Réunion du 16è jour de brumaire, dédié au Chervis (6 novembre 2019), à partir d’une recherche d’A. Le B.
Une question : Où en est la sécularisation du calendrier en France ?
Une réponse : C’est le constat d’échec d’une tentative de calendrier civil qu’il faut faire.
Origine du calendrier
Un besoin : Dans les grandes civilisations agricoles, en passant du régime de prédation à une économie de production, il a fallu prévoir les périodes où la nature va pouvoir donner de la nourriture et connaître aussi la période de reproduction du bétail. Un calendrier devenait nécessaire.
L’observation des astres comme base :
Le découpage du temps en différentes unités –jours, mois, années- a été déduit des cycles astronomiques. C’est l’observation de la nature, de l’alternance du jour et de la nuit, du retour des saisons, du mouvement des étoiles qui a permis progressivement de maîtriser le temps en élaborant des calendriers et des horloges. Le soleil donne la notion de jour et celle de l’année. La lune, par ses cycles d’environ 29 jours, la notion de mois.
On a remarqué que certains monuments mégalithiques avaient déjà une orientation liée au mouvement des astres.
Ce sont surtout des calendriers lunisolaires :
A l’exception des égyptiens qui utilisaient un calendrier uniquement solaire, tous les peuples de l’antiquité utilisaient des calendriers lunisolaires cherchant à synchroniser les lunaisons, définissant les mois avec l’année solaire.
Fêtes civiles et religieuses sont inscrites dans le calendrier :
Par rythmer le temps, il faut entendre : fournir un cadre de vie et de fêtes civiles et religieuses, préciser les jours de travail et les jours fériés, ancrer les traditions et « créer un lien symbolique entre les membres d’une communauté ».
Chaque société, presque chaque communauté, a son calendrier propre qui lui permet de tisser les liens entre chacun des membres de la communauté.
Un exemple de calendrier lunisolaire : le calendrier de Coligny, calendrier des druides gaulois. Ce calendrier de Coligny présente un cycle de 5 années de 12 mois de 29 ou 30 jours, chaque mois étant divisé en deux quinzaines.
On remarque que les mois de 29 jours sont notés « anmatu » et que les mois notés « matu » sont de 30 jours.
Mat = bon, faste Anmat = mauvais, néfaste
Le calendrier Julien retire le pouvoir aux religieux :
Dans l’ancien calendrier utilisé à Rome, l’ajustement du calendrier à l’année tropique (durée moyenne correspondant au retour du soleil à l’équinoxe) nécessitait l’ajout d’une période intercalaire tous les deux ans ;
Or ce mois intermédiaire était devenu au IIIème-IIème siècle une arme politique, les pontifes avançant ou retardant, par exemple, des assemblées et des élections selon leur intérêt.
Jules César introduit donc un nouveau calendrier en 46 av JC.
Ce calendrier Julien a été utilisé dans toute l’Europe jusqu’au XVIème siècle.
Mais ce calendrier Julien est inexact.
L’année julienne est trop longue de 11 mn 14 sec., soit 0,0078 jours, par rapport à l’année tropique. En un siècle de 100 années juliennes, l’excès est de 0,78 jour, soit trois quarts de jour environ. Au bout de 4 siècles, le calendrier Julien est en retard de 3 jours sur les saisons. L’inconvénient est négligeable à l’échelle d’une vie humaine. Mais un calendrier doit servir de base à l’Histoire. A une longue échelle les imperfections se révèlent.
Le calendrier avant la révolution
Le calendrier grégorien
C’est pour pallier les dérives séculaires du calendrier julien que le pape Grégoire XIII adopte en 1582 un nouveau calendrier solaire : il impose une nouvelle réforme du calendrier en décidant un rattrapage du décalage et une modification du calcul des années bissextiles. Un calendrier à dimension religieuse.
Sous l’Ancien régime, la croyance et la pratique religieuse restent une dimension essentielle de la vie de la plupart des gens ;
La religion structure la vie quotidienne, les cloches des églises rythment l’écoulement du jour, l’assistance au culte ou à la messe le dimanche ponctue les semaines, et les grandes fêtes religieuses et votives accompagnant les saisons sont pour le plus grand nombre la seule mesure du temps.
L’ancien régime est marqué par l’abondance de fêtes et de réjouissances diverses : 55 dans le diocèse de Paris au début du XVIIe siècle (soit en moyenne une par semaine en plus des 52 dimanches.). Dans le diocèse d’Angers, avant 1693, 63 fêtes jalonnent l’année. Le travail est alors interdit sous peine d’amende.
La révolution
Un calendrier révolutionnaire civil 1792-1805
Les grands principes dont la révolution française s’est faite le chantre étaient la Liberté, l’Egalité, la Propriété. Très vite, l’idée d’apposer sur l’année 1789 le sceau de l’ « An I de la liberté » a germé dans l’esprit des révolutionnaires.
Mais ce n’est qu’en 1792 que l’année fut baptisée « An I de la République ». Le 22 septembre, on décréta : « Tous les actes publics sont désormais datés à partir de l’an I de la République », « L’ère des français compte de la fondation de la République qui a eu lieu le 22 septembre 1792 »,
Charles Gilbert Romme (mathématicien et homme politique 1750-1795) fut chargé d’élaborer un calendrier républicain. Le projet fut présenté devant les conventionnels le 20 septembre 1793.
Le calendrier (ou annuaire) républicain a été institué par le décret du 5 octobre 1793.
Ce décret indique qu’à l’avenir l’année commencerait à l’équinoxe d’automne, c’est à dire le 22 septembre à minuit. (Ce jour fut choisi de préférence à l’équinoxe du printemps parce que, par une coïncidence tout à fait fortuite, la proclamation de la République avait eu lieu le 22 septembre 1792).
Des principes
L’annuaire d’un peuple, qui reconnaît la liberté des cultes, doit être indépendant de toute opinion, de toute pratique religieuse et doit présenter ce caractère de simplicité qui n’appartient qu’aux productions d’une raison éclairée.
Découpage de l’année : Douze mois de 30 jours
L’année du calendrier républicain est découpée en douze mois de trente jours chacun (soit 360 jours) plus cinq à six jours (selon les années) ajoutés en fin d’année : les « sans culottides ».
Les mois sont divisés en décades égales, au nombre de trois par mois.
La semaine est donc de 10 jours dont les noms sont : Primedi, Duodi, Tridi, Quartidi, Quintidi, Sextidi, Septidi, Octidi, Nonidi, Décadi.
Les Sansculottides
Les cinq derniers jours s’appellent les sansculottides : Journée de la Vertu, du Génie, du Travail, de l’Opinion, des Récompenses.
Tous les 4 ans, l’année de la Franciade
« La période de 4 ans au bout de laquelle l’addition d’un jour est ordinairement nécessaire est appelée la franciade, en mémoire de la révolution qui après 4 ans d’efforts, a conduit la France au gouvernement républicain.
L’année ordinaire reçoit un jour de plus selon que la position de l’équinoxe le comporte, afin de maintenir la coïncidence de l’année civile avec les mouvements célestes. Ce jour, appelé « jour de la révolution » est placé à la fin de l’année et forme le sixième des sansculotides.
La nomenclature du calendrier.
On confia la confection de la nomenclature du calendrier au poète Fabre d’Eglantine (1750-1794). Il fut aidé par le jardinier du jardin des plantes du Muséum national d’histoire naturelle André Thouin (1747-1824)
Les jours ne sont plus consacrés à des saints mais à des produits du terroir, noms de fruits, de légumes, d’instruments agricoles ou d’animaux.
Chaque mois rappelait un aspect du climat français, leurs noms ont des terminaisons semblables :
-Aire pour l’automne :
Vendémiaire mois des vendanges
Brumaire mois des brouillards
Frimaire mois des frimas
-ôse pour l’hiver :
Nivôse mois de la neige
Pluviôse mois de la pluie
Ventôse mois du vent.
-Al pour le printemps
Germinal mois de la germination
Floréal mois des fleurs
Prairial mois de la fenaison
-Or pour l’été
Messidor mois des moissons
Thermidor mois de la chaleur
Fructidor mois des fruits
La suppression du calendrier républicain
Un calendrier souvent mal accepté
Le calendrier républicain a traversé les années du Directoire et du Consulat, mais n’est pas parvenu à s’imposer dans les mœurs et s’est heurté à la résistance de la population française qui répugnait à prendre de nouvelles habitudes malgré les mesures incitatives et coercitives pourtant mises en place : le changement était trop important et les français restaient attachés aux traditions.
L’échec le plus symbolique demeure l’incapacité du décadi à remplacer le dimanche malgré la floraison d’idées visant à lui donner un contenu solennel et séduisant : fixer la publication des naissances et des mariages ou des commémorations communales (avec guinguettes, fêtes et danses).
Rien n’y fait, les administrateurs révolutionnaires sont obligés de constater le refus de la France paysanne d’abandonner le dimanche, les fêtes traditionnelles comme les feux de la saint Jean ou les fêtes patronales.
Le calendrier républicain se heurte donc à un double obstacle : un calendrier liturgique et chrétien ancré dans une tradition séculaire (Noël, Pâques, Toussaint, Carême), mais aussi un calendrier populaire, « immémorial » à la vitalité intacte, marqué par la plantation de Mai ou le Carnaval.
« Cette prédiction, messieurs, s’est accomplie ; nous avons en effet deux calendrier en France. Le calendrier français n’est employé que dans les actes du gouvernement ou dans les actes civils ou particuliers qui sont réglés par des lois ; dans les relations sociales, le calendrier romain est resté en usage ; dans l’ordre religieux, il est nécessairement suivi, et la double date est ainsi constamment employée ». Extrait de l’intervention du conseiller d’Etat Regnault au sénat l15 fructidor an XIII ( 2 septembre 1805)
Suppression le 15 fructidor an XIII (9 septembre 1805)
La disparition du calendrier va se réaliser en plusieurs temps. Les fêtes révolutionnaires qui devaient ponctuer le nouveau calendrier, comme la prise de la Bastille ou la chute de la monarchie, tombent rapidement en désuétude ; elles sont même supprimées en l’an VIII.
Le dimanche redevient le jour de repos au moment du Concordat, ce qui redonne à la semaine son existence légale.
Enfin, le 15 fructidor an XIII (soit le 9 septembre 1805), le calendrier est officiellement supprimé par Napoléon Ier, quelques mois après son sacre, au nom d’un caractère trop national et pas assez universel.
Ainsi prenait fin après 12 ans, 2 mois et 27 jours, le parcours de ce calendrier républicain instauré avec l’ambition de rompre au nom de la raison avec une nomenclature jusque-là fondée sur « la superstition et le fanatisme ».
C’est le retour au calendrier grégorien : l’année 1806 commença à nouveau le 1er janvier pour les français.
Quelques rares tentatives au XIXème siècle pour modifier le calendrier
Le calendrier positiviste d’Auguste Comte
Au XIXème siècle, le philosophe Auguste Comte a tenté de mettre en œuvre un calendrier positiviste dégagé de toute référence religieuse. Du culte concret au culte abstrait.
Signalons aussi l’essai d’un calendrier en langue basque (an VII).
1905 : débat sur la loi de séparation et calendrier.
En 1905, lors du débat sur la loi de séparation, le député Allard propose un amendement pour laïciser le calendrier et les jours fériés.
La séance du 15 avril 1905 se termine par une proposition d’article additionnel du député socialiste Maurice Allard. Il est ainsi rédigé : « A partir de la promulgation de la présente loi, cesseront d’être jours fériés tous ceux qui n’auront pas pour objet exclusif la célébration d’événements purement civils ou de dates astronomiques. Les dimanches restent désignés pour être jours de repos dans les bureaux et établissements publics. Une loi ultérieure instituera des fêtes civiques. » Maurice Allard (1860-1942)
Extrait de son intervention :
« La révolution avait institué un calendrier républicain complet : je vous demande simplement aujourd’hui de substituer aux jours fériés religieux, des jours fériés laïques. Je conserve même les dimanches comme jours de repos dans les bureaux et administrations de l’Etat, car le dimanche n’a plus pour personne, en réalité, un caractère religieux. Le dimanche est déjà laïcisé et le sera encore mieux le jour où le repos hebdomadaire sera obligatoire dans l’industrie privée.(...)
De même que l’Eglise a emprunté autrefois au paganisme ses jours fériés, de même, je demande que nous empruntions aujourd’hui à l’Eglise ses jours de fêtes, en changeant seulement la signification et le caractère de ces fêtes. Par exemple : à Noël, on fêtera le solstice d’hiver, à la Saint Jean, le solstice d’été ; à Pâques, au lieu de célébrer la résurrection miraculeuse d’un mystique nommé Jésus, dont l’existence même est hypothétique, on célèbrera la renaissance de la vie ..."
C’est un échec complet : 60 pour, 466 contre
Du côté de la presse hostile à l’amendement : Le Journal, l’Aurore, Le Journal des débats.
Où en est-on aujourd’hui ?
Il n’y a que quelques timides progrès vers la laïcisation du calendrier :
Nomination des vacances scolaires : Vacances de Noël, vacances de la Toussaint, vacances d’hiver, vacances de printemps, vacances d’été.
Suppression du st ou ste devant les prénoms sur le calendrier
Les progrès concernent essentiellement le secteur public ; dans les journaux, on retrouve sainte Angèle ou Saint Félicité... sur la page Météo (le Midi libre, L’Ouest France...) et les résistances au changement sont fortes :
Un amendement à la loi Macron de 2015 proposait de permettre aux préfets des 5 départements d’outremer de substituer des « jours fériés locaux » à sept des onze fêtes légales inscrites dans le code du travail (Ier janvier, lundi de Pâques, Ascension, pentecôte.)
L’initiative a été très mal vécue par l’Eglise en métropole, car les jours susceptibles d’être remplacés sont liés à des fêtes chrétiennes.
Ainsi se termine notre histoire de calendrier.
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« Un jour, un jour viendra, une aube nouvelle naîtra, un printemps laïque se fera connaître et il portera le visage de la fraternité. » Une conclusion poétique de Robert L. .