des lois et de l’ordre public. »

Il ajoutait : « Demain, il est très possible que dans l’atmosphère de liberté créée par la loi, un certain nombre d’ecclésiastiques – nous n’avons pas à les y pousser, mais nous n’avons pas non plus à les en empêcher – se prêtent, avec les « fidèles » à une organisation nouvelle de leur culte. Cette organisation, il est possible que Rome ne l’accepte pas, mais il n’est pas impossible non plus qu’elle l’accepte. »

« Faites cette loi telle que les Églises ne puissent y trouver aucune raison grave de bouder le régime nouveau, qu’elles sentent elles-mêmes la possibilité de vivre à l’abri de ce régime, et qu’elles soient, pour ainsi dire, obligées de l’accepter de bonne grâce ; car le pire qui pourrait arriver, ce serait de déchaîner dans ce pays les passions religieuses. »

Le havre de paix annoncé est-il devenu réalité pour les croyants ordinaires ?

A/ Les premières réactions

Ce fut d’abord pour certains d’entre eux une sorte d’horreur.
Nous en avons une illustration tout près d’ici, à l’église de Beuzec Conq … Au sommet d’une stalle, l’angelot menace de son bâton la caricature d’Emile Combes

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En effet :

- La religion en place était désormais écartée de toute décision politique. Le clergé ne serait plus, en aucun cas, l’interlocuteur privilégié de l’Etat. Adieu les compromissions traditionnelles, adieu toute protection particulière, adieu les privilèges…

- C’en était fini de l’investiture officielle dont bénéficiaient les ministres des cultes depuis des siècles, investiture qui leur apportait non seulement d’importants subsides, mais bien mieux encore : une autorité morale incontournable.

- Toutes les options spirituelles se trouvaient désormais placées sur un pied d’égalité. Qu’allait-il advenir de leur « Vérité révélée » face aux autres options spirituelles ?

- La hiérarchie religieuse qui se positionnait comme seule « experte en humanité » devrait désormais partager : tous les courants d’idées avaient désormais droit au chapitre et, au bout du compte, en cas de désaccords, c’est le citoyen qui serait appelé à trancher.

- Le croyant ne pourrait plus prétendre, avec ses pairs, imposer ses valeurs à l’ensemble de la population. Nul ne pouvait plus imposer à quiconque des règles qu’il s’était données à lui-même.

- La République donnait le droit de critiquer publiquement toutes les religions et les pensées philosophiques, dans des limites énoncées par la loi . Aucune religion, aucune conviction ne pourrait donc plus revendiquer un caractère intouchable. Plus de délit de blasphème.

- Changer de conviction devenait possible ; désormais, ni un groupe, ni une communauté, voire l’Etat, ne pourrait plus s’y opposer.

- La loi commune, établie démocratiquement, prenait désormais le pas sur la loi religieuse.

- L’identité de chaque individu se détachait encore davantage de toute appartenance religieuse, ethnique, de sexe ou de sang. L’homme et la femme devenaient d’abord membre de la communauté des humains, des citoyens actifs et responsables dans leur pays, avant d’être des croyants soumis à une hiérarchie.

- Plus question d’exclure ou d’inférioriser les femmes (évolution encore en cours )

Je n’ai sans doute pas tout répertorié… mais, de fait, la mise en application de la loi de 1905 instaurait tous ces éléments.

B/ Avec le temps...

Au delà de ce désarroi premier, le temps a fait son œuvre, et la perception des croyants a évolué à l’épreuve du quotidien. Les apports positifs de la loi de Séparation ont été progressivement reconnus. Chacun a pu vérifier ce qu’avait annoncé Jaurès : dans ce texte de loi, « aucune disposition ne fait obstacle à la liberté de conscience et à la liberté de culte ». En effet, ni la lettre, ni l’esprit de la loi ne porte atteinte à la foi religieuse ou la dévalorise.

Il y a bien eu quelques épisodes comme les inventaires des biens d’églises, mais, au fil des années, les violences que désignait A. Briand, celles liées à la confusion du politique et du religieux, se sont progressivement apaisées. Le rôle de l’Etat comme garant de la loi commune et sa posture de neutralité vis à vis de toutes options spirituelles avait aussi ses avantages :

Lesquels ?
- Au fil des années, tout croyant a pu vérifier qu’il avait entièrement conservé le droit de pratiquer son culte et ses rites, le droit d’enseigner sa religion et le droit de s’exprimer de façon ouverte dans la cité sans être inquiété .

- Qui plus est, sa liberté de parole à l’intérieur de son groupe religieux lui est désormais acquise, et, paradoxe pour beaucoup, c’est la loi de la République le lui garantissait.

- Sa liberté individuelle s’est élargie. Nul ne pourra plus ni lui imposer, ni lui interdire une ou plusieurs religions. Il est libre de cultiver sa foi comme il l’entend. Il peut tout aussi librement changer de conviction. La laïcité le lui garantit. L’Etat n’est plus l’arbitre des consciences. "Avant 1905, les déclarations de personnalités religieuses devaient avoir l’aval du gouvernement. Ce n’est plus le cas depuis 1905. Les religions s’expriment, participent au débat public. Mais elles le font à partir d’un modèle associatif, c’est-à-dire d’adhésion volontaire et libre, elles ne le font pas comme des institutions qui auraient un pouvoir sur les citoyens." J. Bauberot

- Une base juridique existe désormais pour tout ce qui concerne la liberté de conscience. Le droit est recentré sur les actes ( auxquels il convient d’ajouter les propos racistes ou xénophobes, toute incitation à la discrimination.). Nous nous approchons de cet idéal que définit ainsi H. Pena Ruiz : « La liberté de conscience est première, comme l’est la liberté humaine : elle n’est pas un bien que l’on peut perdre, qui serait accordée ou non, car elle s’inscrit dans l’être de tout homme, non dans son avoir ». Une nouveauté pour le croyant.

- Lorsqu’une question d’éthique se pose, c’est désormais le souci du bien commun, de la justice, qui présidera à la décision, et non plus un dogme, et ce sera le citoyen, à travers ses représentants, qui sera appelé pour y répondre.

- Le croyant peut créer une association avec d’autres croyants, avec toutes les possibilités d’actions collectives dont disposent les organisations de la société civile, et il est désormais dégagé de toute tutelle. Est-il nécessaire de rappeler que le fonctionnement de l’église catholique procédait (et procède encore) exclusivement du sommet vers la base ?

- Lorsque des responsables religieux s’expriment au sujet des lois du pays, leurs propos n’engagent en aucune façon leurs fidèles. Tout croyant est désormais protégé d’une éventuelle servitude à l’égard de son propre groupe. Les pressions (normalement)… ne doivent plus avoir cours.

- La nouvelle loi éloigne aussi les pratiques sectaires.

- La notion de progrès prend un nouvel essor : la loi instaure et garantit l’indépendance de toute recherche intellectuelle et de toute expression publique. A titre d’exemple, si le croyant est chercheur dans le domaine des sciences, son travail est désormais libéré de toute tutelle idéologique. L’innovation a désormais le champ bien plus libre. Il en est de même pour tous les domaines de la création .

- Pour les femmes, l’égalité des sexes, absente dans les religions comme dans les traditions, devient une perspective.

- …

Là encore, je n’ai sans doute pas tout répertorié…

Pour terminer, je vais donner la parole à des croyants, chrétiens et musulmans ( avec cette question : ces prises de position sont-elles isolées ou sont-elles répandues ?)

Jacques Haab NSAE* Janvier 2002 « Il faut rappeler en toutes occasions que la laïcité, par nature, n’a jamais été à l’origine de ce qui a pu paraître (souvent à des esprits chagrins, finalement peu amoureux de la République) parfois totalisant, nivelant, sectaire à certains moments de l’histoire ; bien au contraire, elle est la condition sine qua non de l’humanité et de sa diversité. »

Déclaration commune au CEDEC* et à NSAE* ( 2001 ) "Finalement, la laïcité semble être la condition absolue de l’absolue liberté d’être soi-même. Par là, elle est la condition nécessaire de la démocratie. Et, de façon un peu surprenante pour certains, elle semble aussi être la condition de l’acte de foi responsable qui est au cœur de l’engagement religieux".

L’Observatoire Chrétien de la Laïcité considère que « la Loi de 1905 doit être maintenue. Un siècle après (sa promulgation) , après avoir été mise à l’épreuve des faits, elle n’apparaît pas comme une simple loi circonstancielle, mais bien comme l’une des lois fondatrices de la République. Elle est très claire sur les principes qui sont à la base de la citoyenneté, excluant toute forme de communautarisme. Elle a montré maintes fois sa souplesse face aux évolutions sociales. ..En aucun cas ne doivent être remis en cause les principes fondamentaux de la loi . »

Toujours l’OCL : au sujet de leur désaccord avec la position du pape Jean Paul 2 qui refuse la laïcité telle que nous l’entendons : " Le pape, dans ses vœux au corps diplomatique en janvier 2004, disait reconnaître la valeur de la laïcité en tant que "distinction" entre l’Eglise et l’Etat ! La distinction rend parfaitement possible un régime concordataire et même, elle est juridiquement nécessaire pour l’établissement d’un tel régime. Elle permet parfaitement sous une forme ou une autre l’alliance "du Trône et de l’Autel".

Chez les musulmans

Source : le site Islam laïque

« L’État laïque n’est ni pour ni contre telle ou telle identité religieuse, il est tout simplement dans cet ailleurs qui est à la fois extérieur par indifférence - sauf en tant que garant de la liberté de l’exercice du culte, et non de la « liberté religieuse » -, et supérieur par la prévalence de sa loi. C’est cela qui garantit la paix civile dans une société pluraliste. C’est pourquoi toute ambiguïté, toute confusion sur les rôles respectifs de l’État et des religions, surtout lorsque celles-ci sont déplacées du cadre confessionnel tel qu’il est défini par la loi vers le terrain conflictuel des identités, ne peuvent être que dangereuses. » . Je ne peux m’empêcher de penser à ce qui se passe au Proche Orient (Liban, Palestine...)

« Il n’y a pas de laïcité à la française car la laïcité est française. Il n’y a pas de honte à le reconnaître. Cela empêche-t-il qu’elle soit porteuse d’universalité ? Au contraire. Le propre d’un État laïque est d’être neutre, au-delà des religions comme différences. Sans distinction, sans discrimination ni favoritisme, sans relativisme. Et c’est parce qu’il se place dans cet « au-delà » qui transcende les particularismes religieux qu’il est fédérateur et le seul garant de l’unité fondée sur l’adhésion de tous les citoyens aux valeurs centrales. » Leila BABES

C/ Pour conclure

La loi de 1905 a apporté (et apporte toujours) ce que A. Briand avait annoncé : un maximum de sécurité, un maximum de garanties à tout croyant, tant dans l’exercice personnel de sa foi que dans son organisation possible avec ses pairs dans la cité.

Au delà de ces aspects déjà considérables, la laïcité lui élargit son champ de liberté en ce sens qu’elle le dégage de toute tutelle hiérarchique jusqu’à lui permettre de ne plus croire ou de changer de religion sans être inquiété.

Il faudrait développer ici tout ce qu’induit la laïcité dans le fonctionnement de la démocratie…

La séparation des Eglises et de l’Etat comme principe constitutionnel : existe-t-il pour tout homme, croyant ou non, un cadre meilleur pour l’exercice de son option spirituelle ? La loi de 1905 ne disait-elle pas déjà ce qu’allait énoncer la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme dans son article 18 ?

B.P.

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La laïcité "à la française", havre de paix pour les non-croyants La laïcité "à la française", havre de paix pour les non-croyants ?

*CEDEC : Chrétiens pour une Église Dégagée de l’École Confessionnelle

*NSAE : Nous Sommes Aussi l’Eglise

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